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Photo de Valery LarbaudValery Larbaud

(1881-1957)

Dossier

Le roman selon Valery Larbaud

Le roman selon Valery Larbaud, par François Masse, 7 décembre 2006

Se souvenant d'une offre de Jules Romains de présenter quatre leçons au Vieux-Colombier ayant pour thème « théorie du roman », Larbaud écrit : « À mon grand regret, je ne pus m'en tenir au programme qu'il avait préalablement fixé. Je n'avais jamais pensé organiser ni systématiser mes observations sur les procédures de composition des romans que je lisais ou sur ma propre façon d'écrire.»(Larbaud, 2003, p. 491.)

Suivant sa nature d'écrivain cosmopolite, Larbaud présente à la place une série d'exposés sur le renouveau dans la littérature espagnole – Gabriel Mirô, Ramón Gómez de la Serna, etc. Cette décision est représentative de sa position et de son attitude dans le monde littéraire : davantage promoteur et découvreur des écrivains étrangers et des nouveaux talents que commentateur de son propre art. « Plus poète que romancier », dira avec raison Frédéric Lefèvre à propos de l'écrivain, Larbaud aime la littérature sans distinctions de genre, citant le plus souvent dans le désordre poètes, romanciers, dramaturges, auteurs de sermons, de traités de toute sorte. Plus que tout, Larbaud recherche un art délivré de la « tyrannie des genres », appréciant en cela l'oeuvre de Charles-Louis Philippe, l'auteur du célèbre Bubu-de-Montparnasse, celle de Joyce, qui « fait tout rentrer dans la littérature », et de R.G. de la Serna, qui donne des oeuvres aussi fantaisistes qu'inclassables. Sa propre production témoigne de ce goût pour les genres mixtes : A.O. Barnabooth (1908) est fait d'un conte, d'un recueil de poésies et d'un récit présenté sous la forme d'un journal intime.

L'inconfort manifeste chez Larbaud face au terme « roman », auquel il préfère souvent celui d'oeuvre ou d' « ouvrage d'imagination », constitue peut-être une critique à l'endroit d'une forme jugée trop rigide, trop statique ou trop homogène. Affirmant sans cesse la nécessité de recherches formelles, d'inventions de formes, Larbaud trouve dans le monologue intérieur un procédé « capable de renouveler le genre “roman” ». Sa découverte d'Édouard Dujardin (l'auteur des Lauriers sont coupés à qui il donne un second souffle en affirmant qu'il est « l'inventeur » du monologue intérieur), ainsi que ses préfaces aux oeuvres de Joyce et de Faulkner, témoignent de l'enthousiasme de Larbaud vis-à-vis cette innovation que constitue le monologue intérieur en regard du roman. En ce sens, Valery Larbaud voit dans le monologue intérieur une avenue des plus fécondes pour le roman, notamment en regard de l'art naissant du cinématographe qui rend inutile toute représentation traditionnelle de l'intrigue et du récit. Larbaud le dit bien : le romancier ne doit pas doubler le cinéma, d'où l'importance d'investir, dans le roman, le terrain de la réalité intérieure, de la « conscience » que la technique du monologue intérieur, justement, est à même de révéler.

ܱé:

  • Valery Larbaud, « Souvenirs d'un conférencier à Paris », Du Navire d'Argent, chroniques traduites de l'espagnol par Martine et Bernard Fouques, édité par Anne Chevalier, Paris, Gallimard, 2003, 491 p.

Bibliographie

Ouvrages cités

Articles, préfaces et chroniques :

« Charles-Louis Philippe », Ce vice impuni, la lecture. Domaine français, Paris, Gallimard, 1941 [1991].

« Un roman de Joseph Conrad (1857-1924) », Ce vice impuni, la lecture. Domaine anglais(Œuvres complètes, tome 3), Paris, Gallimard, 1951 [1914].

« Préface » aux Dublinois de James Joyce, traduit de l'anglais par Jacques Aubert, Paris, Gallimard, 1974 [1921 pour la préface].

« Fernand Vandérem et les manuels d'histoire littéraire », Paris, La Nouvelle revue française, Tome XIX, 1922.

« Édouard Dujardin », Ce vice impuni, la lecture. Domaine français, Paris, Gallimard, 1941 [1924]. Texte repris aussi en préface des Lauriers sont coupés, Paris, Messein, 1925.

« Max Beerbohm, Stendhal et Massillon », Technique, Paris, Gallimard, 1932.

« Préface » à Tandis que j'agonise de William Faulkner, traduit de l'américain par Maurice Coindreau, Paris, Gallimard, 1934.

« Élémir Bourges », Du Navire d'Argent, chroniques traduites de l'espagnol par Martine et Bernard Fouques, édité par Anne Chevalier, Paris, Gallimard (NRF), 2003.

Correspondance, journal :

« Lettre à Jacques Rivière du 7 juillet 1913 », Lettres d'un retiré, édité par Michel Bulteau, Paris, La table ronde, 1992.

« Lettre à Jacques Rivière du 15 juillet 1913 », Lettres d'un retiré, édité par Michel Bulteau, Paris, La table ronde, 1992.

Journal (1912-1935), Paris, Gallimard, 1955.

Entretiens :

(Lorsque l'auteur n'est pas mentionné, il s'agit de Valery Larbaud.)

Frédéric Lefèvre, « Valery Larbaud », Une heure avec… (2ème série), Paris, NRF (Les documents bleus), 1924.

Georges Charensol, « Valery Larbaud », Comment ils écrivent, Paris, Éditions Montaigne, 1932.

« Enquête sur le roman », Le Bulletin des lettres, no 19, 2ème année, 25 juin 1933.

Citations

« Charles-Louis Philippe », Ce vice impuni, la lecture. Domaine français, Paris, Gallimard, 1941 [1991].

« Or, c'est bien cela, cette création, que l'on trouve dès que l'on cherche pourquoi les oeuvres des Dickens, des Dostoïevski et des Thomas Hardy nous paraissent si grandes. Chez Philippe comme chez eux on sent un art enfin délivré de la tyrannie des genres, au delà du burlesque et du sublime, un art qui n'a pour base et pour règle que l'intelligence et l'amour, un art “fidèle à la nature” selon le voeu de nos grands classiques. » (p. 234.)

« Cette oeuvre [celle de Charles-Louis Philippe] je l'ai dit, occupe une place très importante dans notre littérature. Entre 1890 et 1900, il y eut chez nous une renaissance littéraire comparable à la renaissance poétique qui se manifesta, entre 1790 et 1800, en Angleterre, et qui fut inaugurée par ce qu'on appela ensuite l'école Lakiste. […] De même chez nous, aux écoles réaliste et psychologique on vit succéder une littérature riche de sentiment et d'émotion. Ce fut un nouveau retour à la nature et au coeur humain. Tout un groupe d'écrivains parut : Maurice Maëterlinck, Maurice Barrès, André Gide, Francis James, Émile Verhaeren, puis Charles-Louis Philippe, et Paul Claudel, et ceux qui les suivirent bientôt. » (p. 240-241.)

« Un roman de Joseph Conrad (1857-1924) », Ce vice impuni, la lecture. Domaine anglais(Œuvres complètes, tome 3), Paris, Gallimard, 1951 [1914].
« Il n'y a pas en Angleterre, comme chez nous, de division bien nette entre le grand public et the happy few, cet “heureux petit nombre” qui a rendu possibles des romans sans intrigue comme ceux de Jean de Tinan ou comme la Mère et l'enfant, et des romans tout en conscience comme l'Immoraliste. » (p. 215)

« […] un des besoins du roman moderne, que la conscience [le] pénètre de plus en plus. Il faut qu'un roman moderne ait une conscience, une faculté critique et morale agissante quelque part : dans les romans de Conrad, cette conscience, c'est le narrateur supposé. » (p. 215)
« Préface » aux Dublinois de James Joyce, traduit de l'anglais par Jacques Aubert, Paris, Gallimard, 1974 [1921 pour la préface].
« [Joyce] abandonnera à peu près complètement la narration et lui substituera des formes inusitées et quelquefois inconnues des romanciers qui l'ont précédé : le dialogue, la notation minutieuse et sans logique des faits, des couleurs, des odeurs et des sons, le monologue intérieur des personnages, et jusqu'à une forme empruntée au catéchisme : question, réponse ; question, réponse. » (p. 23)
« Fernand Vandérem et les manuels d'histoire littéraire », Paris, La Nouvelle revue française, Tome XIX, 1922.
« Il [le roman] a une méthode ; des lois. On ne comprend pas toujours ce que Brunetière veut dire par ce mot : tantôt il paraît penser que ce sont les lois du développement, ou de ce qu'il appelle l'évolution du “genre Roman”, tantôt on dirait qu'il donne des lois selon lesquelles “le Roman” doit être écrit. (Plusieurs fois on lit : “Le Roman doit…”) De cette erreur initiale découle toute la fausseté du livre. » (p. 729)
« Édouard Dujardin », Ce vice impuni, la lecture. Domaine français, Paris, Gallimard, 1941 [1924]. Texte repris aussi en préface des Lauriers sont coupés, Paris, Messein, 1925.
« Mais surtout je fus stupéfait de penser qu'un tel livre [Les lauriers sont coupés d'Édouard Dujardin] d'une valeur littéraire si évidente, et qui contenait toute la technique d'une forme nouvelle, séduisante, riche en possibilités de toute sorte, capable de renouveler le genre “roman” ou de s'y substituer complètement […]. » (p. 249)

« Le progrès vers le monologue intérieur est encore plus sensible chez les prosateurs modernes. On voit la confession, la méditation et l'effusion occuper de plus en plus de place dans leurs ouvrages d'imagination, empiéter de plus en plus sur le récit. Même, à la forme “récit” succède la forme “roman par lettres”, et plus tard la forme “journal intime”, qui côtoie de très près (dans certains livres de Dostoïevski par exemple) la forme employée dans Les lauriers sont coupés, mais cependant basée sur la donnée réelle “journal intime”. Édouard Dujardin a voulu exprimer quelque chose qui n'avait pas encore été exprimé avant lui ; et, c'est ce qui l'a conduit à la découverte, à la création de cette forme. » (p. 250-251)
« Max Beerbohm, Stendhal et Massillon », Technique, Paris, Gallimard, 1932.
« Ah ! Autre chose que ces péripéties, ces rendez-vous d'amour, ces duels, ces évasions, et les fêtes décrites en partie de l'extérieur, comme un spectacle que le lecteur devait se représenter ; – et comment ne pas songer que le cinématographe pouvait tout aussi bien, et peut-être mieux, nous montrer tout ce côté purement matériel d'un récit ? » (p. 117.)
« Préface » à Tandis que j'agonise de William Faulkner, traduit de l'américain par Maurice Coindreau, Paris, Gallimard, 1934.
« Du reste, le traitement de cette forme par M. William Faulkner lui est assez personnelle : il suggère l'image d'une machine à lire et à projeter la pensée, d'une sorte de réflecteur, que le romancier braquerait sur chacun de ses personnages à tour de rôle. » (p. 6)
« Élémir Bourges », Du Navire d'Argent, chroniques traduites de l'espagnol par Martine et Bernard Fouques, édité par Anne Chevalier, Paris, Gallimard (NRF), 2003.
« En écrivant, Bourges ne tient jamais compte de son expérience personnelle de la vie. Mais l'expérience intellectuelle et esthétique existe aussi, et il nous démontre que, sur cette expérience de second degré, on peut édifier des oeuvres de premier ordre, capables, comme l'ont été les siennes, d'enrichir l'art du roman, et d'y introduire ces tendances idéalistes et lyriques qui jouent un rôle si important dans les oeuvres de nos plus récents romanciers. » (p. 356)

« Je crois qu'on peut dire qu'un roman vaut davantage dans la mesure où il est moins adaptable au cinématographe. Cet art (la Dixième muse !) nous a apporté une sorte d'épuration du roman d'aventures : nous voyons mieux ce qu'il y a de vulgaire et de bas dans les éléments “photogéniques”des vieux romans. » (p. 351)
« Lettre à Jacques Rivière du 7 juillet 1913 », Lettres d'un retiré, édité par Michel Bulteau, Paris, La table ronde, 1992.
« Mais je trouve que vous êtes dur pour le roman français. Quelquefois chez les Goncourt, souvent chez A. Daudet, chez Jean de Tinan, chez Huysmans (En rade), dès l'origine chez Gide, on trouve une attitude, une orientation, une disposition, un entraînement vers le roman tel que vous le définissez. Je ne dis rien pour Dostoïevski que je connais mal ; mais pour Dickens, vraiment l'armature de ses livres est bien vieille, bien rouillée, si les étoffes dont il l'a revêt sont neuves et claires.» (p. 71)
Journal (1912-1935), Paris, Gallimard, 1955.
« Et puis un fait m'a frappé, c'est que la valeur d'un roman dépend beaucoup de la valeur des personnages qu'il présente et décrit. C'est là ce qu'entendait Philippe quand il disait se sentir “capable d'écrire une vie de Napoléon.” » (p. 24)
Frédéric Lefèvre, « Valery Larbaud », Une heure avec… (2ème série), Paris, NRF (Les documents bleus), 1924.
« Ramón a écrit quatre autres romans qui valent celui-là [il s'agit de La Veuve blanche et noire], et, prochainement, on va donner un livre de lui qui n'est ni un roman, ni un recueil de notations ; c'est un livre de haute fantaisie qui ne ressemble à rien de ce que nous possédons chez nous : Le docteur invraisemblable. » (p. 220-221)

« L'influence de Joyce peut indiquer des chemins nouveaux et pousser les écrivains à faire tout rentrer dans la littérature. Ulysses témoigne d'une continuelle invention de formes… » (p. 225)
Georges Charensol, « Valery Larbaud », Comment ils écrivent, Paris, Éditions Montaigne, 1932.
« Aussi apprend-t-on sans étonnement que son Journal intime est souvent à la base de ses récits. Ce Journal, quand il l'a utilisé, il le détruit […]. Barnabooth, me dit-il, est un journal artificiel fabriqué de toutes pièces d'après des journaux tenus par moi à Naples, à Florence, etc… » (p. 123 et 125.)
« Enquête sur le roman », Le Bulletin des lettres, no 19, 2ème année, 25 juin 1933.
« Dans les livres comme celui d'Édouard Dujardin et ceux de Marcel Proust, récit et action sont délibérément sacrifiés aux descriptions d'états de conscience. C'est là une nouveauté. […] Il aurait peut-être fallu, vers ce moment-là, trouver un mot nouveau pour désigner cette forme littéraire nouvelle. » (p. 174-175)
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