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Photo de Barbey d'AurevillyJules-Amédée Barbey d'Aurevilly

(1808-1889)

Dossier

Bibliographie

Ouvrages cités

La prĂ©sente bibliographie n'est pas exhaustive. Les citations retenues proviennent du recueil critique de Barbey (Les OEuvres et les Hommes) et des prĂ©faces desĚý¶Ůľ±˛ą˛ú´Ç±ôľ±±çłÜ±đ˛ő et d'Une Vieille maĂ®tresse.

Pour une saisie plus ample de la définition du roman par Barbey, il resterait à recenser le reste de ses critiques, ses mémoires, ses notes, ses correspondances et l'ensemble de son oeuvre romanesque et poétique.

Les critiques :

Jules Barbey d'Aurevilly, Le roman contemporain, Genève, Slatkine, 1968, 283 pages.

Jules Barbey d'Aurevilly, Les Romanciers, Genève, Slatkine, 1968, 382 pages.

Les préfaces :

Jules Barbey d'Aurevilly, Les Diaboliques, Paris, Lemerre, 1874.

Jules Barbey d'Aurevilly, Une vieille maîtresse, Paris, Achille Faure, 1866.

Citations

Jules Barbey d'Aurevilly, Le roman contemporain, Genève, Slatkine, 1968, 283 pages.

Octave Feuillet :
« Cette scène de tous les pères nobles contrariés par de jeunes premiers dans toutes les comédies, cette scène décrépite, usée comme une pantoufle sur tous les théâtres, mais prise au sérieux par Feuillet, aurait presque de la grandeur s'il avait appuyé sur la fibre qu'elle a encore. Seulement, il fallait grandir ces personnages. Il fallait avoir ce que l'auteur n'a pas, le sentiment de l'idéal et des réalités puissantes ! Il fallait, par exemple, grandir le père jusqu'à la hauteur de l'admirable père de Mirabeau, et le mauvais sujet jusqu'au terrible mauvais sujet son fils. » (p. 29-30)

« Il tient mieux dans cette case du théâtre, sur cette feuille de parquet où l'on ne se meut qu'en se ramassant, il y tient mieux que dans ce large espace du roman où il faut être le poète, le peintre et le philosophe à la fois. » (p. 35)

Les Goncourt :
« Il y a beaucoup de romans sans amour, et ce sont même les plus grands. Il y a le Robinson de Foë, le Gordon Pym d'Edgar Poe, le Caleb Williams de Godwin, le Cousin Pons de Balzac, et bien d'autres ; Mais il n'y a pas ici de roman, parce qu'il n'y a pas d'action, d'événements, de passions en lutte, de caractères, et que la synthèse de la vie n'y introduit pas la concentration de son ensemble tout puissant; parce qu'on n'y trouve, en définitive, qu'une description psychique et physiologique d'un cas d'organisation très particulier. » (pp. 31-32)

« Et ce que j'en admire le plus, savez-vous ce que c'est?... C'est la sobriété, c'est l'économie et la distribution de la couleur, c'est la langue, quand elle n'est pas l'argot de Renée, et elle ne l'est pas longtemps ; ce sont enfin les qualités mâles d'hommes qui se possèdent et qui ne font plus que ce qu'ils veulent. » (p. 52)

Flaubert :
« Matérialiste de fond, je n'oserais pas dire de doctrine (je ne crois guères à ce qu'on peut appeler des doctrines en Flaubert), l'auteur de Madame Bovary se révéla matérialiste dans la forme comme personne, avant lui, ne s'était peut-être jamais révélé. » (p. 94)

« Flaubert n'est ni un inventeur, ni un observateur, comme tout romancier est tenu de l'être. Le romancier qui n'a trouvé, après Madame Bovary, que cette perruque carthaginoise de Salammbô, est un homme absolument dénué d'invention et d'observation impersonnelle, propre, tout au plus, à des recollages archaïques. L'Éducation sentimentale confirme suffisamment le vide de tète qu'avait affirmé Salammbô » (p. 95)

« C'est avec le noir animal de sa Bovary que Flaubert a fait ses femelles de L'Éducation sentimentale, et c'est ce connu, c'est ce manque de nouveauté, dans les personnages comme dans la manière, c'est cette répétition affaiblie, comme toute répétition, des mêmes formes et du même fond d'idées, — si idées il y a, — qui sera l'empêchement dirimant du grand succès annoncé, mais qui ne viendra pas, et qui déjà, comme vous voyez, se fait attendre! » (p. 96)

« Le caractère principal du roman si malheureusement nommé de ce titre abstrait, pédagogique et pédant : L'Éducation sentimentale, est avant tout la vulgarité, la vulgarité prise dans le ruisseau, où elle se tient, et sous les pieds de tout le monde. Le médiocre jeune homme dont ce livre est l'histoire est vulgaire, et tout autour de lui lest comme lui, amis, maîtresses, société, sentiment, passion, — et de la plus navrante vulgarité. A-t-on vraiment besoin d'écrire des livres à prétention sur ces gens-là?... Je sais bien que les Réalistes, dont Flaubert est la main droite, disent que le grand mérite de Flaubert est de faire vulgaire, puisque la vulgarité existe. Mais c'est là l'erreur du Réalisme, de cette vile école, que de prendre perpétuellement l'exactitude dans le rendu pour le but de l'art, qui ne doit en avoir qu'un : la Beauté, avec tous ses genres de beauté. Or, la vulgarité n'est jamais belle, et la manière dont on la peint ne l'ennoblissant point, ne peut pas l'embellir. Selon nous, il y a dans le monde assez d'âmes vulgaires, d'esprits vulgaires, de choses vulgaires, sans encore augmenter le nombre submergeant de ces écoeurantes vulgarités. Mais telle n'est point l'opinion de Flaubert et de son école. C'est cette école qui rit grossièrement de l'idéal en toutes choses, aussi bien en morale qu'en esthétique. C'est cette école qui ne veut de sursum corda ni en art, ni en littérature. C'est elle qui est en train de nier l'héroïsme elles héros, posant en principe, par la plume de tous ses petits polissons, « qu'il n'y a plus de héros dans l'humanité », et que tous les lâches et les plats de la médiocrité les valent et sont même mille fois plus intéressants qu'eux. Flaubert n'a pas manqué à son école. C'est un de ces plats de la médiocrité qu'il a choisi pour son héros. » (pp. 96-97)

« Flaubert n'a ni grâce ni mélancolie. C'est un robuste qui se porte bien. C'est un robuste dans le genre du Courbet des Baigneuses, qui se lavent au ruisseau et qui le salissent, avec cette différence pourtant que Courbet peint grassement et que Flaubert peint maigre et dur. La manière de Courbet est plus large: il procède par plus grands traits ; tandis que Flaubert procède par petits, accumulés, surchargés, ténus, n'oubliant rien, et détachant net l'ombre d'un ciron sur son grain de poussière... Les gens qui trouvent Flaubert un bien grand homme, car il en est qui sérieusement le mettent sur la ligne de Balzac, le vantent uniquement pour son style. Or, ce style, c'est la description, une description infinie, éternelle, atomistique, aveuglante, qui tient toute la place dans son livre et remplace toutes les facultés dans sa tête. » (p. 99)

« Demandez-vous, en effet, ce qu'il est, cet enragé descripteur, qui ne cesse jamais d'exister en dehors de cette description incessante? Montrez-moi une idée qui ne soit pas une chose physique dans ses oeuvres ! Montrez-moi une idée morale, un jugement, une opinion, — même politique ! A un certain moment du roman, on traverse 1848 et sa révolution ; mais pourriez- vous tirer des faits du temps, qui sont décrits avec une exactitude de photographe, l'aspect des rues, le sac des Tuileries, l'air des pavés les jours de barricades, etc., pour quel parti penche l'auteur de ces descriptions, qui n'a de sympathie que pour les choses visibles qu'on peut retracer? Je sais et je sens que l'auteur de L'Éducation sentimentale est un matérialiste, et que le matérialisme doit nécessairement engendrer de certaines opinions politiques et non d'autres ; mais si je n'avais pas l'habitude des inductions et des déductions de la logique, d'honneur ! je ne le saurais pas ! Et il en est de même de toutes les opinions de Flaubert. » (p. 99-100)

«  Comme il n'a d'idées absolument sur rien, et qu'il n'est capable que de décrire, son procédé, pour fabriquer deux volumes montant à mille pages comme ceux-ci, est infiniment simple. Il cloue et soude des tableaux à d'autres tableaux. Son livre, c'est la boutique de son sieur Arnoux, qui, lui aussi, vend des tableaux. » (p. 101)

« Mais le matérialisme radical de Gustave Flaubert ne le lui permet pas. Toute abstraction, toute métaphysique lui sont interdite. » (p. 101)

« Allons ! c'est la fin. Tel est le livre. Telle sa conclusion immonde. Telle la condamnation, au fond, de L'Éducation sentimentale, qui est ici l'éducation sensuelle. Mais comment un matérialiste comme Flaubert ne prendrait-il pas les sensations pour les sentiments?... Tel est ce chef-d'oeuvre, selon les jeunes réalistes de ce temps, où le Réalisme, qui ne veut que peindre l'objet, est souffleté par le Matérialisme et sa morale! Eh bien, j'ose dire, moi, qu'il n'y a pas du tout de chef-d'oeuvre ici! Je dis qu'il n'y a là qu'un livre médiocre: médiocre de talent d'abord, ennuyeux d'atmosphère, fatigant de peinture pointue, grossier et monotone de procédé, ignoble souvent de détails, et dépassé dans ce genre par sa conclusion. Je dis qu'il n'y a là qu'un livre matérialiste de fond, matérialiste de forme, matérialiste de sécheresse, un livre comme le matérialisme en fait et n'en peut pas faire d'autres, puisqu'il nie la moitié, au moins, de la créature humaine ! » (p. 102-103)

« La Tentation de saint Antoine pourrait être le suicide définitif de Flaubert. Le livre, tel que le voilà venu, est tellement incompréhensible qu'on n'en aperçoit ni l'idée première, ni même l'intention. Qu'a voulu faire l'auteur en l'écrivant?... Qu'a-t-il voulu prouver? Qu'a-t-il voulu nous faire sentir? Quelle est la signification de ce livre sans composition, et qui n'est pas réellement un livre ? Est-ce un roman que celte pancarte? Est-ce un drame ?... Salammbô voulait être un roman encore, mais nous sommes hien loin de Salammbô, et, dans la même pente, bien au-dessous. » (107-108)

« Profonde décadence d'un esprit qui fut homme, mais que voilà redevenu enfant, et qui n'a plus à son service que des procédés d'enfant. Les enfants, en revenant de l'école, font quelquefois d'abominables bonshommes sur les murs. Les littératures qui retombent à l'état d'enfance peignent les objets comme les enfants les peignent, pour l'objet même, — l'objet isolé et en soi, — sans se soucier de l'ordre, de la pensée, de la logique, de la vraisemblance, de la perspective. Et tel est le procédé de Flaubert. Il n'en a pas deux. Il n'en a qu'un. » (p. 113)

« Je n'en peux citer davantage, parce que, partout, dans cette Tentation de saint Antoine, les images lascives et les gros mots obscènes abondent, et qu'où le livre, fait pour quelques-uns, peut avoir son audace, le journal, fait pour tous, doit avoir sa pudeur. Flaubert ne recule jamais devant la nudité de l'expression. Le mot malpropre est pour lui souvent le mot propre. C'est de système chez lui. Il a commencé par être un réaliste, et il est maintenant un brutaliste, comme disent à présent les réalistes avancés. » (p. 117)

« Par là, il est un des premiers de ceux-là qui s'appellent actuellement les naturalistes, et par là aussi, par la sécheresse de la description dans sa manière de peindre la passion humaine, il se rallie à ceux qui n'en ont jamais parlé éloquemment ou poétiquement le langage, mais qui l'ont crachée, froide et répugnante, dans leurs écrits inanimés. Il n'a jamais eu, dans les siens, ni pensée profonde, ni aperçu brillant, — ni même d'aperçu du tout ! — ni analyse sévère. En tout, il n'est qu'un descripteur. » (p. 128)

Alphonse Daudet :
« Il n'y a personne assurément dans la littérature actuelle qui ait le genre de plume (arrachée d'où?...) avec laquelle furent, un jour, écrits Les Amoureuses et Le Petit Chose. On a autre chose, mais on n'a pas cela. On a peut-être le grand chose, mais on n'a pas ce petit. On peut aimer davantage autre chose, et même critiquer cela, mais il n'y a pas moyen de nier l'accent de nature qui est là! Il n'y a pas moyen de ne point entendre cette vibration , ce coup de gorge de l'oiseau bleu, à la poitrine sanglante, qui, en passant, jette là son cri, et auquel personne parmi ceux qui ont le talent plus large que Daudet, plus étoffé, plus robuste, plus tout ce que vous voudrez, n'est capable, en l'imitant, de faire écho. Et c'est là l'originalité ! Et c'est ce qui vaut mieux que tout ! L'originalité, d'où qu'elle vienne et quelle qu'elle soit ! On ne la conteste pas à Alphonse Daudet, maison la lui dose. » (p. 138)

« C'est un poète et un peintre de terroir comme tous les peintres et les poètes pénétrants, la loi étant de ne bien peindre que les choses qu'on a vues, qui se sont enfoncées en nous dès l'enfance, et dans lesquelles nous avons fait boire nos premiers regards. » (p. 140)

« L'émotion ! on ne la lui chicane pas, on en fait bon marché encore ; c'est comme sa gouttelette d'originalité. On a la bonté d'admettre qu'il peut émouvoir et qu'il peut être ému, dans la mesure, il est vrai, de son organisation de Petit Chose. Mais la profondeur et la force, on les lui refuse, d'aplomb et obstinément. Quand on fait si petit, il est impossible de faire fort et profond! » (p. 141)

« Et Alphonse Daudet, en écrivant les Lettres de mon Moulin n'a pas seulement prouvé qu'il avait ce qu'on lui déniait : une force égale à sa grâce, une profondeur égale à sa légèreté. Il a résolu le problème d'art qui posait qu'il faut de certaines proportions pour produire des effets, thèse plus grossière que grandiose. Il a montré que le talent est toujours plus fort que sou cadre, et que la peinture, qu'elle soit miniature ou fresque, peut remuer l'âme au même degré et nous passionner la pensée ! » (p. 147)

« Seulement, les horreurs de Macbeth étaient terribles, et celles du livre de Jack sont dégoûtantes.[...] Évidemment, une pareille faute de composition ne peut venir, dans un homme de la valeur de Daudet, que de l'étroite notion du roman tel que le conçoit le groupe littéraire auquel il se rallie. M. de Goncourt, qui est de ce groupe, et qui, comme Alphonse Daudet, a trop d'âme aussi pour en être, dit dans la préface de sa Germinie Lacerteux que le roman est maintenant une enquête sociale. C'est possible. Les enquêtes se font partout. » (p. 153)

« C'est par le pinceau qu'Alphonse Daudet se distingue des autres romanciers qui, comme lui, s'efforcent de peindre les choses ambiantes, mais qui n'ont ni la couleur, ni surtout la sensibilité du sien. Il y a une fameuse phrase de Diderot, que de plus secs que moi — et de ce meilleur goût littéraire qui m'a toujours paru une pauvreté — trouvent amphigourique et prétentieuse, et qui est très intelligible et très simple quand il s'agit de Daudet. » (p. 165)

« la femme de Christian II, qui veut souffler dans le coeur de son mari le feu qui lui manque […] est la seule qui ne soit pas ridicule dans le roman. Mais elle est inutile... Et, d'ailleurs, c'est un mauvais symptôme pour les races, quand les femmes y sont les héros. » (p. 181)

Ferdinand Fabre :
« Seulement, n'est-ce pas là une raison de plus pour la Critique de glorifier ceux qui ont cette crânerie de prendre pour sujet de livre un prêtre, — qui préfèrent la beauté intrinsèque de leur oeuvre à l'argent ou à la renommée qu'elle peut rapporter, et sont assez artistes pour avoir ce désintéressement et cette fierté?... » (p. 185)

« J'ai entendu quelquefois comparer Ferdinand Fabre à Gustave Flaubert, qu'on pourrait appeler « le descriptif laborieux » ; car il décrit jusqu'aux nervures des feuilles et aux angles des ombres qui s'évaporent. Il n'y a pas, selon moi, le moindre rapport entre ces deux hommes. Ferdinand Fabre a l'insouciance de toutes ces fatigantes puérilités. Son talent se porte bien; seulement, je lui trouve un peu de sécheresse. Il est tout en os et en muscles, mais je voudrais un peu de chair à la Rubans — s'il était possible — pardessus tout cela. Souvent aussi, malgré sa force, Fabre manque du trait précis qui achève un mouvement ou une figure commencée ; il n'a pas le coup d'ongle définitif qui les fait tourner et les pose tels qu'ils doivent rester toujours dans l'imagination qui les a contemplés une fois! »

« Ainsi, — littérairement, artistiquement, le livre de Fabre n'est pas sans reproche. Dans le chapitre la Voix du Crucifix, il y a la même indécision que dans le mouvement de ces mains, impuissamment violatrices de la mort et du cercueil. Le surnaturel d'une voix sortant d'un crucifix a épouvanté le moderne dans Fabre, qui, avec plus de foi ou plus d'imagination peut-être, n'eût pas été épouvanté. Grand dommage, pour la beauté d'une oeuvre, qu'un homme d'invention ait peur du surnaturel et n'y touche que comme à du feu quand on a peur de se brûler!!! Shakespeare a créé, lui, l'impossible et monstrueux Caliban. Edgar Poe a écrit des Contes fantastiques avec le sentiment frissonnant de leur réalité, et un artiste qui comprend l'Église et le prêtre, et qui aurait dû aller jusqu'au bout et tout comprendre, n'ose pas faire parler franchement et distinctement un crucifix ! L'esprit moderne nous rabougrit donc tous, pour que les forts, les bien portants, les bien organisés, aient de ces faiblesses?... » (p. 193)

Émile Zola :
« Rabelais, ce grand rieur qui se permettait tout, cet Homère-Priape sans feuille de vigne ; Rabelais, l'auteur de Gargantua , a un jour raconté la bataille des Cervelas et des Andouilles, mais il riait au-dessus de sa plantureuse et folle Épopée. M. Emile Zola ne rit point, lui. « Il ne rigolle pas », comme disait précisément Rabelais. Non pas ! Il est grave et convaincu dans sa charcuterie. Pour Rabelais, en ses bacchanales de bouffon, les andouilles, les cervelas, les tripes, le piot, ne sont que de la ripaille et de la goinfrerie. Mais pour M. Zola, toute cette cochonnaille, qu'il nous étale et dont il nous repaît, et dont il finit par nous donner le mal au coeur, c'est de l'art. Il croit dire le dernier mot de l'art en faisant du boudin, M. Zola! » (pp. 198-199)

« C'est une idée qui depuis longtemps se précise en littérature et en art. Nous devenons des charcutiers ! Cela s'appelle le réalisme, cette idée, et cela sort des deux choses monstrueuses qui s'accroupissent, pour l'étouffer, sur la vieille société française : le Matérialisme et la Démocratie. » (p. 199)

« Délicieuse perspective! Si ce charmant mouvement intellectuel continue, la Littérature française a chance de mourir asphyxiée derrière la porte infecte du cabinet d'Héliogabale. » (p. 201)

« Il parle dans ce livre-ci d'un homme abandonné sur un écueil et qui fut mangé par les bêtes de la mer. Il ressemble beaucoup à cet homme-là. Les mots lui mangent son talent, et c'est d'autant plus exact que les mots sont bêtes quand ils n'expriment pas des sentiments ou des idées. Le drame humain qui se noue et se dénoue dans ce Ventre de Paris, où il n'y a, comme dans le ventre de l'homme, que des choses physiques, est d'une pauvreté psychologique qui fait pitié. » (p. 204)

« L'auteur du Ventre de Paris, dont la chair, pour parler comme lui, est faite des chairs mêlées de Victor Hugo, Théophile Gautier et Flaubert, malgré son amour monstrueux des choses basses, des couleurs criantes jusqu'à vociférer, et son cynique mépris des inspirations morales et des beautés intellectuelles dans les oeuvres, a du talent encore. Mais cela ne sera pas long, s'il ne se retourne pas!... Il est à la limite extrême. […] Malheureusement, je le sais bien, il est attiré magnétiquement vers cette auge. Le cochon l'excite. Il est de l'opinion de Victor Hugo, ce fort porcher poétique, qui n'a pas craint d'écrire : « J'ai nommé par son nom le cochon, — pourquoi pas ? Le pourceau misérable et Dieu se regardèrent. Un pourceau secouru pèse un monde opprimé! » » (pp. 208-209)

« Ainsi que vous le voyez par cette lourde et pédantesque affiche, les livres de M. Zola ont l'endoctrinante prétention d'être de l'art appuyé sur de la science. Grande pipée pour les niais! Très peu original au fond, toujours en flagrant délit d'imitation de quelque chose ou de quelqu'un, mais croyant le dissimuler par la violence de son imitation et par l'épouvantable grimace qu'il fait faire à ce qu'il imite, M. Zola, qui voudrait retrancher la spiritualité humaine de la littérature et du monde, n'est, en définitive, qu'un singe de Balzac dans la crotte du matérialisme, écrivant pour les singes de M. Liltré. » (pp. 214-215)

« Puisque, d'ailleurs, selon les docteurs de cette dépravation littéraire, la réalité, sous toutes ses faces, est le but de l'art, pourquoi le Dégoûtant, qui est une chose aussi réelle que l'Agréable et le Beau, n'aurait-il pas sa place dans l'art et dans la littérature? Et déjà, dans une foule de livres que je pourrais nommer, il l'y avait prise... Mais il y était mêlé à des choses plus ou moins élevées, qui en atténuaient l'effet immonde. Il n'y était pas sans compensation, sans interruption, intégral et absolu dans les hommes, les choses, les idées, les sentiments et le langage. Il y est, de cette fois... M. Zola a voulu travailler exclusivement dans le Dégoûtant... Nous avons su par lui qu'on pouvait tailler largement dans l'excrément humain, et qu'un livre fait de cela seul avait la prétention d'être beau! » (p. 231)

« Je ne veux lui objecter que de la littérature, quoiqu'il semble, dans son Assommoir, sorti autant de la littérature que de la morale. Je ne veux lui rappeler que ce qu'il oublie, c'est que l'emploi des matières ignobles abaisse l'art et le rend impossible. Le Réalisme en a menti ! Il y a toujours dans tout grand artiste une hauteur originelle et une pureté de génie, qui dédaigne de toucher à ces choses honteuses dans lesquelles l'auteur de L'Assommoir ne craint pas de plonger sa main... » (pp. 232-233)

« Il vaut mieux être monstrueux que vulgaire, et M. Zola trouve le moyen de l'être. » (p. 235)

« Mais ceux-là que le matérialisme contemporain n'a point pénétrés savent bien que l'âme humaine et Dieu sont esthétiquement nécessaires, et que là où ils ne sont pas, il n'y a jamais de chef-d'oeuvre ![...] et ils ne se doutent pas que l'absence de Dieu et de l'âme, dans une oeuvre humaine, fait un vide par lequel, quand on en aurait, s'en va le génie, — et même le talent 1 » (p. 236)

Jean Richepin :
« M. Richepin analyse trop l'âme pour n'y pas croire; son livre, comme la vie, est encore plus psychologique que physiologique, et c'est là sa valeur, c'est là sa supériorité. » (p. 246)

J. K. Huysmans :
« en écrivant l'autobiographie de son héros, il ne fait pas que la confession particulière d'une personnalité dépravée et solitaire, mais, du même coup, il nous écrit la nosographie d'une société putréfiée de matérialisme, et cela uniquement donne à son livre une importance que n'ont pas les autres romans physiologiques de ce temps. » (p. 274)

« le défaut du livre de M. Huysmans, tout horrible que ce livre soit, n'est pas seulement, comme je l'ai dit, d'être affreux dans sa philosophie, mais, en art, c'est d'être puéril. En art, il y avait mieux à nous offrir et à nous faire admirer. Des Esseintes est riche. Avec l'argent qu'il a, il pouvait se passer toutes ses fantaisies, et elles pouvaient être grandioses. Eh bien, exceptez du roman deux ou trois places où Des Esseintes se contente d'être tout à fait abominable, — par exemple quand il paye trois mois de lupanar à un tout jeune homme pour se donner plus tard le divertissement d'en faire un assassin, — le reste du temps, les moyens qu'il emploie pour échapper aux vulgarités de la vie font pitié. » (p. 276)

« Ce n'est point, du reste, par le talent qu'il est décadent; c'est par l'emploi de ce talent. Le talent, en effet, est ici à toute page. L'abondance des notions sur toutes choses y va jusqu'à la profusion. Le style, savant et technique, y déploie une magnifique richesse de vocables qui ressemble aux pierres précieuses incrustées dans l'écaillé de la tortue et qui la firent mourir. Ce style superbe ne sauvera pas non plus l'oeuvre inouïe sur laquelle il brille. Exceptionnellement dépravé, le héros autobiographique de M. Huysmans aime toutes les décadences en littérature. » (p. 278)

Jules Barbey d'Aurevilly, Les Romanciers, Genève, Slatkine, 1968, 382 pages.

Préface :
« De toutes les oeuvres que nous passons en revue dans cet ouvrage, la plus généralement intéressante, la plus actuelle, l'oeuvre qu'on pourra spécialement appeler un jour l'oeuvre môme du XIXe siècle est celle où nous voici arrivés. C'est le roman... Et quand je dis la plus généralement intéressante, Je prie bien que l'on pèse mes paroles et qu'on n'en exagère pas la portée. Je n'entends nullement dire par là que le roman ait détrôné les autres oeuvres de l'esprit humain, et leur ait ravi l'attention publique. La Poésie, l'Histoire et la Philosophie n'ont point, certes, perdu le rang qu'elles ont toujours tenu dans l'imagination ou la raison des hommes, et il est évident qu'elles le garderont. Mais il n'en est pas moins certain que le Roman, production toute moderne, a pris en ces dernières années une importance et un développement extraordinaires, qu'aucune forme littéraire n'a plus à un égal degré. » (p. I)

« Or, le génie le plus grand du siècle est un romancier. Comme tout le monde, à un certain moment, voulut imiter Ronsard et Desportes, et plus tard Corneille et Racine, tout le monde veut maintenant imiter Balzac. » (p. II)

« Ce n'est donc pas l'Imagination, — cette fée qui nous a dévidé au Moyen-Age un si beau et si long fuseau de Fables, de Fabliaux et de Contes, — ce n'est pas l'Imagination qui a manqué à cette féconde époque pour inventer le Roman; c'est l'Observation. C'est l'étude exacte et détaillée des sentiments et des choses qui apporte à l'Imagination concentrée les matériaux sur lesquels elle va travailler. La condition essentielle de tout romancier est d'être, avant tout, un observateur. » (p. III)

« Le premier roman, digne de ce nom, puisque ni la moquerie de l'auteur, ni la folie du héros n'entament la nature humaine assez profondément pour qu'on ne puisse la reconnaître. Don Quichotte, est de 1602. Seulement, n'oublions pas non plus, nous autres Français, que soixante-seize ans après Don Quichotte paraissait la Princesse de Clèves, bien avant que l'Angleterre, cette terre du Roman qui, en moins de deux siècles, est allée de Richardson à Walter Scott, n'eût publié les chefs-d'oeuvre de Daniel de Foë et Clarisse; Clarisse, qui est le Roman même, dans la plus splendide netteté de sa notion ! Les romans de de Foë parurent tous, en effet, de 1719 à 1724, et Clarisse en 1748. » (p. IV)

Honoré de Balzac :
« Selon nous, ce qui range à part le génie de Balzac parmi les autres génies contemporains et européens, c'est l'esprit, cette faculté perdue que je nommerais volontiers anti-dix-neuvième siècle, tant elle est rare à cette époque, môme dans les talents réputés les plus grands ! C'est cette note riante, sonore et comique, qui court partout dans l'oeuvre éclatante et profonde et qu'on retrouve perlant tout à coup dans les endroits les plus mélancoliques, les plus passionnés et les plus touchants. » (p. 12)

Eugène Sue :
«  M. Eugène Sue, qui a de la couleur et de l'expression pour tout mérite — le fracas des événements dans ses romans les plus vantés n'en étant point un à nos yeux—ne pouvait devenir un homme de style, car on ne le devient pas, on l'est. » (p. 25)

« Or, nous l'avons dit un jour à propos de Frédéric Soulié, supérieur à M. Sue comme inventeur et comme observateur de nature humaine, les oeuvres littéraires doivent avoir un style pour durer et pour que la Postérité s'en soucie. Au bout seulement de quelques années, les livres mal écrits ne se lisent plus et sont oubliés. Tels seront le Juif Errant y les Péchés capitaux y et tant d'autres machines romanesques, dépourvues de ce qui fait la vie des inventions les plus heureuses et les plus puissantes, la lumineuse atmosphère d'un style à travers laquelle on les voit se mouvoir et se dérouler. » (p. 25)

« Les Mémoires de Mathilde qui sont, de beaucoup, le meilleur ouvrage de M. Sue, ont tout pris aux Liaisons dangereuses de Laclos et à la Delphine de Mme de Staël, les deux plus beaux livres du dix-huitième siècle; mais le style, le style a été oublié. Pour cette raison suprême et péremptoire, il ne restera donc rien de ce romancier qui a rempli vingt années de notre temps de sa renommée. » (p. 25)

Stendhal :
« C'était un homme d'action, fils d'une époque qui avait été l'action môme, et qui portait la réverbération de Napoléon sur sa pensée; il avait touché à cette baguette magique d'acier qui s'appelle une épée, et qu'on ne touche jamais impunément, et il avait gardé dans la pensée je ne sais quoi de militaire et, qu'on me passe le mot, de cravaté de noir, qui tranche bien sur le génie fastueux des littératures de décadence. » (p. 45)

«  Stendhal, lui, a la force, c'est-à-dire, après tout, la chose la plus rare qu'il y ait dans ce temps de cerveaux et de coeurs ramollis. Il a la force dans l'invention (voyez les héros de ses romans, et môme ses héroïnes, qui sont toutes des femmes à caractère !) et il a la force dans le style, qui, de fort sous sa plume, devient immanquablement de mauvais goût, s'il ajoute quelque chose au jeu naturel de ses muscles et à sa robuste maigreur. » (p. 53)

M. Gustave Flaubert :
« M. Flaubert est un moraliste, sans doute, puisqu'il fait des romans de moeurs, mais il l'est aussi peu qu'il est possible de l'être, car les moralistes sentent quelque part, – dans leur coeur ou dans leur esprit, — le contre-coup des choses qu'ils décrivent, et leur jugement domine leurs émotions. M. Flaubert, lui, n'a point d'émotions; il n'a pas de jugement, du moins appréciable. » (p. 63)

« Madame Bovary est une idée juste, heureuse et nouvelle. Ce n'est pas un roman, comme nous en faisons toujours dans la première partie de nôtre vie, car le roman étant le plus souvent de l'observation personnelle appliquée aux choses de sentiment, nous voulons tous avoir plus ou moins l'expérience des choses du coeur. » (p. 66)

« Madame Bovary, étudiée, scrutée, détaillée comme elle l'est, est une création supérieure, qui seule vaut à son auteur le titre conquis de romancier. Nous disons elle seule; pour le reste du livre nous faisons nos réserves. » (p. 73)

M. Jules Sandeau :
« Il y a un caricaturiste qui nous étreint le coeur et qui nous plante aux lèvres un rire plus triste que les larmes : c'est ce grand profanateur de Cervantes. Seulement, il ne rit pas, lui, et, quoiqu'il soit difficile de l'aimer, on sent avec respect qu'il est un maître, tandis que M. Jules Sandeau ricane comme un petit journal, au nez môme des personnages qu'il met en scène, et, par là, tue l'émotion avant qu'elle soit née, en la tarissant dans sa source. » (p. 82)

M. Edmond About :
« Seul, le fond de l'histoire, qui est assez ignoble aussi, appartient à M. About. Nous ne le lui reprochons pas. L'ignoble se trouve bien dans la vie, pourquoi ne serait-il pas dans les romans? Les romanciers ne prennent pas la vie avec des pinces fines comme les entomologistes leurs insectes. Ils la prennent à pleine main, vaillamment et la brassent comme le sculpteur sa glaise. La science dit tout, et l'art doit tout peindre, mais c'est dans un but supérieur à l'une ou à l'autre, — dans un but religieux d'enseignement. » (p. 98)

M. Ernest Feydeau :
« Son livre a le pathétique de la passion blessée ; mais il y a une critique qui doit passer avant le naturalisme de Goethe, fût-il pratiqué par M. Sainte-Beuve, c'est la critique morale. L'autre, la critique littéraire, ne doit venir qu'après. » (p. 107)

« Cette conception si commune et si molle du héros de M. Ernest Feydeau est, selon nous, le défaut capital de son livre. D'abord, elle empêche tout intérêt de s'attacher à un être aussi faible et aussi chétif, dont les violences même ont quelque chose de grêle, et qui, tout à l'heure, exaspéré par les jalousies de l'amour-propre et de l'autre amour, n'arrivera jamais à une véritable énergie. Mais ce n'est pas tout, elle nuit profondément à l'idée du livre. » (p. 111)

« Il fallait peindre le paradis de l'adultère, ce paradis qui est un enfer; et, pour qu'on en comprit mieux la secrète horreur, les transes et les ignominies, il fallait choisir des créatures d'élection, l'une comme force et l'autre comme pureté, et les rouler dans cet enfer jusqu'à perte de conscience humaine, afin que ceux qui rêvent à la poésie des amours illégitimes et des intimités qui tremblent sussent une fois pour toutes ce qui en est ! ! » (p. 111)

« Il devait montrer que le libertinage est au mariage ce que la métempsychose est à l'immortalité, et conclure bravement que, dans ce monde, qui n'a pas été bâti pour le bonheur, ainsi que le croient des moralistes pusillanimes, enfer pour enfer, l'enfer du devoir est encore le plus doux ! » (p. 117)

« C'était le mariage châtiant l'adultère (à la fin !) Sous une plume de plus de génie ou seulement de plus de moralité que la plume de M. Feydeau, celte idée-là aurait pu produire quelque chose d'utile et de grand. » (p. 119)

« Je ne veux certes pas mutiler, pour la déshonorer, la pensée de M. Sainte-Beuve. Quand il dit amusant, il pense intéressant, évidemment. C'est ainsi qu'il entend l'amusant. Mais, justement, l'abaissement générral de tous les personnages passionnés du roman de M. Feydeau, de tous ceux-là dont l'action noue ou dénoue le roman de Catherine d'Overmeire diminue excessivement l'intérêt qu'ils devraient inspirer. » (p. 134)

« Tous les héros de roman sont des héros, soit dans le mal, soit dans le bien, et ils doivent l'être..., C'est de poétique éternelle, quel que soit leur costume ou leur destinée, depuis César Biroteau, le parfumeur, jusqu'au duc de Nemours de la Princesse de Clèves, depuis Vautrin, le voleur, jusqu'à Julien Sorel, l'ambitieux et l'hypocrite, comme le cardinal de Retz à dix-huit ans. II y a une géométrie dans les choses littéraires comme en mathématiques, et la rapidité et la force de l'intérêt s'y calculent aussi par le carré des distances.... Eh bien! c'est cette géométrie qu'a méconnue M. Feydeau; c'est ce carré des distances que je ne trouve pas dans son livre. Tous ses héros ne sont pas des héros; ils sont de taille de foule, et ils vivent coude à coude avec ce qu'il y a de plus commun dans l'humanité. » (p. 135)

« J'ai nommé tous les personnages déterminants et décisifs du.roman de M. Feydeau, et nul d'entre eux n'y donne l'intérêt élevé, l'intérêt d'art ou de nature humaine que doit avoir toute oeuvre qui a la prétention de vivre » (p. 137)

« On dirait qu'il a interverti l'ordre des procédés ordinaires, et qu'il n'a pas placé ses personnages dans ses descriptions, mais plaqué ses descriptions par-dessus ses personnages, mettant l'accessoire devant le principal, et la plastique inerte devant la nature vivante ! C'est cette préoccupation de peintre dévorant le littérateur, et qui, du reste, est la maladie des pommes de terre de la littérature actuelle [...] » (p. 139)

« Mettre des théories quelconques dans un roman est encore une des manies de notre siècle. MM. de Goncourt plaçaient dans le leur une théorie médicale, l'autre jour. Reste de doctrinarisme qui nous domine encore, et dont nos enfants auront la piété de seulement sourire, en pensant au scepticisme de leurs pères, quand ils trouveront de ces discussions pédantesques au milieu de nos plus romanesques inventions ! » (p. 139)

M. Paul FĂ©val :
« C'est la question qui brûle tout à l'heure : c'est la question du roman-feuilleton. C'est la question de ce genre de roman qui menace de devenir le moule du roman au dix-neuvième siècle, et dont, à ce moment, je le veux bien, M. Féval est l'expression la plus féconde et la plus brillante.  (p. 147)

M. Jules de La Madelène :
« Doué de facultés très-dramatiques, sachant s'effacer, cette chose difficile, car l'esprit est égoïste comme le coeur, et ne procédant nullement à la manière des romanciers contemporains, qui entassent les descriptions, les paysages et les portraits, dans une ivresse de plastique qui est une maladie littéraire du temps, M. de La Madelène ne fait guères de portraits qu'en quelques traits, quand il en fait, et chez lui, c'est l'action et le dialogue qui peignent le personnage, le dialogue surtout, que M. de La Madelène a élevé à un rare degré de perfection. » (p. 184)

MM. Jules et Edmond de Goncourt :
« De l'imagination et de la sensibilité, c'est la moitié d'un romancier ! Pour peu qu'on y joigne de l'observation bien faite, on est un romancier de pied en cap. Malheureusement, c'est l'observation large, profonde, impersonnelle, et sans laquelle le romancier n'existe pas, qui manque à MM. de Goncourt, ces talents costumiers qui croient que le costume est l'homme, et qui nous donnent aujourd'hui ce qui doit dans cent ans être la défroque du dix-neuvième siècle, — comme ils nous ont donné celle du dix-huitième siècle, ravaudeurs éternels! » (p. 191)

«  […] la règle, pour nous, de toute poétique, de toute observation, de toute étude et même de toute langue, étant que tout ce qui est doit être exprimé. MM. de Goncourt pouvaient donc préférer à l'autre ce dix-neuvième siècle. Ils en avaient le droit... Seulement il faut porter dans les sujets bas des facultés d'autant plus hautes qu'ils sont plus bas, et que l'idéal dans le laid et dans le mauvais est aussi difficile à atteindre que dans le beau et dans le bon, et peut-être qu'il l'est beaucoup plus. » (p. 192)

«  Mais c'est tout autre chose aujourd'hui qu'ils font un roman, lequel, — comme tout roman, — doit être d'abord une idée, — puis une action, – et enfin un développement de nature humaine sous ses trente-six faces, avec un dénoûment qui éclaire le tout d'une suprême clarté ! » (p. 194)

« Et c'est le grand reproche, — et peut-être, après tout, le seul reproche que j'aie à faire à MM. de Concourt. Ils ne sont pas, ils ne seront pas des romanciers. Je ne les crois pas faits pour combiner et créer celte chose sévèrement ajustée, — l'organisme d'un livre. Ils sont des flâneurs qui regardent et s'enchantent par les yeux. Ils ne sont pas observateurs. Voir n'est pas regarder. » (p. 200)

M. Deltuf :
«  M. Deltuf, que je ne connais pas, mais que je crois un jeune homme à la jeunesse de certaines touches, appartient à cette génération d'écrivains de tempérament spiritualiste, pour qui les choses n'ont d'autre valeur et d'autre intérêt que ceux que leur donne l'âme humaine, et je lui en fais mon compliment, car ces écrivains-là sont dans la vérité. » (p. 206)

« Mais tout en les acquérant, qu'il garde, qu'il garde surtout cette légèreté qui n'est pas de notre temps, ce détaché, cet air de n'y pas tenir quand on est le plus spirituel, cette ironie qui envoie promener l'émotion, et cette émotion qui envoie promener l'ironie, qu'il garde cela, car c'est le meilleur de sa gerbe. » (pp. 210-211)

« A l'heure qu'il est, les livres les plus difficiles et les plus rares sont des livres légers, et, quand je dis légers, je ne dis pas inconsistants. Pourquoi le succès du Don Juan? C'est que le Don Juan est léger, quand Childe-Harold n'est que sublime. Pourquoi, malgré le plus immense talent, Chateaubriand, de solennité, finit-il par être insupportable?... […] je suis persuadé qu'un livre moderne, plein des choses modernes, qui aurait le bonheur d'être écrit avec la légèreté perdue des Mémoire du chevalier de Grammont, par exemple, nous paraîtrait un phénomène et nous tournerait la tête à tous, graves caboches du dix-neuvième siècle » (p. 210)

M Duranty :
« Le crime littéraire de l'école de M. Duranty est de méconnaître l'idéal. Son réalisme n'est rien autre chose que le mépris naturel de l'idéal, auquel la réflexion a ajouté le sien, dans l'impudence d'une théorie. Que ce soit par un fait d'organisation ou de prudence, il est des esprits qui ont des ailes à contre-sens, et qui au lieu d'être attirés vers les choses grandes, élevées, poétiques, descendent, croyant monter, vers les choses mesquines, prosaïques ou abjectes, s'imaginant, comme je l'ai dit déjà, que tout est plus vrai dans la vie à proportion que tout est moins beau. Erreur inouïe ! La beauté peut être plus rare, mais elle n'est pas moins vraie que la laideur. » (p. 232-233)

Deux romans scandaleux :
« Non, pour notre compte, nous n'admettons pas que ce soit vrai dans la vie et dans le roman, qui doit être la peinture idéalisée de la vie, tant de sagesse et de perfection d'un côté, de l'autre, tant de folie et tant de vice ! Et lorsque je dis perfection, je parle au point de vue du romancier lui-même [...] » (p. 246)

M. Malot et Erckmann-Chatrian :
« D'ici à bien peu de temps, le roman, qui déborde plus que jamais, deviendra une oeuvre de la plus affreuse difficulté. Pour toucher à ce genre de littérature, il faudra vraiment du génie. Fané par tant d'imaginations plus ou moins puissantes ou vulgaires, qui y touchent comme si, de talent, elles en avaient le droit, ce ne sera pas trop que du génie, — et beaucoup de génie, — pour raviver cette forme déjà usée et flétrie, sur laquelle des talents sans mâle invention et sans fécondité viennent passer leurs petites ardeurs. » (p. 233-234)

M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti :
« Ma poétique est que le droit du romancier et du poëte est de tout peindre en s'y prenant bien. Je ne crains pas plus l'inceste qu'autre chose dans un roman courageux, écrit pour les forts, et qui pourrait être d'une terrible et accablante moralité! Seulement, pour le risquer, il faut avoir dans des proportions exorbitantes ce qui manque à M. Bataille, et môme à M. Rasetti, mais principalement à M. Bataille, que je n'ai pas suivi dans les bois réels, mais dans le livre d'aujourd'hui, et qui, je l'ai dit, ne me fait pas l'effet d'avoir une autre morale que les Faunes pétulants dans le fond des bois ! » (p. 289)

« La pensée d'un livre, l'idée qu'il exprime, la notion de vérité qu'il laisse dans l'esprit, une fois l'émotion apaisée, toutes ces choses, les réalistes en font peu de cas. Peindre pour peindre, décrire pour décrire, voilà leur visée, une visée très courte, quand on l'entend comme eux, car ce n'est pas la main qui peint, c'est la tête. C'est la tête qui peint avec la main ! Dans un roman d'observation humaine et sociale, vous ne pouvez pas faire abstraction de tout ce qui n'est pas l'objet même de ce que vous devez peindre. La morale, la religion, la métaphysique, toutes les conditions de la nature intellectuelle pèsent sur vous. » (p. 292)

M. Théophile Gautier :
« M. Théophile Gautier, l'ornemaniste avant tout, le descriptif qui a tout décrit et qui semble trouver que le détail matériel n'est jamais assez montré, assez accusé dans les choses, très-papable, comme il l'a quelquefois prouvé, d'écrire un conte fantastique, parce que dans ce genre-là on se permet tout, M. Théophile Gautier n'est pas doué des dons énormes du romancier ou du poète dramatique. Il n'a ni la conception profonde et variée des caractères, ni l'intuition des situations, ni la puissance de la passion et de la vie. » (p. 299)

« Car voilà encore une troisième sensation désagréable que vous cause l'oeuvre hybride et indécise de M. Théophile Gautier! Quelle est la signification de son livre? Quel est le sens esthétique ou moral, mais quelconque, de ce livre sans caractère tranché, fait de miettes et de petits souvenirs rapprochés, qui ne sait être nettement ni un roman d'idée, comme Dan Quichotte, ni un roman de coeur, comme la Princesse de Clèves, ni un roman de nature humaine ou de moeurs, comme Gil Blas ni môme un roman d'aventure, comme le Roman comique de Scarron, car avec les comédiens qui emplissent le roman du Capitaine Fracasse, M. Gautier a touché à Scarron. Seulement, c'est un Scarron sérieux et solennel, qui n'aurait jamais trouvé Ragotin ! » (p. 302-303)

MĂ©moires d'une femme de chambre :
« Eh bien! ne craignons pas de l'affirmer, si la Critique, oubliant ses devoirs, n'intervient pas avec une cruauté salutaire et ne donne pas son coup de balai vengeur à cette dépravant littérature, non-seulement l'instinct littéraire, mais aussi l'instinct moral dans l'appréciation des oeuvres de l'esprit, seront avant peu, tous les deux, entièrement perdus. » (p. 321)

M. Prosper Mérimée :
« Rien, pourtant, ne semble avoir manqué à M. Mérimée, ni la science des faits et du pays, ni la connaissance de la langue russe, ni l'occasion de l'imitation qui lui est si chère, ni le talent qui se roidit pour être plus ferme, et qui croit se muscler en se faisant maigrir. Il a eu tout.... excepté ce qu'il fallait pour l'histoire, comme pour le roman, — la grande vocation, — la vocation incompatible, et qui, par cela seul qu'elle est incompatible, ne peut être qu'une, — jamais deux ! » (p. 336)

Edgar Poe :
« […] jamais les doctrines, ou plutôt l'absence de doctrines que nous combattons : l'égoïsme sensuel, orgueilleux et profond, l'immoralité par le fait, quand elle n'est pas dans la peinture et dans l'indécence du détail, le mépris réfléchi de tout enseignement, la recherche de l'émotion à outrance et à tout prix, et le pourlèchement presque bestial de la forme seule, n'ont eu dans aucun homme de notre temps, où que vous le preniez, une expression plus concentrée et plus éclatante à la fois que dans Edgar Poe et ses oeuvres. »

« Était-ce donc la peine d'avoir tant de facultés en puissance ? La curiosité et la peur ? Quoi ! dans ces Histoires extraordinaires, qui le sont bien moins par le fond des choses que par le procédé d'art du conteur, sur lequel nous reviendrons, et qui est, à la vérité, extraordinaire, il n'y a rien de plus élevé, de plus profond et de plus beau, en sentiment humain, que la curiosité et la peur, — ces deux choses vulgaires ! — La curiosité de l'incertain qui veut savoir et qui rôde toujours sur la limite de. deux mondes, le naturel et le surnaturel, s'éloignant de l'un pour frapper incessamment à la porte de l'autre, qu'elle n'ouvrira jamais, car elle n'en a pas la clef; et la peur, terreur blême de ce surnaturel qui attire, et qui effraye autant qu'il attire; car, depuis Pascal peut-être, il n'y eut jamais de génie plus épouvanté, plus livré aux affres de l'effroi et à ses mortelles agonies, que le génie panique d'Edgar Poe ! » (p. 344)

«  Ce procédé d'Edgar Poe est l'analyse, que jamais personne peut-être ne mania comme lui. Nous l'avons indiqué : maigre d'invention, exploitant seulement deux ou trois situations (pas plus ! ) de la même série excentrique, Poe fait son drame avec presque rien, et c'est tout. Mais pour le faire, ce drame, pour grossir cet atome en le décomposant, il se sert d'une analyse inouïe et qu'il pousse à la fatigue suprême, à l'aide d'on ne sait quel prodigieux microscope, sur la pulpe même du cerveau. » (p. 347)

« A nos yeux, à nous qui ne croyons pas que l'Art soit le but principal de la vie et que l'esthétique doive un jour gouverner le monde, ce n'est pas là une si grande perle qu'un homme de génie; mais nul n'est dispensé d'être une créature morale et bienfaisante, un homme du devoir social; c'est là une perle qu'on ne rachète point! Or, Edgar Poe ne le fut pas. » (p. 351)

G.-A. Lawrence :
« Car il est idéal ! Et voilà pourquoi, ne fût-il que cela, il faudrait l'aimer et l'applaudir ! L'auteur de Guy Livingstone est idéal de sentiment et d'expression, de société et de caractère, dans un temps où nous nous mourons du mal de coeur de la réalité, qu'on nous donne pour l'art ou la vie ; il est idéal, parce qu'il est un byronien d'abord et ensuite un dandy, préoccupé, comme tout dandy, de la beauté des attitudes de son orgueil ; il l'est encore parce que tous les caractères de son roman sont pris dans un milieu humain et social exceptionnel, parce que la high life est la vie des classes supérieures qui valent mieux que les autres, de cela seul (comme le mot le dit) qu'elles sont au-dessus. » (p. 358)

« Au moins, si les caractères créés par l'auteur de Guy Livingstone sont coupables, leurs fautes ou leurs crimes ont de la grandeur. S'ils n'ont pas cette moralité qui est le dernier degré de l'art et de la difficulté pour un romancier ou un poète, car l'homme qui se cherche dans tout ne s'intéresse guère à ce qui est irréprochable, au moins leur idéalité est-elle à moitié chemin de cette moralité, presque impossible à introduire dans un roman ou dans un poëme sans le plus rare et le plus incroyable génie, car Richardson lui-même, qui a créé Lovelace, a raté Grandisson ! »

« Tel est pourtant le dénoûment fort peu prévu, mais non inconséquent, du livre de M. Georges-Alfred Lawrence, de ce livre si profondément anglais jusqu'à sa concision, mais dont la conclusion est bien mieux qu'anglaise, puisqu'elle est chrétienne. » (p. 364)

Gogol :
« Jamais, en effet, auteur quelconque — poëte ou romancier — ne fut plus l'homme et même le serf de la réalité que ce Gogol, qui est, dit-on, le créateur et le fondateur d'une école de réalisme russe près de laquelle la nôtre — d'une assez belle abjection pourtant — n'est qu'une petite école... primaire ! Il paraîtrait que c'est une loi : les réalistes, comme les ours, viendraient mieux et seraient plus forts vers les pôles... Cette locution d'Âmes mortes qu'on pense tout d'abord être une manière de dire poétique et funèbre, toute pleine d'attirants mystères, n'est qu'un terme usuel en Russie, un terme vulgaire et légal... » (p. 368)

« Gogol est présentement un des hommes les plus célèbres de la Russie. Il en a été le scandale. Les uns trouvent qu'il a hideusement calomnié le pays qu'il a voulu peindre; les autres, qu'il l'a peint hideux, c'est vrai, mais ressemblant. Et ce n'est pas même hideux qu'il faut dire ! Le hideux a du relief, et la Russie de Nicolas Gogol n'en a pas. C'est le sublime de l'ennuyeuse platitude et dans des proportions tellement énormes et tellement continues, qu'on ne sait vraiment plus, au bout de quelque temps de lecture, lequel est le plus insupportable de la Russie ainsi peinte, ou du genre de talent de celui qui l'a peinte ainsi. » (p. 369)

« Les Âmes mortes, en effet, sont le déshonneur universel de la Russie, et jusque de sa nature extérieure, que le réaliste Gogol insulte par les descriptions qu'il en fait et les indignes objets auxquels il la compare. » (p. 370)

« Certes, on peut concevoir que, dans un but de moralité supérieure, un génie misanthropique ou indigné prenne un coquin pour héros de son livre et en dévoile Tidéal affreux, comme Vautrin, ou la réalité immensément comique, comme Panurge, mais pour cela il faut savoir individualiser. Pour nous, le Tchitchikoff des Ames mortes n'est qu'un prétexte, un vieux moyen pour faire tourner sous notre regard le panorama social, religieux, politique, administratif, de la Russie tout entière. Il est évident que l'auteur n'a pas eu la pensée de créer une individualité, en le créant. »

« On n'est pas une individualité parce qu'on est un voleur qui se lave les mains avec du sayon de France, parce qu'on ne porte que des habits roux à reflets d'or et qu'on se mouche en faisant grand bruit. Tout cela n'est pas d'une originalité si comique ! Serait-ce, par hasard, profond en Russie? Peut-être I mais chez nous, Français, les légers de l'Europe, nous appelons cela superficiel ! » (p. 372)

« Mais laissons les grands noms et les grands modèles. Laissons Cervantes, laissons Rabelais, Richardson et Fielding, et Molière et Balzac, et quand un homme n'est pas même Swift, ne tourmentons pas notre trompette de traducteur et soufflons dedans des airs plus doux. » (p. 374)

Jules Barbey d'Aurevilly, Les Diaboliques, Paris, Lemerre, 1874

Préface :
« Bien entendu qu'avec leur titre de DIABOLIQUES, elles n'ont pas la prétention d'être un livre de prières ou d'Imitation chrétienne… Elles ont pourtant été écrites par un moraliste chrétien, mais qui se pique d'observation vraie, quoique très hardie, et qui croit — c'est sa poétique, à lui — que les peintres puissants peuvent tout peindre et que leur peinture est toujours assez morale quand elle est tragique et qu'elle donne l'horreur des choses qu'elle retrace. Il n'y a d'immoral que les Impassibles et les Ricaneurs. Or, l'auteur de ceci, qui croit au Diable et à ses influences dans le monde, n'en rit pas, et il ne les raconte aux âmes pures que pour les en épouvanter. Quand on aura lu ces DIABOLIQUES, je ne crois pas qu'il y ait personne en disposition de les recommencer en fait, et toute la moralité d'un livre est là… » (pp. 1-2)

« Les DIABOLIQUES ne sont pas des diableries : ce sont des DIABOLIQUES, — des histoires réelles de ce temps de progrès et d'une civilisation si délicieuse et si divine, que, quand on s'avise de les écrire, il semble toujours que ce soit le Diable qui ait dicté !… Le Diable est comme Dieu. Le Manichéisme, qui fut la source des grandes hérésies du Moyen Age, le Manichéisme n'est pas si bête. Malebranche disait que Dieu se reconnaissait, à l'emploi des moyens les plus simples. Le Diable aussi. » (p. 3)

« On a voulu faire un petit musée de ces dames, — en attendant qu'on fasse le musée, encore plus petit, des dames qui leur font pendant et contraste dans la société, car toutes choses sont doubles ! L'art a deux lobes, comme le cerveau. La nature ressemble à ces femmes qui ont un oeil bleu et un oeil noir. Voici l'oeil noir dessiné à l'encre — à l'encre de la petite vertu. On donnera peut-être l'oeil bleu plus tard. Après les DIABOLIQUES, les CÉLESTES… si on trouve du bleu assez pur… Mais y en a-t-il » (p. 4)

Jules Barbey d'Aurevilly, Une vieille maîtresse, Paris, Achille Faure, 1866

Préface :
« […] un roman d'ancienne date, qui ose bien s'appeler UNE VIEILLE MAÎTRESSE, et dont le but a été de montrer non-seulement les ivresses de la passion, mais ses esclavages » (p. 8)

« L'auteur d'UNE VIEILLE MAÎTRESSE n'était donc alors, comme il n'est encore aujourd'hui, qu'un romancier qui a peint la passion telle qu'elle est et telle qu'il l'a vue ; mais qui, en la peignant, à toute page de son livre l'a condamnée. Il n'a prêché ni avec elle ni pour elle. Comme les romanciers de la Libre Pensée, il n'a pas fait de la passion et de ses jouissances, le droit de l'homme et de la femme et la religion de l'avenir » (p. 8)

« Oui, voilà la question ! Posée ainsi, elle est impertinente et comique. Voyez plutôt ! Dans la morale des Libres Penseurs, les Catholiques n'ont pas le droit de toucher au roman et à la passion, sous le prétexte qu'ils doivent avoir les mains trop pures, comme si toutes les blessures qui jettent du sang ou du poison n'appartenaient pas aux mains pures ! Ils ne peuvent pas toucher au drame non plus, car c'est de la passion encore. Ils ne doivent toucher ni à l'art, ni à la littérature, ni à rien, mais s'agenouiller dans un coin, prier et laisser le monde et la Libre Pensée tranquilles. Certes ! je le crois bien que les Libres Penseurs voudraient cela ! Si c'est bouffon par un côté, par l'autre une telle idée a sa profondeur. Je crois bien qu'ils aimeraient à se débarrasser de nous par un tel ostracisme, – à pouvoir dire nous ayant barré toutes les avenues toutes les spécialités de la pensée : « Ces misérables Catholiques ! sont ils en dehors de toutes les voies de l esprit humain ! » Mais franchement, il nous faut une autre raison que celle là, pour accepter, d'un coeur humble et docile, la leçon que les ennemis du Catholicisme ont la bonté de nous faire sur la conséquence catholique de nos actes et l'accomplissement de nos devoirs » (p. 9)

« Le Catholicisme n'a rien de prude, de bégueule, de pédant, d'inquiet. Il laisse cela aux vertus fausses, aux puritanismes tondus. Le Catholicisme aime les arts et accepte, sans trembler, leurs audaces. Il admet leurs passions et leurs peintures, parce qu'il sait qu'on en peut tirer des enseignements, même quand l'artiste lui-même ne les tire pas. » (p. 10)

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