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Photo de Marguerite DurasMarguerite Duras

(1914-1996)

Dossier

Le roman selon Marguerite Duras

Le roman selon Marguerite Duras, par Kiev Renaud, 9 janvier 2017

L'oeuvre de Marguerite Duras est cyclique, une construction immense et monstrueuse sur fond d'Indochine ou de bord de mer, oĂą les amants chinois, l'Ă©tranger aux yeux bleus cheveux noirs, Anne-Marie Stretter et AurĂ©lia Steiner nous attendent Ă  chaque tournant, tapis dans des chambres closes et des halls d'hĂ´tels particuliers. « [U]n livre dĂ©borde toujours sur l'autre » (Dumayet, 1999, p. 23), dit elle-mĂŞme Duras, qui fait de ces reprises le coeur de sa poĂ©tiqueĚý: « Il y a tout dans tous les livres. Ou bien alors je n'ai pas Ă©crit. » (Ceton, 2012, p. 26).ĚýCertains textes reprennent exactement la mĂŞme trame narrativeĚý:ĚýL'amant de la Chine du NordĚýest une rĂ©Ă©criture deĚýL'amant, qui faisait dĂ©jĂ  Ă©cho auĚýBarrage contre le PacifiqueĚý: « ce qu'il y a d'Ă©tonnant, c'est que les gens continuent Ă  lire. Ce qui prouve bien que cette histoire est inusable » (Duras, 2016, p. 387), ironise-t-elle.

MĂŞme lorsque l'intertextualitĂ© est moins flagrante, Duras vise Ă  atteindre une « virtualitĂ© du tout » (Ceton, p. 27), oĂą les thèmes et obsessions de son oeuvre sont toujours latents, oĂą les identitĂ©s et les intrigues se confondent. On peut reconnaĂ®tre par exemple Lol V. Stein dans tous les autres personnages fĂ©minins, et cela sans qu'elle soit explicitement nommĂ©eĚý: « Ce que je n'ai pas dit, c'est que toutes les femmes de mes livres, quel que soit leur âge, dĂ©coulent de Lol V. Stein. C'est-Ă -dire, d'un certain oubli d'elles-mĂŞmes. Elles ont toutes les yeux clairs. Elles sont toutes imprudentes, imprĂ©voyantes. Toutes, elles font le malheur de leur vie. » (Duras, 1987, p. 32-33) Ă€ Robbe-Grillet qui l'aurait accusĂ©e d'ĂŞtre rĂ©pĂ©titive, Duras rĂ©pondĚý: « Comme si insister sur certains sujets, de livre en livre, cela voulait forcĂ©ment dire manquer d'imagination. Tout texte nouveau que je fais remplace l'ancien, l'amplifie, le modifie. » (Duras et Della Torre, 2013, p. 86)Ěý

Marguerite Duras n'est pas seulement romancière, elle est aussi cinĂ©aste et dramaturge, et elle adapte elle-mĂŞme ses romans pour le théâtre ou le cinĂ©ma. Le fait qu'un mĂŞme texte puisse exister sous diverses formes renforce l'effet cyclique, surtout que l'oeuvre durassienne fonctionne comme un tout peu importe le mĂ©dium utilisĂ©Ěý:« Marguerite Duras. – Vous faites une diffĂ©rence entre mes livres et mes films ?/ĚýJean-Michel Frodon et Danièle Heymann. - Non… /Marguerite Duras. - Moi non plus. […]» (Duras, 2016, p. 393.)ĚýEn postface au recueil d'entretiensĚýLe dernier des mĂ©tiersĚý(2016), Sophie Bogaert note le refus de Duras « de se laisser circonscrire » (Duras, 2016, p. 417) : « elle dira tantĂ´t que l'Ă©criture de romans est supĂ©rieure Ă  tout tantĂ´t que rien ne vaut l'image cinĂ©matographique, tantĂ´t encore que la mise en scène de théâtre est une expĂ©rience irremplaçable. » (Duras, 2016, p. 419) Les rĂ©pĂ©titions et les contradictions font partie prenante de l'Ă©conomie durassienne. Ses entretiens sont particulièrement foisonnants en digressions, elle le reconnaĂ®tĚý: « Je m'Ă©loigne de vos questions, mais ça ne fait rien. On me dit que je ne rĂ©ponds jamais aux questions qu'on me pose. Ça ne fait rien. » (Duras, 1987, p. 472) Elle apparaĂ®t nĂ©anmoins très consciente de sa dĂ©marche artistique, accordant de nombreux et bavards entretiens, si bien qu'il est tout de mĂŞme possible de dĂ©gager une pensĂ©e du roman relativement cohĂ©rente.Ěý

Bibliographie :

  • CETON, Jean-Pierre.ĚýOn ne peut pas avoir Ă©crit Lol V. Stein et dĂ©sirer ĂŞtre encore Ă  l'Ă©crire, Paris, Bourin, 2012.Ěý
  • DUMAYET, Pierre.ĚýDits Ă  la tĂ©lĂ©vision, Paris, EPEL, coll. «ĚýAtelierĚý», 1999.Ěý
  • DURAS, Marguerite.ĚýL'amant de la Chine du Nord, Paris, Gallimard, 1991. Ěý
  • DURAS, Marguerite.ĚýLe dernier des mĂ©tiers, Paris, Seuil, 2016.
  • DURAS, Marguerite.ĚýOutsideĚý: suivi de Le monde extĂ©rieur, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1993.Ěý
  • DURAS, Marguerite.ĚýLa vie matĂ©rielle, Paris, P.O.L., 1987.Ěý
  • DURAS, Marguerite et Leopoldina DELLA TORRE.ĚýLa passion suspendue, Paris, Seuil, 2013.Ěý
  • DURAS, Marguerite et Xavière GAUTHIER.ĚýLes parleuses, Paris, Minuit, 1974.

Bibliographie

Ouvrages cités

DURAS, Marguerite.ĚýLe marin du Gibraltar, Paris, Gallimard, 1952.

DURAS, Marguerite et Michelle PORTE.ĚýLes lieux de Marguerite Duras, Paris, Minuit, 1977.

CETON, Jean-Pierre.ĚýOn ne peut pas avoir Ă©crit Lol V. Stein et dĂ©sirer ĂŞtre encore Ă  l'Ă©crire,ĚýParis, Bourin, 2012.

DURAS, Marguerite et Leopoldina DELLA TORRE.ĚýLa passion suspendue, Paris, Seuil, 2013.

DURAS, Marguerite et Dominique NOGUEZ.ĚýLa couleur des mots, Paris, BenoĂ®t Jacob, 2001.Ěý

DURAS, Marguerite.ĚýLa vie matĂ©rielle, Paris, P.O.L., 1987.Ěý

DURAS, Marguerite et Xavière GAUTHIER.ĚýLes parleuses, Paris, Minuit, 1974.

DURAS, Marguerite.ĚýLe dernier des mĂ©tiers, Paris, Seuil, 2016.

DURAS, Marguerite.ĚýLes yeux verts, Paris, Cahiers du CinĂ©ma, 1987.

DURAS, Marguerite.ĚýÉł¦°ůľ±°ů±đ, Paris, Gallimard, coll. «ĚýFolioĚý», 1993.

DURAS, Marguerite.ĚýOutsideĚý: suivi de Le monde extĂ©rieur, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1993.

DURAS, Marguerite.ĚýDĂ©truire, dit-elle, Paris, Minuit, 1969.

Citations

DURAS, Marguerite.ĚýLe marin du Gibraltar, Paris, Gallimard, 1952.

« C'est une femme romanesque. » (p.Ěý213)Ěý: « si on racontait cette histoire dans un livre, personne ne la croirait. » (p.Ěý213)

DURAS, Marguerite et Michelle PORTE.ĚýLes lieux de Marguerite Duras, Paris, Minuit, 1977.

« Mes amis me disentĚý: Tu ne vas pas recommencer encore avec… avec cette maison… Je ne sais pas de quoi partent les gens. Quand ils partent d'une histoire, je me mĂ©fie, d'une histoire faite, toute faite, voyez, dĂ©jĂ  avant d'Ă©crire, avec un commencement, un milieu, une fin, des pĂ©ripĂ©ties, je me mĂ©fie ; je ne sais jamais très bien oĂą je vais ; si je savais, je n'Ă©crirais pas, puisque c'est fait, ce serait fait ; je ne comprends pas comment on peut Ă©crire une histoire dĂ©jĂ  explorĂ©e, inventoriĂ©e, recensĂ©e, voyez, ça me semble d'une tristesse, je dois dire aussi d'une indigence… enfin… il ne s'agit sans doute pas de la mĂŞme Ă©criture. J'ai tort sans doute en ce moment quelque part. » (p.Ěý37)

« L'Ă©crit n'est pas bavard. Ce qui est bavard, c'est la parole parlĂ©e. La parole Ă©crite ne l'est jamais. Mais il y a quatre-vingt-dix pour cent de livres qui sont de la parole parlĂ©e. On sent bien d'ailleurs ce seuil, qu'on passe de certains livres Ă  d'autres, de certains films Ă  d'autres. » (p.Ěý91)

« Dans mon cinĂ©ma, bien sĂ»r, je ne fais aucun mouvement. Dans mes livres non plus, il y a de moins en moins de mouvements de style, je reste au mĂŞme endroit. J'Ă©cris et je filme au mĂŞme endroit. Quand je change d'endroit, c'est la mĂŞme chose. Je peux m'en expliquer pour le cinĂ©ma ; il y a beaucoup de choses que je peux expliquer pour le cinĂ©ma, pas du tout pour l'Ă©crit, voyez ? Et… oĂą ça reste très obscur pour moi, l'Ă©crit. Dans le cinĂ©ma, comme j'ai une sorte de dĂ©goĂ»t du cinĂ©ma qui a Ă©tĂ© fait, enfin de la majeure partie du cinĂ©ma qui a Ă©tĂ© fait, je voudrais reprendre le cinĂ©ma Ă  zĂ©ro, dans une grammaire très primitive… très simple, très primaire presqueĚý: ne pas bouger, tout recommencer. » (p.Ěý94)

« En tout cas, le cinĂ©ma que je fais, je le fais au mĂŞme endroit que mes livres. C'est ce que j'appelle l'endroit de la passion. LĂ  oĂą on est sourd et aveugle. Enfin, j'essaie d'ĂŞtre lĂ  le plus qu'il est possible. Tandis que le cinĂ©ma qui est fait pour plaire, pour divertir, le cinĂ©ma… comment l'appeler, je l'appelle le cinĂ©ma du samedi, ou bien le cinĂ©ma de la sociĂ©tĂ© de consommation, il est fait Ă  l'endroit du spectateur et suivant des recettes très prĂ©cises, pour plaire, pour retenir le spectateur le temps du spectacle. Une fois le spectacle terminĂ©, ce cinĂ©ma ne laisse rien, rien. C'est un cinĂ©ma qui s'efface aussitĂ´t qu'il est terminĂ© et j'ai l'impression que le mien commence le lendemain, comme une lecture. » (p.Ěý94)

« C'est sans doute l'Ă©tat que j'essaie de rejoindre quand j'Ă©cris ; un Ă©tat d'Ă©coute extrĂŞmement intense, voyez, mais de l'extĂ©rieur. […] je ne me possède plus du tout, je suis moi-mĂŞme une passoire, j'ai la tĂŞte trouĂ©e. » Ěý(p. 98)Ěý

« La prĂ©tention, c'est de croire qu'on est seul devant sa feuille alors que tout vous arrive de tous les cĂ´tĂ©s. Évidemment, les temps sont diffĂ©rents, ça vous arrive de plus ou moins loin, ça vous arrive de vous, ça vous arrive d'un autre, peu importe, ça vous arrive de l'extĂ©rieur. » (p.Ěý98-99)

« Ce qui vous arrive dessus dans l'Ă©crit, c'est sans doute tout simplement la masse du vĂ©cu, si on peut dire, tout simplement… Mais, cette masse du vĂ©cu, non inventoriĂ©e, non rationalisĂ©e, est dans une sorte de dĂ©sordre originel. On est hantĂ© par son vĂ©cu. Il faut le laisser faire. » (p.Ěý99)

« Ça n'a pas de sens, Lol V. Stein, voyez, ça n'a pas de signification. Lol V. Stein, c'est ce que vous en faites, ça n'existe pas autrement, je crois que je viens de dire quelque chose lĂ  sur elle. » Ěý(p. 101)Ěý

« La femme, c'est le dĂ©sir » ; « On n'Ă©crit pas du tout au mĂŞme endroit que les hommes. Et quand les femmes n'Ă©crivent pas dans le lieu du dĂ©sir, elles n'Ă©crivent pas, elles sont dans le plagiat.Ěý» (p. 102)

CETON, Jean-Pierre.ĚýOn ne peut pas avoir Ă©crit Lol V. Stein et dĂ©sirer ĂŞtre encore Ă  l'Ă©crire,ĚýParis, Bourin, 2012.

Ă€ propos deĚýł˘'˛ąłľ´ÇłÜ°ůĚý: « C'est effectivement un livre qui porte en lui, moi je dirais, cent livres, voyez, ou mille, mais en tout cas tous les autres que j'ai Ă©crits moi. Et puis d'autres aussi peut-ĂŞtre, que d'autres ont Ă©crits. » (p. 27)

« Ce qu'on Ă©crit, c'est une sorte de durĂ©e, de durĂ©e constante, toujours Ă©gale, qui est celle de la mer, celle du temps qui passe, de l'Ă©tĂ©, de cette espèce de temps très ludique, très fugace, tragique, de l'Ă©tĂ©, c'est ça qui compte. /Ce qui se greffe lĂ -dessus, c'est ce qu'on appelle l'Ă©vĂ©nement. /Il est traitĂ© aussi, mais avec une Ă©criture beaucoup plus littĂ©rale… Tandis que le fond, le fond de l'Ă©crit il est lĂ  ne trouve, peut-ĂŞtre plus fou, comme disait une de nos amies, avec plus de folie… » (p.Ěý50)

« l'immensité de Proust, elle est comme ça, un peu océane, rien n'est cerné tout à fait, rien n'est concluant… /Tout est une proposition de lecture plutôt qu'une lecture très arrêtée, très délimitée, c'est un territoire ouvert les livres de Proust. C'est là où il est très, très grand. Rien n'est clos. » (p. 69)

« Jean-Pierre CetonĚý: Il arrive qu'on parle d'univers proustien, comme on pourrait dire univers durassien. Ça veut dire quelque chose pour vous l'univers durassien ?
Marguerite DurasĚý: Je crois, oui… Ça veut dire subissement de quelque chose en tout cas. […] Oui, cette chose dont je ne peux pas me dĂ©faire, dont je ne peux pas sortir, c'est carcĂ©ral, c'est sĂ»r. » (p. 69)

DURAS, Marguerite et Leopoldina DELLA TORRE.ĚýLa passion suspendue, Paris, Seuil, 2013.

« [QuestionĚý:] L'expĂ©rience du PCF a conditionnĂ© votre travail ? [RĂ©ponseĚý:]ĚýSi ç'avait Ă©tĂ© le cas, je n'aurais pas Ă©tĂ© un vĂ©ritable Ă©crivain. Quand j'Ă©cris, j'oublie toute idĂ©ologie, toute mĂ©moire culturelle. Il n'y a peut-ĂŞtre que dansĚýUn barrage contre le PacifiqueĚýque se trouve quelque chose de politiqueĚý: dans les monologues de la misère, dans la description de la colonie. Mais il s'agit toujours de la dialectique intime d'une femme dĂ©sespĂ©rĂ©e. Je crois qu'on n'Ă©crit pas pour donner des messages aux lecteursĚý: on le fait en regard de soi-mĂŞme, en rompant avec les styles qui nous ont prĂ©cĂ©dĂ©s, en les rĂ©inventant chaque fois. Vous connaissez un Ă©crivain du Parti qui ait fait ça, vous ? Et ne venez pas me parler du surrĂ©alisme d'AragonĚý: il Ă©crivait bien, point final. Mais il n'a rien changĂ©, il est demeurĂ© un fidèle reprĂ©sentant du Parti, qui savait charmer avec des mots. » (p.Ěý38)

« [QuestionĚý:] Quelle image avez-vous de l'avenir et des progrès de l'humanité ? [RĂ©ponseĚý:]ĚýLa robotisation, la tĂ©lĂ©communication, l'informatisation Ă©pargnent Ă  l'homme tout effort en finissant par Ă©mousser ses capacitĂ©s de crĂ©ation. Le risque est celui d'une humanitĂ© aplatie, sans mĂ©moire. Mais parler des problèmes de l'humanitĂ©, cela ne veut rien direĚý: la bataille incessante, jour après jour, on la mène avec soi, par la tentative de rĂ©soudre son irrĂ©solubilitĂ©. Ou par le fait de se trouver comme toujours face au problème de Dieu. » (p.Ěý47)

Ěý« [QuestionĚý:] Quelles sont les raisons qui vous ont poussĂ©e Ă  Ă©crire ? [RĂ©ponseĚý:]ĚýLe besoin de restituer sur la feuille blanche quelque chose dont je ressentais l'urgence sans avoir la force de le faire complètement. Je lisais beaucoup, Ă  cette Ă©poque, et, inĂ©vitablement, la hâte d'Ă©crire Ă©tait telle que je ne me rendais pas compte de tout ce qui m'influençait. Ce n'est qu'avec le deuxième livre que l'on commence Ă  voir clair dans la direction de son Ă©criture, Ă  travers le lent dĂ©tachement par rapport Ă  la fascination queĚý±ô'ľ±»ĺĂ©±đĚýde la littĂ©rature exerce sur nous. » (p.Ěý51)

« Un barrage contre le PacifiqueĚý´ÇłÜĚýLes Petits Chevaux de TarquiniaĚýsont encore des livres tropĚýpleins, oĂą tout, trop estĚýdit. Rien n'est laissĂ© Ă  l'imagination du lecteur » (p. 52. C'est l'auteure qui souligne.)Ěý

« J'ai mĂŞme eu envie de me tuer [après avoir vĂ©cu un amour passionnel et violent], et ça a changĂ© ma façon mĂŞme de faire de la littĂ©ratureĚý: c'Ă©tait comme de dĂ©couvrir les vides, les trous que j'avais en moi, et de trouver le courage de les dire. La femme deĚýModerato cantabileĚýet celle deĚýHiroshima mon amour, c'Ă©tait moiĚý: extĂ©nuĂ©e par cette passion que, ne pouvant me confier par la parole, j'ai dĂ©cidĂ© d'Ă©crire, presque avec froideur. » (p.Ěý53)

« [QuestionĚý:] Avez-vous envie d'indiquer pourĚýł˘'´ˇłľ˛ą˛ÔłŮĚýtelle ou telle clĂ© d'interprĂ©tation ? [RĂ©ponseĚý:]ĚýC'est un roman, point final. Qui ne conduit, qui ne va nulle part. L'histoire ne se conclut pas, c'est seulement le livre qui s'arrĂŞte. L'amour, la jouissance, ce ne sont pas des “histoires”, et l'autre lecture, la lecture plus profonde, si elle existe, n'apparaĂ®t pas. Chacun peut choisir de l'entrevoir. » (p.Ěý56-57)

« [QuestionĚý:] Quels sont, selon vous, les changements les plus radicaux qui ont eu lieu dans votre style, Ă  partir deĚýł˘'´ˇłľ˛ą˛ÔłŮ ?Ěý°Ú¸éĂ©±č´Ç˛Ô˛ő±đĚý:±ŐĚýAucun. Mon Ă©criture est la mĂŞme depuis toujours. Ici, tout au plus, je me laisse aller sans crainte. Les gens maintenant n'ont plus peur de ce qui, en apparence en tout cas, semble incohĂ©rent. » (p.Ěý57)

Elle a fait une adaptation deĚýLa Maladie de la MortĚýpour Berlin et dit ĂŞre tombĂ©e dans le piège de donner une « forme “construite” Ă  un texte qui ne devait pas en avoir, un texte qui ne sera jamais “accompli”, et que c'Ă©tait justement de cet inachèvement qu'il tirait sa force. J'avais l'impression d'ĂŞtre victime d'une fatalitĂ© formelle et j'ai rĂ©Ă©crit trois fois l'adaptation sans trouver d'issue. » (p.Ěý60)

« C'est vrai, tous mes livres naissent et se meuvent prĂ©cisĂ©ment autour d'une case toujours Ă©voquĂ©e et toujours manquante. » Ěý(p. 65)

« [QuestionĚý:] Croyez-vous dans la psychanalyse ? [RĂ©ponseĚý:]ĚýFreud est un grand Ă©crivain, facile, si l'on veut. Quant au freudisme, c'est une discipline embaumĂ©e qui tourne sur elle-mĂŞme, elle emploie une langue fausse par rapport au code normal, interfĂ©rant de moins en moins sur le monde extĂ©rieur. Tout compte fait, la psychanalyse m'intĂ©resse peu. Je ne crois pas que j'en aie besoin, peut-ĂŞtre aussi parce que j'Ă©cris. Mais au malade mental je ne pense pas qu'il suffise de la conscience de sa propre nĂ©vrose pour guĂ©rir. » (p.Ěý66)

« Tant qu'il ne voit pas le jour, le livre est quelque chose d'informe qui a peur de naĂ®tre, de sortir. Comme un ĂŞtre qu'on porte Ă  l'intĂ©rieur de soi, il rĂ©clame de la fatigue, du silence, de la solitude, de la lenteur. Mais une fois sorti, tout ça disparaĂ®tra, en un Ă©clair. » (p.Ěý67)

Ă€ propos deĚýL'amour:Ěý« Ce n'est pas une histoire d'amour, mais de tout ce qui, dans la passion, reste suspendu, dans l'impossibilitĂ© d'ĂŞtre nommĂ©. Le sens du livre est entièrement lĂ , dans cette ellipse. » Ěý(p. 68)Ěý

« [QuestionĚý:] Les espaces vides entre un fragment et l'autre, ce que vous appelez des “blancs typographiques” (comme du reste l'Ă©cran noir qui rythme certains de vos films), et puis les silences qui, sur la page comme sur la pellicule, succèdent au dialogue, les intermittences du discours, dĂ©tachent la parole mĂŞme de son contexte habituel, crĂ©ant ainsi une nouvelle sĂ©mantique. [RĂ©ponseĚý:]ĚýC'est une rupture des automatismes du langage, une purification de l'usure du temps. » (p.Ěý69)

« Ce n'est que du manque, des trous qui se creusent dans un enchaĂ®nement de significations, des vides que peut naĂ®tre quelque chose. » (p.Ěý70)

Ă€ propos deĚýL'homme sans qualitĂ©sĚýde Musil : « Regardez le rapport entre le frère et la soeur, oĂą le sexe, Ă©voquĂ© par la parole, ne se matĂ©rialise jamaisĚý: comme si ce n'Ă©tait qu'ainsi, au seuil du dicible, que l'on pouvait faire de la littĂ©rature » (p. 71).Ěý

« [QuestionĚý:] La mĂ©moire, les digressions, les flash-backs ont toujours fait partie intĂ©grante de la structure narrative de vos oeuvres. [RĂ©ponseĚý:]ĚýOn pense souvent que la vie est chronologiquement scandĂ©e par des Ă©vĂ©nements ; en rĂ©alitĂ©, on ignore leur portĂ©e. C'est la mĂ©moire qui nous en redonne le sens perdu. Et pourtant, tout ce qui reste visible, disciple, c'est souvent le superflu, l'apparence, la surface de notre expĂ©rience. Le reste demeure Ă  l'intĂ©rieur, obscur, fort au point de ne mĂŞme plus pouvoir ĂŞtre Ă©voquĂ©. Plus les choses sont intenses, plus il leur devient difficile d'affleurer dans leur entièretĂ©. Travailler avec la mĂ©moire au sens classique ne m'intĂ©resse pasĚý: il ne s'agit pas d'archives oĂą puiser des donnĂ©es Ă  notre guise. L'acte mĂŞme d'oublier, de plus, est nĂ©cessaire absolumentĚý: si 80Ěý% de ce qui nous arrive n'Ă©tait pas refoulĂ©, vivre serait insoutenable. C'est l'oubli, le vide, la mĂ©moire vĂ©ritableĚý: celle qui nous permet de ne pas succomber Ă  l'oppression du souvenir, des souffrances aveuglantes et que, heureusement on a oubliĂ©es. » (p.Ěý72-73)

« [QuestionĚý:] Citant Flaubert et avec lui une grande partie de la tradition littĂ©raire contemporaine, Jacqueline Risset a parlĂ© de votre oeuvre comme une sĂ©rie ininterrompue de “'Livres sur rien”'. Des romans construits justement sur le nĂ©ant. [RĂ©ponseĚý:]ĚýÉł¦°ůľ±°ů±đ, ce n'est pas raconter une histoireĚý: mais Ă©voquer ce qui l'entoure on crĂ©e autour de l'histoire un instant après l'autre. Tout ce qu'il y a, mais qui pourrait aussi ne pas y avoir, ou ĂŞtre interchangeable, comme les Ă©vĂ©nements de la vie. L'histoire et son irrĂ©alitĂ©, ou son absence. » (p.Ěý73)

« Le conditionnel rend mieux que tout autre mode l'idée de l'artifice qui sous-tend la littérature comme le cinéma. Tout événement apparaît comme la conséquence potentielle, hypothétiques, de quelque chose d'autre. En jouant, conscients jusqu'au bout de la fiction et en même temps de la légèreté du jeu, les enfants conjuguent constamment les verbes au conditionnel. » (p. 73)

« [QuestionĚý:] L'usage que vous faites du langage semble puiser, plutĂ´t que dans des formules rares et prĂ©cieuses, dans un certain parler courant, nerveux. [RĂ©ponseĚý:]ĚýIl se produit en moi un processus automatique d'Ă©puration et de contraction du matĂ©riau linguistique. Une aspiration Ă  l'Ă©conomie de l'Ă©criture, Ă  un espace gĂ©omĂ©trique oĂą se tient toute parole, dans sa nuditĂ©. » (p.Ěý74)

« [QuestionĚý:] Dans vos derniers romans,ĚýLes yeux bleus, cheveux noirs et Emily L.Ěý(et encore plus dans votre cinĂ©ma, grâce Ă  l'emploi des voix “off”), vous utilisez la technique de ce qu'on appelle la “double narration”. La narratrice est quelqu'un qui, tout en Ă©tant Ă  la première personne impliquĂ©e dans l'histoire, assiste Ă  une autre histoire qui se dĂ©roule simultanĂ©ment. Le point de vue est donc dĂ©viĂ©, dĂ©doublĂ©, par rapport au noyau narratif. [RĂ©ponseĚý:]ĚýCe qui parvient au lecteur n'est jamais le rĂ©cit direct, le compte-rendu brut de ce qui est arrivĂ©. Tout au plus l'Ă©motion, le rĂ©sidu sublimĂ©. N'est-ce pas comme ça que ça se passe quand nous racontons nos °ůĂŞ±ą±đs ? » (p.Ěý75)

« J'ai toujours pensĂ© que l'amour se faisait Ă  troisĚý: un oeil qui regarde, pendant que le dĂ©sir circule de l'un Ă  l'autre. La psychanalyse parle de rĂ©pĂ©tition contrainte de la scène primitive. Moi, je parlerais de l'Ă©criture comme troisième Ă©lĂ©ment d'une histoire. D'ailleurs, nous ne coĂŻncidons jamais entièrement avec ce que nous faisons, nous ne sommes pas entièrement lĂ  oĂą nous croyons ĂŞtre. Entre nous et nos actions, il y a un Ă©cart, et c'est Ă  l'extĂ©rieur que tout se passe. Les personnages regardent en sachant qu'ils sont Ă  leur tour regardĂ©s. Ils sont exclus et, en mĂŞme temps, inclus dans la “scène primitive” qui se dĂ©roule une fois encore, devant eux. » (p.Ěý76)

« Les Ă©vĂ©nements de notre vie ne sont jamais uniques et ils ne se succèdent pas non plus de façon univoque, comme nous le souhaiterions. Multiples, irrĂ©ductibles, ils se rĂ©percutent Ă  l'infini dans la conscience, ils vont et viennent de notre passĂ© Ă  l'avenir, en se rĂ©pondant comme l'Ă©cho, comme les ronds dans l'eau, et en s'entre-Ă©changeant chaque fois. » Ěý(p. 77)

« Tous les Ă©crivains, qu'ils le veuillent ou non, parlent d'eux-mĂŞmes. D'eux comme de l'Ă©vĂ©nement principal de leur vie. La mĂŞme oĂą, apparemment, nous racontons des choses Ă©trangères Ă  nous, c'est notre moi, ce sont nos obsessions qui sont impliquĂ©es. » (p.Ěý79-80)

« Oui, les vrais Ă©crivains sont nĂ©cessaires. Ils donnent une forme Ă  ce que les autres sentent de manière informeĚý: c'est pour ça que les rĂ©gimes totalitaires les bannissent. » (p.Ěý83)

« [QuestionĚý:] Quelle est selon vous la tâche de la littĂ©rature ? [RĂ©ponseĚý:]ĚýDe reprĂ©senter l'interdit. De dire ce que l'on ne dit pas normalement. La littĂ©rature doit ĂŞtre scandaleuseĚý: toutes les activitĂ©s de l'esprit, aujourd'hui, doivent avoir affaire au risque, Ă  l'aventure. Le poète mĂŞme est en soi ce risque mĂŞme, quelqu'un qui, contrairement Ă  nous, ne se dĂ©fend pas de la vie. » (p. 83)

« [i]l y a un rapport intime et naturel qui depuis toujours lie la femme au silence et donc Ă  la connaissance et Ă  l'Ă©coute de soi. Cela conduit son Ă©criture Ă  cette authenticitĂ© qui fait dĂ©faut Ă  l'Ă©criture masculine, dont la structure renvoie trop Ă  des savoirs idĂ©ologiques, thĂ©oriques. » (p. 83)Ěý

Ěý« Par Ă©criture masculine, j'entends celle qui est trop alourdie par l'idĂ©e. Proust, Stendhal, Melville, Rousseau n'ont pas de sexe. » Ěý(p. 84)Ěý

Le Nouveau RomanĚý: « Aucun d'entre eux en tout cas n'Ă©crira jamais un livre commeĚýLe Ravissement de Lol V. Stein. » (p. 87) Elle rĂ©fère plus prĂ©cisĂ©ment Ă  Philippe Sollers, Michel Tournier, Michel Leiris et Michel Butor.

« [QuestionĚý:] Que pensez-vous de la littĂ©rature engagĂ©e, comme celle d'Albert Camus ? [RĂ©ponseĚý:]ĚýJe vous l'ai dit, les contemporains m'ennuient. Dans la plupart des cas. Je devinais que ses livres avaient Ă©tĂ© construits de la mĂŞme manière, selon le mĂŞme artifice, la mĂŞme visĂ©e moralisante. La seule idĂ©e qu'on puisse penser la littĂ©rature comme un moyen d'Ă©tayer une thèse m'assomme. » (p.Ěý88)

• « Ce qui, du reste, me rapproche des autres femmes qui Ă©crivent (qui Ă©crivent vraiment, Ă  partir de Colette), c'est cette manière de me sentir “un enfant terrible” de la littĂ©rature. La critique a toujours censurĂ© tout ce qui Ă©mane de certains domaines du fĂ©mininĚý: le thème de l'amour, la confession, l'autobiographie. Pendant des annĂ©es, la transgression de la femme s'est exprimĂ©e et cantonnĂ©e dans la poĂ©sieĚý: j'ai voulu la transfĂ©rer dans le roman, et beaucoup de ce que j'ai fait, je crois, est rĂ©volutionnaire. » (p.Ěý92-93)

« Ma littĂ©rature s'est imposĂ©e d'elle-mĂŞme. Les doutes, si j'en avais, concernaient l'Ă©criture mĂŞme, pas le sujet de mes livresĚý: il me suffisait que, sans mĂŞme devoir les imposer, certaines choses se produisent dans la tĂŞte des gens. » (p.Ěý93)

« Une foule de vieux lecteurs me reprochent de “ne pas ĂŞtre aussi simple qu'autrefois”. Je ne peux pas leur donner tortĚý:ĚýL'Amant, La Maladie de la mort, Émily L.Ěýsont des livres difficiles, on procède par ellipses, silences, sous-entendus. Une complicitĂ© presque amoureuse est nĂ©cessaire entre le texte et le lecteur, qui puisse dĂ©passer une simple comprĂ©hension des phrases en elles-mĂŞmes. » (p.Ěý94)

« Je pensais qu'il Ă©tait nĂ©cessaire de dĂ©truire le savoir, de s'en libĂ©rer pour pouvoir le recrĂ©er. Maintenant je crois qu'on ne doit dĂ©chirer les livres qu'après avoir Ă©normĂ©ment lu. Et puis, tout de suite après, les entasser. » (p.Ěý95)

« Le hĂ©ros du roman traditionnel, balzacien, possède une identitĂ© Ă  lui, lisse, inoxydable, prĂ©Ă©tablie par le narrateur. Mais l'ĂŞtre humain n'est qu'un simple faisceau de pulsions dĂ©connectĂ©esĚý: et c'est tel que la littĂ©rature doit le restituer. » (p. 100)

Ěý« Je les saisis Ă  ce stade inachevĂ© de leur construction et dĂ©construction, parce que ce qui m'intĂ©resse, c'est l'Ă©tude de la fĂŞlure, des vides impossibles Ă  combler qui se creusent entre le mot et le geste, des rĂ©sidus entre ce qui est dit et ce que l'on tait. » (p. 100)

« Oui, les femmes sont les vĂ©ritables dĂ©positaires d'une ouverture totale vers l'extĂ©rieur, la vie, la force dĂ©bordante de la passion. » (p. 101)Ěý

« Si j'avais fait des films “fĂ©minins”, j'aurais trahi les deux instancesĚý: le fĂ©minin et le cinĂ©ma. La femme doit de toute façon renoncer — sauf pour ce qui est de l'ironie particulière, du regard particulier qu'elle porte elle seule sur les choses — Ă  la part fĂ©minine en elle. /ĂŠtre auteur, et puis c'est tout. En dĂ©passant l'aliĂ©nation de son rĂ´le qui depuis toujours la renforce, mais aussi la trahit. » (p.Ěý120)

« VĂ©hiculer et diffuser des messages avec le cinĂ©ma sont plus faciles qu'avec des livresĚý: l'image simplifie ce que la lecture rend ennemi. Mes films ont tous une nature politique, mais ils ne parlent pas de politique, ils n'avancent pas de thèse. » (p.Ěý120)

Ă€ propos des adaptations de ses romans au cinĂ©ma : « [e]n s'appropriant des histoires et en les rĂ©inventant sous forme romanesque, sans comprendre qu'il s'agissait de points de dĂ©part, d'Ă©vocations fondĂ©es plus sur la rĂ©duction ou la suspension que sur la saturation de la narration. Ils ont voulu remplir les vides de l'Ă©crit. Mais la parole, de cette façon, perdait toute son intensitĂ©Ěý: l'image Ă©tait lĂ  prĂ©cisĂ©ment pour se substituer Ă  elle, pour illustrer l'histoire en supplĂ©ant Ă  cet appauvrissement. » (p. 121)Ěý
Ěý

Ěý« La Maladie de la mortĚý[est] entièrement construit sur les espaces blancs, les pauses, les vides, le bruit de la mer, la lumière, le vent. » (p. 130)Ěý

« Le dĂ©sir est une activitĂ© latente et en cela il ressemble Ă  l'Ă©critureĚý: on dĂ©sire comme on Ă©crit, toujours. /D'ailleurs, quand je suis en passe d'Ă©crire, je me sens plus envahie par l'Ă©criture que quand je le fais vraiment. Entre dĂ©sir et jouissance, il y a la mĂŞme diffĂ©rence qu'entre le chaos primitif de l'Ă©crit — total, illisible — et le rĂ©sultat final de ce qui, sur la page, s'allège, s'Ă©claire. /Le chaos est dans le dĂ©sir. La jouissance n'est que cette infime part de ce que nous sommes parvenus Ă  atteindre. Le reste, l'Ă©normitĂ© de ce que nous dĂ©sirons, reste lĂ , perdu Ă  jamais. » (p.Ěý138)

« ils [les jeunes qui l'entourent] me plaisent, quoique j'aie l'impression de n'avoir pas grand-chose Ă  leur apprendre. Pas mĂŞme une thĂ©orie du roman… » (p.Ěý147)

DURAS, Marguerite et Dominique NOGUEZ.ĚýLa couleur des mots, Paris, BenoĂ®t Jacob, 2001.

« Le mot dont j'ai le plus horreur dans la langue française et, je pense, dans toutes les langues, c'est le motĚý°ůĂŞ±ą±đ. Je n'ai jamais rĂŞvĂ©, c'est pour cela que j'ai Ă©crit. » (p.Ěý199)

« Pourquoi le °ůĂŞ±ą±đ ? Parce que c'est le grand alibi, le °ůĂŞ±ą±đ, de la pensĂ©e. C'est de la pornographie. C'est l'empĂŞchement Ă  passer Ă  l'action, en politique par exemple, c'est le grand ennemi. Surtout, mais surtout, ça n'existe pas. On ne °ůĂŞ±ą±đ jamais. /Il n'y a d'intĂ©ressant que ce qui se passe en soi et qui n'est donc pas de nature narrative. On ne peut pas raconter ça. /Il y a certains mots, mĂŞme dans la vie quotidienne, qui sont des mots-clĂ©s, isolĂ©s de toute grammaireĚý: le motĚýnuitĚýpar exemple,ĚýsoleilĚýetĚýnuit, le motĚýtemps, le motĚýtravail, le motĚýtable,Ěýmaison, le motĚýmort, le motĚývent, fleuve, plat, platitude, mer, platitude, sable, immensitĂ©, manger. » (p.Ěý199)

DURAS, Marguerite. La vie matérielle, Paris, P.O.L., 1987.

« Éł¦°ůľ±°ů±đ ce n'est pas raconter des histoires. C'est le contraire de raconter des histoires. C'est raconter tout Ă  la fois. C'est raconter une histoire et l'absence de cette histoire. C'est raconter une histoire qui en passe par son absence. Lol V. Stein est bâtie par le bal de S. Thala. Lol V. Stein est bâtie par le bal de S. Thala. » (p.Ěý32)

« Le Ravissement de Lol V. SteinĚýest un livre Ă  part. Un livre seul. Qui opère Ă  lui seul une sĂ©paration entre certains lecteurs-auteurs qui ont adhĂ©rĂ© Ă  la folie de L. V. Stein et les autres lecteurs du livre. » (p.Ěý32)

« Ça arrive dans un livre, Ă  un tournant de phrase, vous changez le sujet du livre. Sans vous en apercevoir, vous levez les yeux vers votre fenĂŞtreĚý: le soir est lĂ .Ěý Vous vous retrouvez le lendemain matin devant un autre livre. Les tableaux, les Ă©crits ne se font pas en toute clartĂ©. Et toujours les mots manquent pour le dire, toujours. » (p.Ěý35)

« Je suis la seule Ă  savoir de quel bleu est l'Ă©charpe bleue de cette jeune femme dans ce livre. Mais il y a des manques graves, celui-ci ne l'est pas. Par exempleĚý: je suis la seule aussi Ă  voir son sourire et son regard. Je sais que jamais je ne pourrai vous le dĂ©crire. Vous le faire voir. Jamais personne. » (p.Ěý46)

« Or moi, Lol V. Stein, je ne peux la saisir que lorsqu'elle est engagĂ©e dans une action avec un autre personnage, que je l'Ă©coute et que je la regarde. Elle n'est jamais corps contre corps avec moi comme l'est le Vice-Consul. Un texte c'est un tout qui avance ensemble, ça ne se pose jamais comme un problème de choix. » (p.Ěý36)

Ěý« MĂŞme si je dĂ©couvre Ă  la fin d'un livre que tel personnage a aimĂ© tel autre personnage et non pas celui que je dĂ©signe, je ne modifierai pas le passĂ© du livre, ce qui est dĂ©jĂ  Ă©crit, mais plutĂ´t son avenir. » (p.Ěý37)

« J'ai beaucoup parlĂ© de l'Ă©crit. Je ne sais pas ce que c'est. » (p.Ěý37)

« L'Ă©crivain qui n'a pas connu de femmes, qui n'a jamais touchĂ© le corps d'une femme, qui n'a peut-ĂŞtre jamais lu des livres de femmes, des poèmes Ă©crits par des femmes et qui croit cependant avoir fait une carrière littĂ©raire, il se trompe. » (p.Ěý41) « Roland Barthes a dĂ» ĂŞtre adulte tout de suite après l'enfance. Les dangers de l'adolescence, il ne les a pas traversĂ©s. » (p.Ěý42)

« Je suis la seule Ă  savoir de quel bleu est l'Ă©charpe bleue de cette jeune femme dans ce livre [Lol V. Stein]. Mais il y a des manques graves, celui-ci ne l'est pas. Par exempleĚý: je suis la seule aussi Ă  voir son sourire et son regard. Je sais que jamais je ne pourrai vous le dĂ©crire. Vous le faire voir. Jamais personne. » Ěý(p. 46)Ěý

« On ne peut pas comprendre d'ailleurs ces livres-lĂ  [en l'occurrenceĚýL'amant, La maladie de la mortĚýetĚýL'homme Atlantique]. Ce n'est pas le mot. Il s'agit d'une relation privĂ©e, entre le livre et le lecteur. On se plaint et on pleure, ensemble ». (p. 83)Ěý

« Je n'ai pas d'histoire. De la mĂŞme façon que je n'ai pas de vie. Mon histoire, elle est pulvĂ©risĂ©e chaque jour, Ă  chaque seconde de chaque jour, par le prĂ©sent de la vie, et je n'ai aucune possibilitĂ© d'apercevoir clairement ce qu'on appelle ainsiĚý: sa vie. Seule la pensĂ©e de la mort me rassemble ou l'amour de cet homme et de mon enfant. J'ai toujours vĂ©cu comme si je n'avais aucune possibilitĂ© de m'approcher d'un modèle quelconque de l'existence. Je me demande sur quoi se basent les gens pour raconter leur vie. C'est vrai qu'il y a tellement plus de modèles de rĂ©cits qui sont faits Ă  partir de celui de la chronologie, des faits extĂ©rieurs. On prend ce modèle-lĂ  en gĂ©nĂ©ral. On part du commencement de sa vie et sur les rails des Ă©vĂ©nements, les guerres, les changements d'adresse, les mariages, on descend vers le prĂ©sent. » (p.Ěý88)

« ce que je veux raconter c'est une histoire d'amour qui est toujours possible mĂŞme lorsqu'elle se prĂ©sente comme impossible aux yeux des gens qui sont loin de l'Ă©criture — l'Ă©criture n'Ă©tant pas concernĂ©e par ce genre du possible ou non de l'histoire. » (p.Ěý89)

« Si d'Ă©crire faux, mĂŞme Ă  peine faux, me fait tellement d'effet, c'est que cela doit m'arriver rarement. Je suis sans doute encore trop sous le coup de l'Ă©criture de ce livre pour le savoir. Il faut que je revienne Ă  des sentiments meilleurs envers le livre, que je ne le traite plus comme un objet blessant, hostile, une arme dirigĂ©e contre moi. Qu'est-ce qui est arrivĂ©. C'est comme si j'apprenais que tout ne peut pas relever de l'Ă©criture, que celle-ci s'arrĂŞte qu'on le veuille ou non devant des portes qui sont fermĂ©es alors que je crois le contraire, qu'elle traverse tout, les portes fermĂ©es aussi, peu importe la raison pourquoi. Il y a quelque chose dans ce livre comme un essayisme larvĂ© Ă  la Barthes, j'ai des idĂ©es, et j'en fais montre et le roman est, parfois,ĚýÂáłÜ˛őłŮľ±´Úľ±Ă©Ěýcomme ceux des prix littĂ©raires. » (p.Ěý90)

« Rendre au silence une conduite masculine est beaucoup plus difficile, beaucoup plus faux, parce que les hommes, ce n'est pas le silence. Dans les temps anciens, dans les temps reculĂ©s, depuis des millĂ©naires, le silence c'est les femmes. Donc la littĂ©rature c'est les femmes. Qu'on y parle d'elles ou qu'elles le fassent, c'est elles. » (p.Ěý104)

DURAS, Marguerite et Xavière GAUTHIER.ĚýLes parleuses, Paris, Minuit, 1974.

« Le mot compte plus que la syntaxe. C'est avant tout des mots, sans articles d'ailleurs, qui viennent et qui s'imposent. Le temps grammatical suit, d'assez loin » (p. 11)

« Je ne m'occupe jamais du sens, de la signification. S'il y a sens, il se dĂ©gage après. En tout cas, c'est jamais un souci. » (p. 11)Ěý

« Quand on fait un livre de femme on voit très bien, je trouve qu'on lit cette double lecture, on lit très bien ce qu'elle se croit obligĂ©e de dire, Ă©tant femme. Dans la poĂ©sie, la transgression est plus simple, plus immĂ©diate. Dans le roman… » (p.Ěý37)

« À vingt ans, quand on me disaitĚý: “C'est presque d'un homme”, j'Ă©tais flattĂ©e. » (p.Ěý38)

« Ça [la reconnaissance] se fera naturellement après ma mort, ça, je pense, très naturellement. Mais j'attire la misogynie d'une façon particulière. /X.G.Ěý–ĚýÇa ne m'Ă©tonne pas. Justement parce que je crois que ce sont des livres entièrement rĂ©volutionnaires, entièrement d'avant-garde, et d'un point de vue habituel rĂ©volutionnaire et d'un point de vue de femme, et que la plupart des gens n'y sont pas encore. /M.D.Ěý –ĚýOui, c'est une double insupportabilitĂ©. » (p.Ěý61)

DURAS, Marguerite.ĚýLe dernier des mĂ©tiers, Paris, Seuil, 2016.

« [QuestionĚý:]ĚýLe surrĂ©alisme a-t-il beaucoup comptĂ© pour vous ?Ěý°Ú¸éĂ©±č´Ç˛Ô˛ő±đĚý:±Ő Non, mais nous sommes tous passĂ© par ce traumatisme. » (p.Ěý16)

« Au fond (finit-elle par dire) j'ai toujours une inclination, une prĂ©dilection profonde pour le roman. Cela tient sans doute au cĂ´tĂ© un peu sauvage de ma nature… Voyez-vous, le roman, c'est ce Ă  quoi on travaille dans la plus grande solitude. » (p.Ěý17)

« Le roman amĂ©ricain a exercĂ© sur moi une grande influence, qui se retrouve dans la première partie de mon oeuvre. Par la suite, j'ai pris une autre direction. » (p.Ěý21)

« C'est certain [qu'il y a une trace de l'existentialisme chez elle]. J'ai vĂ©cu dans le bain existentiel. J'ai respirĂ© l'air de cette philosophie. Tous les Ă©crivains âgĂ©s de moins de cinquante ans. Et il en va de mĂŞme pour le surrĂ©alisme. Si l'on disait le contraire, on ne serait pas sincère. » (p.Ěý22)

« Pour moi, d'ailleurs, un Ă©crivain dĂ©pourvu de style n'en est pas un. Bien entendu, la forme ne se distingue pas du fond. Les critiques posent souvent le faux problème du style et du fond. Ça ne veut rien dire. » (p. 22)Ěý

« Mais, vous savez, un personnage de roman est par essence un ĂŞtre fluctuant. La fixitĂ© d'un caractère n'a rien de romanesque. » (p. 24)Ěý

« J'ai abandonnĂ© des livres ; mais des personnages, non, ça ne m'est jamais arrivĂ©, ça. » (p. 44)Ěý

« c'est le Nouveau Roman qui voudrait, je ne sais pas pourquoi, s'approprier certains auteurs, dont je suis. Parce que dès qu'un livre a une nouveautĂ© quelconque, ils se l'approprient, c'est un petit peu leur dĂ©faut! » Ěý(p. 45)Ěý

« [QuestionĚý:]Ěýquand vous Ă©crivez un roman, est-ce que vous avez besoin de la reprĂ©sentation physique des personnages et du dĂ©cor ? [RĂ©ponseĚý:]ĚýOui, bien sĂ»r. Bien sĂ»r, mais alors on peut dire que la vision romanesque est beaucoup plus proche d'une vision théâtrale. Vous voyez de tous les cĂ´tĂ©s dans un roman ; ce n'est pas une image plate. » (p.Ěý57)

« nous nous sommes toujours dit, Robbe-Grillet et moi, que le jour oĂą nos livres auraient du succès, cela voudrait dire que nous commençons Ă  faire de la mauvaise littĂ©rature. » (p.Ěý65)

« Le cinĂ©ma m'a rejetĂ©e plus violemment vers la littĂ©rature. Dans le cinĂ©ma, on assouvit le besoin de visualisation du monde. La littĂ©rature en est purifiĂ©e. » (p. 66)Ěý

« J'essaie de faire ce que j'appelle des livres ouverts, des propositions, des structures dans lesquelles le lecteur “coule” son livre Ă  lui. Et comment arriver Ă  cela ? Évidemment par le style, “en ne disant pas”. » (p. 70)Ěý

« je trouve que, dans le roman contemporain, la recherche est beaucoup plus intĂ©ressante ici qu'ailleurs. Et plus importante. Ceux qui ont tentĂ© de tordre le cou au social-balzacien et de dĂ©gonfler la fonction de l'Ă©crivain et dans la sociĂ©tĂ© et Ă  ses propres yeux, ce sont les Français. Ni les Anglais ni les AmĂ©ricains. » (p.Ěý77)

« Le cinĂ©ma est une expĂ©rience parallèle. Rien n'est plus difficile qu'un livre. » (p.Ěý78)

« Je vois que tout le monde Ă©crit. Que ceux qui n'Ă©crivent pas Ă©crivent aussi. Que la fonction Ă©crivante de l'homme est une donnĂ©e naturelle, Ă  l'instar des autres, et que c'est uniquement au stade de l'exploitation systĂ©matique de cette donnĂ©e que se situe la diffĂ©rence entre celui qui Ă©crit et celui qui n'Ă©crit pas. Je vois que chacun peut, de mĂŞme, devenir Ă©lectricien. Donc, qu'en chacun il y a un Ă©lectricien non dĂ©clarĂ©. » (p.Ěý83)

« J'Ă©cris pour me dĂ©placer de moi au livre […]ĚýÇa rĂ©ussit.ĚýĂ€ mesure que j'Ă©cris, j'existe moins. La libre disposition du moi, je l'Ă©prouve dans deux casĚý: Ă  l'idĂ©e du suicide et Ă  l'idĂ©e d'Ă©crire. Le remplacement physique du moi par le livre ou par la mort. La solution de continuitĂ©, livre ou mort. » (p.Ěý87)

« Vous faites le livre tandis que vous le lisez, tandis que le film a été fait pour vous. » (p. 97)

« Balzac n'a existé que parce qu'il n'y avait pas de cinéma! C'est à la fois le cinéma, la télévision, le spectacle… Quand Balzac décrit pendant cinquante pages un diamant, en fait il le filme! » (p. 98)

« On peut parler du temps, n'est-ce pas, on peut en parler ! On peut le mettre en mots. Mais en images, c'est difficile… » (p.Ěý101)

« Si l'engagement est naturel, qu'il se fasse, mais s'il n'est pas naturel, s'il faut une torsion de l'inspiration […] je suis contre. » (p.Ěý102-103)Ěý

« Oui mais enfin, vous ĂŞtes engagĂ©, en rĂ©alitĂ©, vous l'ĂŞtes toujours, vous avez toujours une position politique mĂŞme si vous ne voulez pas en avoir une, vous en avez une. Ne pas avoir de position politique, c'est avoir une position politique. » (p.Ěý103)

« Je suis pour l'oubli total de tout, je ne sais pas si ça s'appelle comme ça, je pense que… Je suis pour la destruction de tout ce qui est, y compris de la mĂ©moire, y compris de l'histoire. Je suis pour repartir Ă  zĂ©ro. » (p.Ěý105)

« DĂ©truire [dit-elle]Ěýest un livre cassĂ© du point de vue romanesque. Je crois qu'il n'y a plus de phrases. Et, par ailleurs, il y a des indications scĂ©niques qui rappellent les scriptsĚý: « soleil », « septième jour », « chaleur », etc., « lumière intense », « crĂ©puscule », vous voyez ? — et ça ce sont des indications de scĂ©nario d'habitude… C'est-Ă -dire que je voudrais qu'il y ait la matière Ă  lire le plus dĂ©cantĂ©e possible du système ; je ne peux plus du tout lire de romans. Ă€ cause des phrases. » (p. 116) Ěý

« Lol V. Stein c'est quelqu'un qui rĂ©clame qu'on parle pour elle sans fin, puisqu'elle est sans voix. C'est d'elle que j'ai parlĂ© le plus, et c'est elle que je connais le moins. » (p. 216)Ěý

MĂŞme si beaucoup de commentateurs disent qu'« avecĚýModerato CantabileĚý[elle a] inventĂ© le Nouveau Roman », Duras s'oppose Ă  cette filiation avec fougueĚý:Ěý« Ce n'est pas vrai. Je ne vois pas en quoi. » Ěý(p. 225)Ěý

« Le personnage, il est dĂ©truit lorsque je le prends. […] Lol V. Stein, lorsque je la prends, elle est dĂ©truite ; le vice-consul, Anne-Marie Stretter, elle est dĂ©jĂ  au bord de la mort. Non, du point de vue du Nouveau Roman, ça ne m'intĂ©resse pas du tout. C'est une des fausses pistes du Nouveau Roman ». (p. 225)Ěý

« Je suis imitĂ©e, figure-toi, partout, et je me demande mais comment faire qu'on ne vous imite pas, si tu veux. Pour moi c'est un problème Ă©norme. Comment faire de telle sorte que les gens n'aient pas envie de vous imiter ? » (p.Ěý226) « Et il y aurait deux rĂ©sultats Ă©normesĚý: ce serait dĂ©sencombrer les maisons d'Ă©dition d'une part, et puis rendre les gens Ă  eux-mĂŞmes, parce qu'ils ne sont pas eux-mĂŞmes tant qu'ils imitent. » (p.Ěý226)

« Le Nouveau Roman n'a pas trait Ă  l'Ă©criture. » (p. 226)Ěý

« Toutes les influencesĚý: moi j'ai peut-ĂŞtre Ă©tĂ© influencĂ©e un an ou deux par Kafka, puis ça a Ă©tĂ© complètement fini après, mais il ne faut pas que ça dure toute la vie. Un des types qui a fait le plus de mal, c'est Barthes, par exemple. Avec cette espèce de mode laconique de la pensĂ©e. Dire tout en trois mots, ça n'existe pas, c'est une des plus grandes mauvaises influences du temps. » (p.Ěý227)

« Tous les hommes font de la littérature qui se ressemble. La seule différente c'est la littérature féminine. […] C'est comme si c'était une maladie locomotrice. Ils ne peuvent plus aller à droite, ils ne peuvent plus aller à gauche, ils sont obligés de suivre. Tandis que nous, nous n'étions pas sur la route. » (p. 228)

Nouveau Roman : « ils ont parlĂ© de l'amour comme Ă©tant une donnĂ©e entendue, dĂ©jĂ  classĂ©e, et c'est ça qui a fait, je pense, leur perte » (p. 237)Ěý

« Si l'amour est banni, je ne sais pas s'il y a une matière romanesque. Je ne crois pas. » (p. 238)

« Tu Ă©cris toujours pour la première fois. Ou tu n'Ă©cris pas. J'ai dit (dans le texte que je suis en train d'Ă©crire)Ěý: Ă©crire, c'est ne pas °ůĂŞ±ą±đr. C'est la dilapidation totale du mot “°ůĂŞ±ą±đr”, ça n'existe pas. Parce que c'est un mot dont on a tellement abusĂ©. Mais Ă©crire, c'est justement le contraire. C'est le moment de luciditĂ© effrayante. Effrayante, oui. Seulement il faut revenir Ă  la dĂ©finition de RicardouĚý: sur cent, il y en a quatre-vingt-quinze qui n'Ă©crivent pas. Il y en a cinq qui Ă©crivent. Il y en a quatre-vingt-quinze qui font ce qu'il dit ĂŞtre la littĂ©rature d'information. De Beauvoir, ce n'est pas un Ă©crivain. » (p.Ěý244)

« La Maladie de la mortĚýcorrespondrait Ă  ce qui resterait en vous une fois que vous auriez lu un livre de ce titre-lĂ  – qui n'existe pas, un livre très ancien qui raconterait longuement l'histoire. La trace de ce livre dĂ©poserait en vous seul et Ă  jamais ce livre-ci. » (p.Ěý248)

« Chaque livre nouveau fait reculer le tout de l'oeuvre dans le passĂ©, Ă©loigne le reste de l'oeuvre de l'auteur. L'auteur reste de plus en plus isolĂ© tandis que ses livres s'Ă©crivent, se rapprochent du lecteur. Chaque livre est un meurtre de l'auteur par l'auteur. » (p.Ěý248)

« Il n'y a sans doute rien de plus difficile que de décrire un amour. […] [L]'amour, c'est la monnaie courante de toutes les oeuvres, culturelles, musicales, picturales, romanesques, philosophales et tout. Il n'y a rien de moins cernable, c'est la banalité inépuisable, inépuisée. » (p. 257)

« Il a raison, StendhalĚý: interminablement, l'enfance. » (p.Ěý269)

« Tous les livres sont sur le mĂŞme sujet, l'Ă©criture. Quand il n'y a pas d'Ă©criture, il n'y a pas de livre. » (p. 270)Ěý

« La lecture, c'est le roman. Quand elle se produit, rien ne peut se comparer Ă  cette lecture-lĂ , elle est miraculeuse. Je peux direĚý: c'est moi qui ai Ă©critĚýLa Princesse de Clèves, après l'avoir lu » (p. 270)Ěý

« Quand on passe de la malfaisance de mon frère Ă  la description du ciel Ă©quatorial, de la profondeur du mal Ă  la profondeur du bleu, de la fomentation du mal Ă  celle de l'infini, c'est ça. Et cela sans qu'on le remarque, sans qu'on le voie. L'Ă©criture courante, c'est ça, celle qui ne montre pas, qui court sur la crĂŞte des mots, celle qui n'insiste pas, qui a Ă  peine le temps d'exister. Qui jamais n' “occupe” le lecteur, ne prend sa place. Pas de version proposĂ©e. Pas d'explication. » (p. 283)Ěý

« Du style, je ne m'en occupe pas, là. Dans le livre. Je dis les choses comme elles arrivent sur moi. Je fais le geste, oui c'est ça. Comme elles m'attaquent, si vous voulez. Comme elles m'aveuglent. Je pose des mots beaucoup de fois. Des mots d'abord, voyez ? C'est comme si l'étendue de la phrase était ponctuée par la place des mots. Et que par la suite, la phrase s'attache aux mots, les prend et s'accorde à eux comme elle le peut. Mais que moi, je m'en occupe infiniment moins que des mots. » (p. 301)

« Le succès deĚýL'AmantĚýĂ©tait normal. J'ai relu le livre. C'est en effet un livre accessible Ă  diffĂ©rents titres, Ă  diffĂ©rents degrĂ©s. » (p.Ěý326) Mais en mĂŞme tempsĚý: « C'est un livre qui m'Ă©chappe. » (p.Ěý326)

« Le RavissementĚý[…],ĚýLe Vice-ConsulĚýetĚýL'AmourĚýĂ©taient des livres très difficiles. Ils se sont pourtant bien vendus. Il y a donc deux sortes de difficultĂ©sĚý: celle qu'on surmonte et qui ne fait pas abandonner le livre et l'autre, le contraire. C'est la nature de cette difficultĂ© qui fait que certains livres passent et pas d'autres. » (p.Ěý328)

« Les mots sont lĂ  comme des phares et ils Ă©clairent, ils Ă©clairent ce que je veux dire. […] On croit que j'ai imposĂ© un style, une libertĂ©, une syntaxe beaucoup plus libre qu'avant — dansĚýL'Amant, surtout, mais il y en a aussi des traces dansĚýLes Yeux bleus [cheveux noirs]Ěý— eh bien je ne l'ai pas fait dans ce sens-lĂ . Je ne l'ai pas fait pour le faire. Je l'ai fait parce qu'il ne pouvait en ĂŞtre autrement, pour me dĂ©gager de l'Ă©crit, pour lutter contre l'envahissement de l'Ă©criture. » (p. 361)

« Emily L., je crois, est la chose la plus simple que j'ai Ă©crite. Le bonheur d'atteindre la simplicitĂ©, c'est avec ce livre-lĂ , quand je l'ai connu, dans sa violence la plus grande. » (p.Ěý366)

« Il y a aussi le scandale que je suis. Et c'est ça qui m'Ă©chappe. Pourquoi je suis en permanence un objet de scandale ? Il y a un cĂ´tĂ© politique ; mais ça a dĂ©passĂ© ça, l'acharnement sur moi de la droite Ă©tait tel que… ça a dĂ©passĂ© le fait politique le plus important, le plus dĂ©finissant de ma vieĚý: cette appartenance Ă  la gauche. Il y a ce scandale et puis, bon, il y a le scandale qui est celui de la littĂ©rature. Je crois que la littĂ©rature est scandaleuse. » (p.Ěý371)

« [L'Amant de la Chine du Nord] n'est en rien la rĂ©pĂ©tition deĚýL'Amant.ĚýL'AmantĚýn°Ěý1, il me semble qu'il est plus brillant, dans l'expression, les hardiesses. Celui-lĂ  est souterrain, presque, souvent ; le langage employĂ©, la relation charnelle entre l'enfant et le Chinois. Le danger est plus grand aussi dans l'amour du couple. » (p.385)

« J'ai Ă©crit un autre livre, sans la forme Ă©pistolaire qu'il y avait dansĚýL'Amant.ĚýDansĚýL'Amant de la Chine du Nord, le Chinois du premier livre a disparu. C'est un nouvel amant. Mes amants, je vais toujours les chercher en Chine du Nord. » (p.Ěý385)

« Il faut que le roman s'annonce dès le dĂ©part du livre, et pas comme une voie de tout reposĚý: comme une histoire proposĂ©e, mais vraie, rĂ©ellement. Je ne peux pas arriver Ă  le dire. Peut-ĂŞtre que si j'y arrivais, je n'Ă©crirais plus. » (p.Ěý386)

DURAS, Marguerite.ĚýLes yeux verts, Paris, Cahiers du CinĂ©ma, 1987.

« Je suis dans un rapport de meurtre avec le cinĂ©ma. J'ai commencĂ© Ă  en faire pour atteindreĚýl'acquis crĂ©ateur de la destruction du texte. Maintenant c'est l'image que je veux atteindre, rĂ©duire. J'en suis Ă  envisager une image passe-partout, indĂ©finiment superposable Ă  une sĂ©rie de textes, image qui n'aurait en soi aucun sens, qui ne serait ni elle ni laide, qui ne prendrait son sens que du texte qui passe sur elle. » (p.Ěý76)

« Cette lenteur, cette indiscipline de la ponctuation c'est comme si je dĂ©shabillais les mots, les uns après les autres et que je dĂ©couvre ce qui Ă©tait au-dessous, le mot isolĂ©, mĂ©connaissable, dĂ©nuĂ© de toute parentĂ©, de toute identitĂ©, abandonnĂ©. Parfois c'est la place d'une phrase Ă  venir qui se propose. » (p.Ěý77)

« On s'aperçoit quand on dit, quand on Ă©coute, combien les mots sont friables et peuvent tomber en poussière. » (p.Ěý78)

DURAS, Marguerite.ĚýÉł¦°ůľ±°ů±đ, Paris, Gallimard, coll. «ĚýFolioĚý», 1993.

« je crois que c'est ça que je reproche aux livres en gĂ©nĂ©ral, c'est qu'ils ne sont pas libres. On le voit Ă  travers l'Ă©critureĚý: ils sont fabriquĂ©s, ils sont organisĂ©s, rĂ©glementĂ©s, conformes on dirait. Une fonction que l'Ă©crivain a très souvent envers lui-mĂŞme. L'Ă©crivain, alors il devient son propre flic. J'entends par lĂ  la recherche de la bonne forme, c'est-Ă -dire de la forme la plus courante, la plus claire et la plus inoffensive. » (p.Ěý34)

«ĚýJe ne sais pas ce que c'est un livre. Personne ne le sait. Mais on sait quand il y en a un. Et quand il n'y a rien, on le sait comme on sait qu'on est, pas encore mort.Ěý» (p. 34)

«ĚýChaque livre comme chaque Ă©crivain a un passage difficile, incontournable. Et il doit prendre la dĂ©cision de laisser cette erreur dans le livre pour qu'il reste un vrai livre, pas menti. La solitude je ne sais pas encore ce qu'elle devient après. Je ne veux pas en parler.Ěý» (p. 34)

«ĚýLes livres des autres, je les trouve souvent “propres”, mais souvent comme relevant d'un classicisme sans risque aucun. Fatal serait le mot sans doute. Je ne sais pas.Ěý» (p. 35)

«ĚýJe ne peux rien dire. / Je ne peux rien Ă©crire. / Il y aurait une Ă©criture du non-Ă©crit. Un jour ça arrivera. Une Ă©criture brève, sans grammaire, une Ă©criture des mots seuls. Des mots sans grammaire de soutien. ÉgarĂ©s. LĂ , Ă©crits. Et quittĂ©s aussitĂ´t.Ěý» (p. 71)

DURAS, Marguerite.ĚýOutsideĚý: suivi de Le monde extĂ©rieur, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1993.

« Être gĂ©nial, c'est prendre le gĂ©nie Ă  l'extĂ©rieur de soi et le mettre dans la toile ou le livre, de mĂŞme. C'est ressentir que l'extĂ©rieur de soi et l'intĂ©rieur de soi sont des endroits communicants. » Ěý(p. 474)Ěý

«Ěýcet amant intangible qu'est le poème. Car il n'y a d'Ă©crit que l'Ă©crit du poème. Les romans vrais sont des poèmes.Ěý» (p. 603)

DURAS, Marguerite.ĚýDĂ©truire, dit-elle, Paris, Minuit, 1969.

« Ma femme est un personnage de roman ? dit Bernard Alione. Je ne vois pas ce que vous pourriez raconter sur elle… C'est vrai que maintenant on ne raconte plus rien dans les romans… C'est pour ça que j'en lis si peu… » Ěý(p. 118-119)

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