France Daigle
Ìę(1953-...)
Dossier
Le roman selon France Daigle,
Le roman « proprement dit » et ses marges chez France Daigle, par Marianne Ducharme, 2021 |
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Dans sa prĂ©face Ă la rĂ©Ă©dition de « Variations en B & K » (1985), « La beautĂ© de lâaffaire » (1991) et « La vraie vie » (1993) de France Daigle en un seul volume (Prise de parole, 2016), Monika Boehringer propose une sorte de synthĂšse de lâĂ©volution des tensions qui habitent lâĆuvre de lâautrice acadienne, axĂ©e autour de sa derniĂšre parution : « CaractĂ©risĂ©s par un formalisme ludique et pleinement assumĂ©, [les premiers livres de France Daigle] recĂšlent dĂ©jĂ tout ce qui se dĂ©ploiera magistralement dans sa fiction la plus rĂ©cente, Pour sĂ»r.[1] » Il est effectivement facile â peut-ĂȘtre mĂȘme un peu trop â de voir dans lâopus de 2011 de lâĂ©crivaine de Moncton le point dâorgue ou, comme elle le dit elle-mĂȘme en entrevue, « le sundae sur la cerise[2] », de lâensemble de sa production. Impressionnante fresque composĂ©e de 1728 fragments, ce roman de 750 pages, paru aprĂšs plus de dix ans de gestation, constitue lâalpha et lâomĂ©ga de Daigle, qui a dâailleurs fait de la Bible lâune de ses principales inspirations littĂ©raires lors de son idĂ©ation[3]. Ce livre qui nâest pas une somme mais une multiplication, celle du chiffre douze trois fois par lui-mĂȘme (123, pour donner cet impressionnant total dâentrĂ©es) ne doit cependant pas ĂȘtre abordĂ© au dĂ©triment de ce qui le prĂ©cĂšde ; car lĂ oĂč le genre romanesque sâaffirme parce quâil se renouvelle, se cache Ă©galement un long processus de maturation et dâexplorations des formes auquel se rapporte sa consĂ©cration subsĂ©quente. On remarquera ainsi quâĂ une pratique qui remet en question non pas seulement les frontiĂšres mais aussi la pertinence des Ă©tiquettes, sâoppose une pensĂ©e paradoxale dans la mesure oĂč, en affirmant sa divergence, elle se trouve aussi Ă faire Ă©cho aux grandes lignes du discours des romancier.e.s sur leur Ćuvre : la vie, les personnages, la langue, la structure. Structure et innovation. Dans une entrevue quâelle donnait en 2004 Ă cette mĂȘme Monika Boehringer, Daigle avançait que son premier roman « proprement dit » Ă©tait La vraie vie⊠avant de se raviser ; La vraie vie, publiĂ© en 1993 aux Ă©ditions de lâHexagone, serait en fait un entre-deux et le suivant, 1953. Chronique dâune naissance annoncĂ©e (1995), son premier roman « proprement dit ». Il faut toutefois attendre Ă 2014 pour comprendre ce quâelle entendait par lĂ . Cette fois dans un entretien avec Andrea Cabajsky, qui la relance prĂ©cisĂ©ment sur cette expression dont la dĂ©finition avait Ă©tĂ© laissĂ©e en suspens, Daigle Ă©labore une pensĂ©e du roman dâabord en lien avec une certaine logique structurale et structurante du rĂ©cit :
Pour celle qui dit sâĂȘtre inspirĂ©e de lâĂ©criture Ă contraintes de Georges Perec, des Ćuvres dâItalo Calvino[5], voire de LâĆuvre ouverte dâUmberto Eco[6], dans lâĂ©laboration de Pour sĂ»r, il nây a rien dâĂ©tonnant Ă ce que la pratique romanesque sâĂ©loigne des conventions du genre, que Daigle situe dans les dialogues ou les pĂ©ripĂ©ties suivies de leur dĂ©nouement. On voit en fait se profiler dans le discours de lâautrice une vision du roman proprement dit qui coĂŻncide avec ses conventions narratives dix-neuviĂšmistes, celles que Roland Barthes rĂ©sume par la formule latine post hoc, ergo propter hoc, oĂč corrĂ©lation et causalitĂ© se confondent dans le temps. Daigle rebondit dâailleurs sur le constat dâune absence de schĂ©ma narratif dĂ©fini dans son Ćuvre : paraphrasant lâauteur de Si par une nuit dâhiver un voyageur, elle lie lâĂ©clatement formel et le refus dâune structure linĂ©aire au renouvellement de la forme romanesque : « [DâaprĂšs Calvino] si les romanciers veulent continuer dâavoir une certaine importance [âŠ], il ne fallait pas se gĂȘner de se donner des projets un peu massifs, mais il fallait pousser lâaudace ou la crĂ©ativitĂ© du roman, en fait[7]. » Dans un retournement quelque peu bakhtinien, la divergence Ă cette norme formelle du roman quâelle profĂšre vient constituer un apport au genre. Aussi son « Ă©chec » tel quâelle le dĂ©finit nâen est-il pas un, dans la mesure oĂč il devient le moyen dâune exploration des codes littĂ©raires. Cela dit, les textes de Daigle ne sont pas dĂ©nuĂ©s dâune structure logique et rĂ©flĂ©chie, loin de lĂ . Bien que leur principe organisateur ne soit pas dâascendance narrative en prioritĂ©, les Ćuvres se rapportent tout de mĂȘme Ă des schĂ©mas variĂ©s, qui agissent en tant que cadre de la diĂ©gĂšse. Câest entre autres lĂ que se niche un aspect du renouvellement quâelle propose, insĂ©parable dâune forte teneur autorĂ©fĂ©rentielle dans lâĆuvre, elle-mĂȘme symptomatique du flou entre la matiĂšre imaginĂ©e et la matiĂšre autobiographique, entre la rĂ©alitĂ© et la fiction, « drĂŽlement entremĂȘlĂ©[e]s dans son esprit[8] ». La forme ne fonctionne toutefois pas en vase clos, et lâarmature des textes vient sâarrimer Ă leur propos (ou lâinverse). On ne sâen Ă©tonnera pas dans la mesure oĂč, en plus de lier lâinnovation romanesque Ă des questions dâamplitude de lâobjet livre (« se donner des projets un peu massifs »), Daigle dit construire ses Ćuvres avec « beaucoup de libertĂ©, beaucoup de terrain Ă digression, beaucoup de coupes, de dĂ©coupes et de recoupements[9] ». Par exemple, pour Pour sĂ»r, le chiffre 12 qui rĂ©git son fonctionnement, lorsque « multipliĂ© par lui-mĂȘme, dâaprĂšs le dictionnaire des mythologies, permet dâaccĂ©der Ă la sĂ©rĂ©nitĂ©[10] ». Ainsi, dâaprĂšs ce que nous en dit lâautrice, ce multiple ne se restreint pas Ă lâorganisation de lâĆuvre, mais, se voyant dotĂ© dâune importance transversale, il « dĂ©borde » dans le propos, qui, dĂšs lors, se trouve chargĂ© dâune fonction prĂ©cise. Celle-ci, la sĂ©rĂ©nitĂ©, nâest pas sans prĂ©cĂ©dent dans le corpus ; pour qui a lu les premiĂšres publications de lâautrice, elle rappelle le « Om » en clĂŽture de chaque fragment composant Histoire de la maison qui brĂ»le (1985), troisiĂšme Ćuvre de lâautrice. Ă dĂ©faut dâavoir rĂ©ussi Ă instaurer une tension dramatique dans son roman, Daigle aura tout de mĂȘme « atteint » ce que la mythologie du chiffre 12 induisait et que lâon peut Ă©galement comprendre comme la source du projet : « Tout est pas mal tranquille. On dirait quâaprĂšs Pour sĂ»r, câest calme. Jâavais une espĂšce dâembryon dâun nouveau projet de livre, mais jâai essayĂ© de le repousser un peu. Et lĂ , il nây a rien[11] », rĂ©pond-elle Ă Cabajsky qui lui demande si ses personnages la « laissent tranquille dâun roman Ă lâautre[12] ». Pour Pas pire (2002), roman autofictionnel oĂč le chiac se manifeste pour une premiĂšre fois dans les dialogues, ce sont les deltas, ces « nombreux plus petits courts dâeau [Ă lâembouchure dâun fleuve], dont les branches principales, vues des airs, forment les cĂŽtĂ©s dâun triangle isocĂšle[13] », qui semblent en dicter le fonctionnement. Encore une fois, ceux-ci, Ă lâimage de lâ« interpĂ©nĂ©tration inexplicable » et de la capacitĂ© à « rĂ©pandre sur le monde une nouvelle couche dâambiguĂŻtĂ©[14] » qui les caractĂ©risent, sâinfiltrent dans le corps du texte. Une parentĂ© entre lâĂȘtre humain et les attributs de ces littoraux particuliers, aussi bien physiques (« les six formes Ă©lĂ©mentaires de lâavancĂ©e du delta sur la mer [âŠ] ressemblent effectivement Ă des profils de bouche humaine[15] ») que temporels (« apprĂ©ciable Ă lâĂ©chelle dâune vie humaine[16] ») se trouve signifiĂ©e Ă plusieurs reprises dans Pas pire. Ainsi, les deltas permettent Ă lâautrice dâĂ©tablir un pont entre lâĂȘtre humain et le milieu dans lequel il Ă©volue â principe fort gĂ©nĂ©ral, certes. Sur la base dâune prĂ©caritĂ© ontologique commune, elle fait de ce qui organise le texte une sorte dâallĂ©gorie de lâidentitĂ© acadienne : « Un delta nâest pas chose donnĂ©e Ă nâimporte quel fleuve. Le fait que LâAmazone et le Congo nâen ont pas prouve bien que les deltas ont des conditions dâexistence particuliĂšres[17]. » Dans son ouvrage Pour comprendre les mĂ©dias, le professeur de littĂ©rature et thĂ©oricien des communications Marshall McLuhan postule la prĂ©sĂ©ance du mĂ©dium sur le message, puisque les conditions de lâun formatent lâautre, Ă un point tel que le rapport nâest plus de lâordre de lâinfluence mais de la dĂ©termination. Câest, il me semble, Ă cette conception de lâinterrelation entre le fond et la forme (et bien quâici je perde un peu de vue le strict discours de lâautrice sur son Ćuvre) que France Daigle fait en quelque sorte Ă©cho. On en retrouve le paroxysme dans le premier roman « proprement dit » de lâautrice : « Dans 1953, Ă©crit-elle, je mâĂ©tais donnĂ© le dĂ©fi dâaller voir ce qui sâĂ©tait passĂ© lâannĂ©e de ma naissance. [âŠ] [T]out en me mettant en scĂšne, je voulais surtout crĂ©er la scĂšne, recrĂ©er lâunivers de 1953[18]. » De la scĂšne du monde au moi en scĂšne, on voit bien en quoi la structure joue un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant pour lâautrice sur le plan de la conception des textes. Sur la multidisciplinaritĂ©. Dans le prĂ©ambule quâelle signe Ă cette Ćuvre qui ne rĂ©fĂšre que dans le titre â sinon par accident, du moins par inconscient[19] â au cĂ©lĂšbre roman de Gabriel Garcia MarquĂšz, Daigle, revenant Ă son Ćuvre prĂ©cĂ©dente La vraie vie, dĂ©voile les allers-retours de sa dĂ©marche :
« Quelque chose comme un roman » : cette formule vient expliciter la dynamique de rapprochement et de distanciation, comme quoi lâĆuvre sây intĂšgre en partie mais sâen Ă©chappe Ă©galement. Or, Daigle ne fait pas que flirter avec ses marges, dans une Ă©criture parfois en allers-retours comme nous lâinforme cette hĂ©sitation sur la nidification des merles dâAmĂ©rique ; elle peut aussi ĂȘtre rĂ©solument Ă lâextĂ©rieur. FonciĂšrement multidisciplinaire, lâĂ©crivaine jongle Ă©galement avec la poĂ©sie, le thĂ©Ăątre et le cinĂ©ma. Elle nâest dâailleurs pas venue Ă lâĂ©criture par le chemin le plus intuitif, ni le plus commun :
Loin de nier cette premiĂšre incursion dans le monde des arts qui nâaura pas trouvĂ© dâaboutissement vĂ©ritable, Daigle inscrit lâinfluence de lâimage en mouvement Ă mĂȘme ses parutions. Sa deuxiĂšme Ćuvre, Film dâamour et de dĂ©pendance (1984), rappelle le scĂ©nario, puisque les fragments qui la composent prennent la forme de dialogues. De mĂȘme, lâincipit du prĂ©ambule de 1953 se rapporte Ă une mĂ©taphore tĂ©lĂ©visuelle, sur laquelle lâautrice vient jouer pour lancer son rĂ©cit :
Mais câest dâabord la question trĂšs pragmatique de la solitude pour orienter sa dĂ©marche, dont Pas pire vient tĂ©moigner puisque lâagoraphobie de la personnage-narratrice-autrice occupe une place prĂ©dominante dans la diĂ©gĂšse, que je retiens de la multidisciplinaritĂ© artistique de Daigle. Car sur la base du Conteur de Walter Benjamin (qui se rapporte lui aussi Ă une mĂ©taphore de nidification), ce choix du travail individuel insĂšre lâautrice du cĂŽtĂ© de la tradition romanesque. Dans la mesure oĂč Benjamin place le roman dans une voie solitaire, contraire Ă celle du rĂ©cit, quâil ancre dans la communautĂ© â lorsquâon rĂ©sume trĂšs schĂ©matiquement son propos â, Daigle, par son choix de la solitude, se montre en phase avec le roman, et ce, avant mĂȘme quâelle en ait Ă©crit un, « proprement dit » ou non. « Lâhabitation, câest la vie ». Pour en revenir aux questions de structure, la multidisciplinaritĂ© de lâautrice de mĂȘme que lâexemple de 1953. Chronique dâune naissance annoncĂ©e nous indique surtout que des systĂšmes plus larges sont Ă©galement Ă lâĆuvre. Câest-Ă -dire que lâanecdotique (le chiffre 12, les deltas) nâest pas seul en charge de donner aux Ćuvres une direction. Comme de fait, la psychanalyse et lâastrologie informent de prĂšs la pratique de lâautrice, qui ne se rapporte toutefois pas dans son impulsion et son essence Ă la rigiditĂ© de ces structures : « [L]a matiĂšre Ă Ă©criture nâest pas nâimporte quoi, câest quelque chose qui nous fait vibrer, qui nous arrĂȘte un moment et nous fait voir, par exemple, les diffĂ©rentes composantes dâun portrait[23]. » La prĂ©sence des signes du Zodiaque parmi ces grandes influences sur le plan de la structure fait dâailleurs remarquer Ă Boehringer la rĂ©currence du thĂšme de la maison dans lâĆuvre daiglienne[24]. « Lâhabitation, lâhabitable, lâhabitĂ©, lâhabitat, câest la vie finalement[25] », rĂ©torque lâautrice au sujet de son penchant pour la demeure, quâelle soit consciemment ou non glissĂ©e dans les textes. Se profile dans cette rĂ©ponse la dynamique particuliĂšre entre la forme et sa matiĂšre que lâon retrouve dans lâĆuvre. Comme la tortue ou lâescargot[26] qui, Ă la fois, porte et est sa propre maison, la forme, chez Daigle, forme la matiĂšre, comme elle le souligne Ă quelques reprises. Aussi lâautrice invite-t-elle Ă nuancer le penchant Ă©sotĂ©rique de ces grandes disciplines, croyances ou idĂ©ologies auxquelles elle se rapporte. Ce sont, pour elle, « une sorte de miroir de ce quâon est ou de la direction dans laquelle on sâen va[27] », quâon « lit par rapport Ă soi-mĂȘme[28] ». Se refusant Ă Ă©laborer ses personnages avec finesse et assiduitĂ©, elle sâinspire donc de ses disciplines pour pallier lâabsence de « constitution psychologique tout Ă fait cohĂ©rente, dĂ©veloppĂ©e, avec un semblant de profondeur[29] ». La psychanalyse, lâastrologie, le fĂ©minisme, la thĂ©orie sur le genre (gender) viennent ainsi « prolonger la rĂ©flexion » en participant Ă la constitution des ĂȘtres de papier de lâĆuvre. Voguant entre « libertĂ©, connaissance et plaisir », oĂč lâun ne se fait pas sans lâautre, Daigle use ainsi de la structure pour donner une orientation Ă son Ă©criture proche du quotidien, de la dĂ©couverte, et qui est a priori construite bien loin de tout ce qui sâapparente Ă un plan. Elle rappelle le cours des fleuves dĂ©bouchant Ă leur delta, quâils ont Ă©galement formĂ© avec le temps :
Ă lâinstar du mouvement oulipien qui voit dans lâimposition dâune contrainte un moyen dâatteindre une plus grande libertĂ©, lâautrice fait de ces grands systĂšmes des limites qui permettent de favoriser lâexploration la plus affranchie possible. « Câest la vie elle-mĂȘme qui mây a poussĂ©e[31] », dit-elle en rĂ©ponse Ă une question sur le lien entre le fĂ©minisme et ses connaissances de la psychanalyse. On pourrait tout aussi bien voir lĂ une rĂ©flexion surplombante sur ses Ćuvres, dont lâorganisation, bien quâelle puisse relever de concepts dâapparence rigide, reflĂšte tout aussi bien celle mouvante de lâexistence. Sans jamais parler du vent : le casse-tĂȘte du roman. On comprend ainsi quâau-delĂ dâune stricte explication sur lâimposant gabarit de son dernier roman, la rĂ©ponse de France Daigle Ă Andrea Cabajsky sur le « roman proprement dit », invite Ă une lecture rĂ©trospective qui permet dâapprĂ©hender lâĆuvre dans son ensemble sous lâangle dâune rupture en quĂȘte dâinnovation. Comme de fait, mĂȘme les premiĂšres publications de lâautrice font preuve de lâaudace et de la crĂ©ativitĂ© qui, dâaprĂšs Calvino tel quâelle le paraphrase, fondent le devenir du genre narratif par excellence â en dĂ©pit de leur briĂšvetĂ©, ou plutĂŽt grĂące Ă elle. Toutefois, ce serait nier la profonde disparitĂ© de lâĆuvre que de rĂ©unir lâentiĂšretĂ© des publications sur la base dâune divergence assumĂ©e par rapport Ă la prĂ©sence ou non dâun schĂ©ma narratif avec ses Ă©tapes clairement circonscrites. Une telle rĂ©union donnerait lâimpression dâune homogĂ©nĂ©itĂ© contraire Ă ce qui se fait rĂ©ellement, et que lâautrice reconnaĂźt : « Les trois derniers livres [Pas pire, Un fin passage, Petites difficultĂ©s dâexistence] et celui que je suis en train dâĂ©crire prĂ©sentement [Pour sĂ»r] forment un autre ensemble, une espĂšce de suite, mais pas Ă tous points de vue[32]. » Car il y a lâĂ©clatement formel de Pour sĂ»r qui participe de ses attributs romanesques, ce « livre informatique » oĂč chaque fragment appelle deux possibilitĂ©s[33], mais il y a Ă©galement celui de la « premiĂšre maniĂšre » de Daigle, beaucoup plus radical â et beaucoup plus Ă©loignĂ© du genre. Consciente de ces enjeux, lâĂ©crivaine avance Ă propos de ses trois premiĂšres publications : « Personnellement, je considĂ©rais aussi mes textes prĂ©cĂ©dents comme des romans, mais je comprends que les gens ne les aient pas vus comme ça[34]. » Il y a ceci dâintĂ©ressant que la pensĂ©e de France Daigle se positionne Ă rebours dâune certaine doxa : alors que plusieurs romancier.e.s refusent Ă des Ćuvres pourtant Ă©minemment romanesques cette Ă©tiquette gĂ©nĂ©rique, Daigle lâaccorde Ă ce qui se situe pas mĂȘme sur la frontiĂšre mais rĂ©solument au dehors. Au contraire de lâĆuvre de 2011 qui clĂŽt (jusquâĂ preuve du contraire) le cycle de certains « personnages issus des romans prĂ©cĂ©dents qui y continuent tout simplement leur vie[35] », la « trilogie » liminaire (au sens trĂšs large) ne sâinscrit pas dans les marges du roman telles quâon peut les concevoir en regard de sa tradition â pour Ă©clatĂ©s que soient certains de ses moments. Elles se rapprochent en fait dâun mĂ©tadiscours, qui, sans aller jusquâĂ sâaffirmer en tant quâune thĂ©orie claire et nette, est tout de mĂȘme le lieu dâune rĂ©flexion organique sur le genre romanesque. DĂšs son titre sur le mode de la prĂ©tĂ©rition, la toute premiĂšre Ćuvre, Sans jamais parler du vent. Roman de crainte et dâespoir que la mort arrive Ă temps (1983), annonce la prĂ©sĂ©ance sur lâaspect narratif dâune recherche ou inventivitĂ© langagiĂšre, bien quây figure Ă©galement le terme « roman ». Loin de gĂ©nĂ©rer un format Ă lâĆuvre, lâĂ©tiquette sâimpose a priori comme une curiositĂ©, puisque lâouvrage est en fait composĂ© de courts fragments ou poĂšmes en prose, qui occupent le bas de la page. Le blanc domine, ce qui nâest pas nĂ©cessairement en contradiction avec la pensĂ©e de Daigle : « Et je commence Ă croire que le vĂ©ritable propos du roman se situe surtout dans ces espaces que nâoccupent pas les personnages[36] », Ă©nonce-t-elle. Que lâespace soit vu au sens diĂ©gĂ©tique ou paratextuel, il dĂ©note en tous les cas une prise de distance par rapport au « modĂšle » romanesque. Lorsque mis Ă lâĂ©preuve de la lecture, lâaspect gĂ©nĂ©rique dont tĂ©moigne le sous-titre se dĂ©voile peut-ĂȘtre moins dans une filiation avec le genre que dans une rĂ©flexion surplombante sur ses composantes, Ă lâimage de ce rapport Ă la structure vu un peu plus haut :
Ce fragment regorge de lieux communs sur le genre romanesque. Dâune part, la nĂ©cessitĂ© de raconter, dans une source presque divine, nâest pas sans faire Ă©cho Ă un mythe romantique qui revient Ă foison dans le discours des romancier.e.s sur leur Ćuvre. Dâautre part, perçu comme « plus vrai » que la rĂ©alitĂ©, le roman est liĂ© Ă une authenticitĂ© du discours, qui se dĂ©cline comme le paradoxe fondateur de la fiction. Ainsi, en plus dâun souci de la structure manifestĂ© en regard de la trame narrative, on voit apparaĂźtre la formule entre le roman et la vie, comme une Ă©quivalence posĂ©e entre les deux, et qui fera son retour beaucoup plus tard dans le discours de lâautrice sur ses « romans proprement dit » :
disait-elle, par exemple, Ă lâoccasion du lancement de Pour sĂ»r. En sorte quâil se dĂ©gage dâune lecture attentive de Sans jamais parler du vent une conscience aigĂŒe du roman et de sa tradition moderne, bien que lâautrice ne manifeste pas une connaissance forcĂ©ment acadĂ©mique du genre â au contraire de son interlocutrice de 2014 :
Dans le sillon des explorations formelles de lâOuLiPo et de La vie mode dâemploi de Perec[40], France Daigle rapproche sa derniĂšre Ćuvre romanesque dâun casse-tĂȘte. Pour peu quâon observe de prĂšs Sans jamais parler du vent, on sâaperçoit que la mĂ©taphore se prĂȘte tout aussi bien au texte liminaire (au sens de lâĆuvre daiglienne), cependant que lâexploration proposĂ©e nâest pas aussi formatĂ©e. Le casse-tĂȘte y est Ă double entente : savoir si lâĆuvre relĂšve ou non du roman en est un lui-mĂȘme ; mais lâĆuvre, dans son rapport au roman, nous offre Ă©galement un casse-tĂȘte sur le plan de lâassemblage. En un sens, Sans jamais parler du vent nâest pas sans Ă©voquer ces « kits » quâUmberto Eco, dans Lector in fabula, rapporte Ă la « demande coopĂ©rative » des textes. Câest comme si Daigle nous donnait tous les Ă©lĂ©ments pour faire un roman, mais quâelle les laissait indĂ©pendants les uns des autres. LâĆuvre, comme une prĂ©figuration de Pour sĂ»r oĂč triomphe « lâaspect participatif de la lecture[41] », dĂ©lĂšgue au lectorat la tĂąche dâassembler les Ă©lĂ©ments constitutifs du roman, de leur donner sens. En voici quelques exemples : « Au dĂ©but lorsque cela se met Ă tenir du roman puis aprĂšs, lorsque loin dâelle tout nous Ă©puise » (22) ; « Quand cela tient du roman depuis un certain temps dĂ©jĂ et que la vieillesse commence Ă en avoir pour son Ăąge, son Ă©poque » (55) ; « Le roman ou la direction de ce que nous avançons » (70) ; « Penser Ă quelque chose pour la premiĂšre fois, la structure inusitĂ©e de sa maison. Un roman, son titre » ; « Le roman comme structure contre laquelle appuyer ses voyages, le cadre dâune porte » (86) ; « Une espĂšce dâimmobilitĂ©, un roman de crainte et dâespoir que la mort arrive Ă temps » (114), etc. VĂ©ritable leitmotiv, le terme « roman », dans ses emplois multiples, est dotĂ© dâune signification dont on peut discerner les grandes lignes, bien que le caractĂšre poĂ©tique de la chose empĂȘche au propos de se fixer et de sâaffirmer. La vie, sa teneur, son tracĂ©, son temps sont ainsi esquissĂ©s, au sens fort du terme, car lâautrice y montre davantage le geste que lâimage. Aussi un autre renversement se manifeste-t-il : dans ce qui reste en mouvance se dessine une mise Ă distance, et un jeu sur le genre romanesque vient Ă sâopĂ©rer. Daigle, en se refusant Ă faire un roman proprement dit avec ces Ă©lĂ©ments, les incarnant dans le discours plutĂŽt dans le rĂ©cit, ne souligne-t-elle pas par le fait mĂȘme la banalitĂ© advenue de ces grands tropes romanesques ? Quoi quâil en soit, au-delĂ du questionnement qui se pose sur lâappartenance de Sans jamais parler du vent au genre romanesque, nous pouvons (et devons) surtout retenir que lâĆuvre inaugurale sâinscrit dans un rapport problĂ©matisĂ© (pour ne pas dire conflictuel) avec lui, qui invite Ă penser le roman dans et par ses marges. Jâen conclus une seconde chose : sur le long terme ainsi quâau contact des dires de lâautrice, ce rapport mâapparaĂźt surtout ĂȘtre lâeffet ou le symptĂŽme dâune intuition. Câest-Ă -dire quâon le retrouve exposĂ© tel quel parce quâil se rapporterait aux nombreuses lectures de lâautrice[42]. Comme de fait, Daigle nous dit ĂȘtre une grande lectrice (et pas que de romans), en anglais comme en français : Jack Kerouac, Lawrence Durrell, Milan Kundera et Marguerite Duras font partie de ces auteurs et autrices dont elle a parcouru (presque) lâentiĂšretĂ© de lâĆuvre. Parlant de cette derniĂšre, elle note la parentĂ© souvent relevĂ©e entre son Ćuvre et celle de lâautrice de łąâAłŸČčČÔłÙ : « Il semblerait y avoir un parallĂšle entre son Homme assis dans le couloir, que je nâai jamais lu, et mon Histoire de la maison qui brĂ»le. En crĂ©ation, il semble y avoir, Ă un moment donnĂ©, des choses dans lâair, et on finit par Ă©crire, crĂ©er autour de thĂšmes qui se rejoignent[43]. » Sur la base de cette intertextualitĂ© involontaire, je me permets, en guise de clĂŽture de cette section, dâen proposer une seconde, ici avec Joris-Karl Huysmans. Dans Ă rebours, lâauteur dĂ©cadent Ă la frontiĂšre des XIXe et XXe ČőŸ±ĂšłŠ±ô±đs Ă©nonce une thĂ©orie du poĂšme en prose qui cohabite avec le genre romanesque. La poĂ©sie de Baudelaire et MallarmĂ©, nous dit-il au prisme du regard du protagoniste de lâĆuvre, dĂ©tiendrait « la puissance du roman dont elle supprim[e] les longueurs analytiques et les superfĂ©tations descriptives ». Câest cette pensĂ©e en amont de la trame narrative, dans son atomisation peut-ĂȘtre, que lâautrice me semble mettre en application dans son premier roman. LâidentitĂ© acadienne. Câest au terme de ce parcours que je me propose dâaborder la place de lâidentitĂ© acadienne dans lâĆuvre romanesque, qui se fait en crescendo Ă partir de 1953. Chronique dâune naissance annoncĂ©e. Dans cette Ćuvre, lâautrice en dialogue avec Roland Barthes commence effectivement Ă proposer une rĂ©flexion qui cible le langage, bien que le chiac en tant que tel ne soit pas encore abordĂ© :
Si les critiques de lâĆuvre ont cherchĂ© Ă voir dans lâacadianisme de lâĆuvre â et mĂȘme dans son absence â lâaspect dominant de la pratique de lâautrice de Moncton[45], câest plutĂŽt en tant quâun symptĂŽme ou un effet de sa dĂ©marche quâelle nous invite Ă lâinterprĂ©ter â bien loin de cette place totalisante que certain.e.s ont pu analyser. LâidentitĂ© acadienne, de mĂȘme que la question du chiac, sâinscrivent en ligne directe avec la ou les questions de structure. En ce sens, elles ne sont pas fondamentales Ă lâĆuvre, mais bien une manifestation parmi dâautres des intĂ©rĂȘts multidisciplinaires de Daigle, qui refuse de se cantonner Ă une seule et mĂȘme case :
Elle reformule dâailleurs cet aspect un peu plus loin, en mettant lâaccent sur lâimportance du comment, câest-Ă -dire du fait que lâidentitĂ© est secondaire Ă lâĆuvre : « La langue, [est] [s]on outil de travail[47] », Ă©nonce-t-elle. Forte de son exploration des diffĂ©rents mĂ©diums artistiques, lâautrice, qui indique quâil a dĂ» y avoir un changement « radical », entre sa premiĂšre Ćuvre absente de tout Caraquet, et la derniĂšre, oĂč le projet de codifier le chiac occupe une place centrale, sâest nourrie de ses allers-retours entre le roman et les autres disciplines pour en venir Ă incorporer Ă ses fictions son acadianitĂ©. Ă ce sujet, le thĂ©Ăątre, un genre « moins sĂ©rieux[48] », lui aura permis de surmonter son « blocage » vis-Ă -vis des dialogues en chiac. Sa rĂ©flexion sur le dialecte de Moncton qui, conjuguent lâanglais et le français, sâinscrit donc moins dans un dĂ©sir de rayonnement national que dans les multiples possibilitĂ©s quâil peut ouvrir, Ă qui le parle bien :
La codification du chiac quâelle propose se pare dâun engagement ou dâune Ă©thique puisquâelle vise une certaine Ă©±ôĂ©±čČčłÙŸ±ŽÇČÔ Â« linguistique » du Moncton rĂ©el, que Daigle chercherait Ă faire correspondre Ă son « Moncton imaginaire », vibrant de culture[50]. Le systĂšme de rĂšgles quâelle propose sert ainsi le dĂ©cuplement des possibilitĂ©s langagiĂšres, pour ceux et celles qui sont moins dans une position frontaliĂšre que dans une double-occupation de la langue :
Encore une fois, câest le dĂ©sir dâun affranchissement, dâune libertĂ© trĂšs oulipienne, parce quâelle passe dâabord et avant tout par des codes et des contraintes, que Daigle manifeste. Conclusion. On retient de cette incursion dans la pensĂ©e de Daigle (et de quelques-unes de ses publications), que la question de la forme est dâune importance capitale, dans la pratique autant que dans la pensĂ©e qui la prĂ©cĂšde, la suit ou sây intĂšgre. Ă lâoccasion dâune remarque quâelle fait sur lâhistoire racontĂ©e, lâautrice esquisse une rĂ©flexion sur le temps qui subsume bien involontairement les diffĂ©rentes tensions observĂ©es : « Quand on raconte une histoire, le temps est normalement un facteur assez important, essentiel au dĂ©roulement. Mais, au fond, le temps nâest pas si important que ça[52]. » FidĂšle Ă la tradition romanesque, Daigle situe le renouveau du genre dans la dĂ©construction du schĂ©ma narratif, mais, sâopposant de la sorte aux Nouveaux romanciers et Ă certains auteurs comme Calvino qui pousse Ă ses limites lâexploration formelle, elle conserve un rapport Ă lâintuition et Ă la libertĂ©, fondamental Ă sa crĂ©ation. Il y a dans lâoriginalitĂ© de la structure quelque chose de secondaire Ă un pur plaisir de lâexploration, comme elle le dit en rĂ©ponse Ă Boehringer qui remarque un paradoxe entre la rĂ©currence des voyages dans lâĆuvre et lâagoraphobie de la narratrice-autrice France Daigle de Pas pire : « Moi, je suis curieuse, beaucoup de choses attirent mon regard. Jâaime connaĂźtre, jâaime comprendre et les voyages sont riches dans ce sens-lĂ . Comme les livres, dâailleurs[53]. » La question de lâidentitĂ© acadienne est Ă prendre comme une prolongation de ces grandes tensions qui habitent lâĆuvre de lâĂ©crivaine de Moncton : car, encore une fois, câest le souci de la structure â ici langagiĂšre â qui est manifestĂ©e dans ses considĂ©rations sur le mĂ©tissage de lâanglais et du français. En ce sens, lâĆuvre, autant que ses lecteurs et lectrices, gagne Ă sortir des stratĂ©gies de positionnement dans le champ littĂ©raire. Il faut la lire telle quâelle nous apparaĂźt ; dans ses clichĂ©s, son renouvellement, ses explorations â et surtout, envers et contre tÂÂout : dans sa grande et belle originalitĂ©. [1] M. Boehringer, « PrĂ©face. "Soudain elle eut envie dâun trĂšs grand espace" », p. 5. [2] A. Cabajsky, « "Le sentiment vif de crĂ©er" entretien avec France Daigle », p. 249. [3] Ibid., p. 251. [4] A. Cabajsky, « "Le sentiment vif de crĂ©er" entretien avec France Daigle », p. 251. [5] Ibid., p. 249. [6] Ibid., p. 251. [7] Ibid., p. 249. [8] M. Boehringer, « Le hasard fait bien les choses. Entretien avec France Daigle », p. 19. [9] Ibid., p. 15. [10] F. Daigle et J. Bernier, « France Daigle prĂ©sente Pour sĂ»r », 1 :39. [11] A. Cabajsky, « "Le sentiment vif de crĂ©er" entretien avec France Daigle », p. 257. [12] Ibid. [13] F. Daigle, Pas pire, p. 14. [14] Ibid., p. 11. [15] Ibid., p. 10. [16] Ibid., p. 13. [17] Ibid., p. 12. Je souligne. [18] M. Boehringer, « Le hasard fait bien les choses. Entretien avec France Daigle », p. 19. [19] Ibid., p. 15. [20] F. Daigle, 1953. Chronique dâune naissance annoncĂ©e, p 10. [21] M. Boehringer, « Le hasard fait bien les choses. Entretien avec France Daigle », p. 21. [22] F. Daigle, 1953. Chronique dâune naissance annoncĂ©e, p. 10. [23] Ibid., p. 19. [24] Ibid. [25] Ibid., p. 20. [26] Boehringer parle de lâescargot, jây rajoute la tortue. [27] Ibid., p. 17. [28] Ibid. [29] Ibid. [30] Ibid. [31] Ibid. [32] M.Boehringer, « Le hasard fait bien les choses Entretien avec France Daigle », p. 15. [33] A. Cabajsky, « "Le sentiment vif de crĂ©er" entretien avec France Daigle », p. 250. [34] M.Boehringer, « Le hasard fait bien les choses Entretien avec France Daigle », p. 15. [35] Ibid. [36] Ibid. [37] F. Daigle, Sans jamais parler du vent. Roman de crainte et dâespoir que la mort arrive Ă temps, p. 34. [38] F. Daigle et J. Bernier, « France Daigle prĂ©sente Pour sĂ»r », 2 : 58. [39] A. Cabajsky, « "Le sentiment vif de crĂ©er" entretien avec France Daigle », p. 250. [40] Ibid., p. 251. [41] Ibid., p. 250. [42] Ă ce sujet, les plus rĂ©centes rĂ©flexions dâIsabelle Daunais sur le genre romanesque tombent Ă point (et mâinspirent cette clĂŽture de section). Dans lâessai « Vieillesse du roman », elle explique comment la lecture des Ćuvres romanesques peut avoir prĂ©sĂ©ance sur la thĂ©orie du genre : « En fait, si nous reconnaissons une forme que nous appelons romanesque, câest en tant quâelle »ćĂ©±èČčČőČő±đ les questions de structure et de composition. Il est difficile de la dĂ©finir avec prĂ©cision, mais tout lecteur de romans en distingue, consciemment ou non, les Ă©lĂ©ments : un regard oblique posĂ© sur le monde, une maniĂšre de se dĂ©tacher de celui-ci tout en lâaccueillant, lâimpossibilitĂ© de trancher entre telle ou telle interprĂ©tation comme celle dây prĂ©voir quoi que ce soit ; en un mot, une forme de pensĂ©e ou de rĂ©flexion. » I. Daunais, La vie au long cours. Essais sur le temps du roman, p. 18. Cette observation me permet de poser que Sans jamais parler du vent nâest effectivement pas un roman. Or, parce que lâĆuvre rend aussi compte de ce « regard oblique posĂ© sur le monde », de cette « maniĂšre de se dĂ©tacher de celui-ci tout en lâaccueillant », elle mâapparaĂźt se rapprocher du rĂ©cit puisque, dans le sens de Dominique RabatĂ©, celui-ci se situe dans lâombre du roman : « Disons plutĂŽt que le rĂ©cit sâĂ©crit "dans lâombre du roman" . Et jouons sur le double sens de cette expression : ce qui est cachĂ© ou occultĂ© dans lâombre que lâhĂ©gĂ©monie mĂ©diatique du roman produit, mais aussi ce qui peut se voir comme lâombre portĂ©e du roman mĂȘme. » D. RabatĂ©, La passion de lâimpossible. Une histoire du rĂ©cit au XXe ČőŸ±ĂšłŠ±ô±đ, p. 23. [43] M.Boehringer, « Le hasard fait bien les choses. Entretien avec France Daigle », p. 20. [44] F. Daigle, 1953. Chronique dâune naissance annoncĂ©e, p. 16. [45] Une approche sociologique â comme lâa privilĂ©giĂ©e la grande majoritĂ© (si ce nâest lâintĂ©gralitĂ©) des commentateurs et commentatrices de son Ćuvre â a pu voir dans le rapport au genre romanesque quâentretient France Daigle une stratĂ©gie de positionnement dans le champ littĂ©raire. Sous lâimpulsion de La rĂ©publique mondiale des lettres (1999) de Pascale Casanova, par exemple, la pratique non conventionnelle du roman que prĂ©sente lâautrice dans son discours, peut ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme un aller-retour entre la mise en valeur des particularitĂ©s rĂ©gionales (diffĂ©renciation) et une volontĂ© contraire de se fondre dans les tendances dominantes et hĂ©gĂ©moniques du centre (assimilation). Or, cette vision de la chose rĂ©duit lâĆuvre Ă une sorte dâusage, ainsi quâelle passe sous silence la dimension fonciĂšrement exploratoire de la pratique de lâĂ©crivaine de Moncton. [46] M.Boehringer, « Le hasard fait bien les choses. Entretien avec France Daigle », p. 22. [47] Ibid., p. 20. [48] A. Cabajsky, « "Le sentiment vif de crĂ©er" entretien avec France Daigle », p. 252. [49] A. Cabajsky, « "Le sentiment vif de crĂ©er" entretien avec France Daigle », p. 253. [50] M.Boehringer, « Le hasard fait bien les choses Entretien avec France Daigle », p. 22 [51] A. Cabajsky, « "Le sentiment vif de crĂ©er" entretien avec France Daigle », p. 252. [52] Ibid. [53] Ibid., p. 18. |
Bibliographie
Ouvrages cités |
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Ćuvres citĂ©es : DAIGLE, France. Sans jamais parler du vent. Roman de crainte et dâespoir que la mort arrive Ă temps, suivi de Film dâamour et de dĂ©pendance, suivi de Histoire de la maison qui brĂ»le, Sudbury, Prise de parole, coll. « BibliothĂšque canadienne-française », 2013 [1983, 1984, 1985]. ââ¶Äâ¶Ä. 1953. Chronique dâune naissance annoncĂ©e, Moncton, Les Ă©ditions dâAcadie, 1995. ââ¶Äâ¶Ä. Pas pire, MontrĂ©al, BorĂ©al, coll. « compact », 2002. Entretiens : BOEHRINGER, Monika. « Le hasard fait bien les choses. Entretien avec France Daigle », Voix et Images, vol. XXIX, nÂș 3, Ă©tĂ© 2004, p. 13-23. CABAJSKY, Andrea. « "Le sentiment vif de crĂ©er". Entretien avec France Daigle », Studies in Canadian Literature / Ătudes en littĂ©rature canadienne, vol. XXXIX, nÂș 2, 2014, p. 248-258. CHOUKROUN, Thomas. « Entretien avec France Daigle », Quintessence, UniversitĂ© de Waterloo, 11 novembre 2013, , [consultĂ© le 25 octobre 2021]. Ăditions du BorĂ©al, « France Daigle prĂ©sente Pour sĂ»r », entretien avec Jean Bernier, MontrĂ©al, Librairie Le Port-de-TĂȘte, 7 septembre 2011 [mis en ligne le 22 septembre], , [consultĂ© le 25 octobre 2021]. RĂ©fĂ©rences critiques : BOEHRINGER, Monika. « PrĂ©face. Soudain, elle eut envie dâun trĂšs grand espace », dans France Daigle, Variations en B & K, suivi de La beautĂ© de lâaffaire suivi de La vraie vie, Sudbury, Prise de parole, coll. « BibliothĂšque canadienne-française », 2016 [1987, 1991, 1993], p. 5-14. Autres rĂ©fĂ©rences : DAUNAIS, Isabelle. La Vie au long cours. Essais sur le temps du roman, MontrĂ©al, BorĂ©al, coll. « Papiers collĂ©s », 2021. RABATĂ, Dominique. La passion de lâimpossible. Une histoire du rĂ©cit au XXe ČőŸ±ĂšłŠ±ô±đ, Paris, Ăditions Corti, coll. « Les essais », 2018. |
Citations
Ăditions du BorĂ©al, « France Daigle prĂ©sente Pour sĂ»r », entretien avec Jean Bernier, MontrĂ©al, Librairie Le Port-de-TĂȘte, 7 septembre 2011 [mis en ligne le 22 septembre], , [consultĂ© le 25 octobre 2021]. |
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« Le chiac nâest pas sur le mĂȘme registre sonore » « Terry et Carmen, pour moi, ça pourrait ĂȘtre mes voisins. Ils existent pas, mais il pourrait lâĂȘtre, on peut entendre ce quâils se disent sur nâimporte quoi, sur nâimporte quel coin de rue de Moncton. Câest peut-ĂȘtre pas nĂ©cessaire de dĂ©mĂȘler, parce quâau fond tout est vrai. » |
Thomas Choukroun, « Entretien avec France Daigle », Quintessence, 11 novembre 2013. |
« Quand jâaime un livre dâun certain auteur, je lis un autre de ces livres et puis encore un autre et un autre⊠il faut nourrir ce qui te plaĂźt : cinĂ©ma, langue, musique, voyages, la France, ensuite les peintres⊠il faut se crĂ©er un univers français. Et il faut commencer avec ce qui nous attire. » |
âą Monika Boehringer, « Le hasard fait bien les choses. Entretien avec France Daigle », Voix & Images, vol. IXXX, nÂș 3, printemps 2004, p. 13-23. |
Quand je songe aux formes dâart qui Ă©taient disponibles quand jâĂ©tais jeune, lâĂ©criture Ă©tait la plus commode. [âŠ] Donc, je me suis rabattue sur lâĂ©criture. Je peux dire que jây prends maintenant un rĂ©el plaisir, ce qui nâa pas toujours Ă©tĂ© le cas. Souvent, jâavais lâimpression dâĂ©crire tant bien que mal. Je pensais aussi que ce dĂ©sir me passerait ! Je croyais quâun jour je nâaurais plus besoin dâĂ©crire, que je serais arrivĂ©e au bout de cette chose-lĂ . Mais ce sentiment sâest effacĂ© avec mes deux ou trois derniers livres. (13) Eh bien, les trois premiers [Sans jamais parler du vent, Film dâamour et de dĂ©pendance, Histoire de la maison qui brĂ»le] forment une suite, une trilogie, probablement parce quâils sont clairement une sorte dâexploration de la forme. Cette exploration a continuĂ© avec les autres livres, Variations en B et K et La beautĂ© de lâaffaire. Puis, avec La vraie vie, jâai essayĂ© dâaller plus loin, de passer au roman proprement dit. MĂȘme si la forme est encore trĂšs visible, au moins les pages sont pleines et on ne dit plus: « Ah, ben, câest de la poĂ©sie. » Il y a autre chose qui sây est glissĂ©. (14) Peut-ĂȘtre que le premier roman proprement dit, câest 1953. La vraie vie serait un entre-deux. Personnellement, je considĂ©rais aussi mes textes prĂ©cĂ©dents comme des romans, mais je comprends que les gens ne les aient pas vus comme ça. Les trois derniers livres [Pas pire, Un fin passage, Petites difficultĂ©s dâexistence] et celui que je suis en train dâĂ©crire prĂ©sentement forment un autre ensemble, une espĂšce de suite, mais pas Ă tous points de vue. Le roman en cours, par exemple, constitue une sorte de suite aux prĂ©cĂ©dents dans le sens quâil sâarticule autour dâune forme prĂ©cise, le cube cette fois, constituĂ© de 12 unitĂ©s par cĂŽtĂ©, donc 12 (hauteur) x 12 (largeur) x 12 (profondeur), pour un roman qui comptera 1728 passages, le chiffre 12 multipliĂ© par lui-mĂȘme Ă©tant un symbole de plĂ©nitude. On y retrouve aussi des personnages issus des romans prĂ©cĂ©dents qui y continuent tout simplement leur vie. Mais ce roman est diffĂ©rent en raison de la dimension du projet, qui laisse beaucoup de place au dĂ©ploiement dâune matiĂšre autre que le vĂ©cu des personnages. Beaucoup de libertĂ© donc, beaucoup de terrain Ă digression, beaucoup de coupes, de dĂ©coupes et de recoupements. Et je commence Ă croire que le vĂ©ritable propos du roman se situe surtout dans ces espaces que nâoccupent pas les personnages. (15) Dans mes livres, [la psychanalyse] me permet de prolonger un peu la rĂ©flexion sur les personnages sans tomber dans la grosse psychologie qui, au fond⊠Je ne sais pas si elle a beaucoup plus de rĂ©ponses. Et cela mâemmĂšne sur une autre piste. Je nâai jamais pensĂ© pouvoir Ă©crire un roman oĂč les personnages auraient une constitution psychologique tout Ă fait cohĂ©rente, dĂ©veloppĂ©e, avec un semblant de profondeur. Je nâai jamais pensĂ© pouvoir faire ça. En fait, crĂ©er de fines psychologies ne mâintĂ©resse pas vraiment. Je dessine tout ça Ă gros traits avec, ici et lĂ , de menus dĂ©tails. (17) Le Yi King, je le connaissais. Ă un moment donnĂ©, je le pratiquais mĂȘme. En fait, je lâai ressorti parce que je voulais encore parler des jours dans ce roman. Dans Un fin passage, je parlais des diffĂ©rents jours de la semaine, et je voulais continuer un peu dans ce sens-lĂ , parler de la vie au jour le jour. Et puis jâai pensĂ© au Yi King. En fait, jâai Ă©crit Petites difficultĂ©s dâexistence Ă partir des rĂ©sultats obtenus en faisant le Yi King. (17) Je crois au hasard en ceci que je me laisse vivre comme dans lâexpression «Go with the flow». Vous savez, dans ce sens-lĂ , les choses qui arrivent, quelles quâelles soient, câest ça mon matĂ©riel. Tout ce qui se passe, ce qui est aujourdâhui, câest mon matĂ©riel. Inutile alors de rĂ©sister. Des fois, jâai lâimpression dâimproviser quand je mâassois le matin Ă ma table de travail. Je pars un peu sur nâimporte quelle idĂ©e, sur un dĂ©tail quelconque, et jâĂ©cris, je dĂ©couvre oĂč ça mĂšne. Et le lendemain, je recommence. (17) Finalement, la matiĂšre Ă Ă©criture nâest pas nâimporte quoi, câest quelque chose qui nous fait vibrer, qui nous arrĂȘte un moment et nous fait voir, par exemple, les diffĂ©rentes composantes dâun portrait. (19) Le roman que je suis en train dâĂ©crire tourne encore autour de la maison, sans que jây aie mĂȘme pensĂ©. En fin de compte, je crois que lâhabitation, lâhabitable, lâhabitĂ©, lâhabitat, câest la vie finalement, oui, je crois que ce nâest pas plus que ça. MĂȘme le voyage est encore lâhabitat, ou plutĂŽt son envers, je ne sais pas. Dans le temps, je savais que je reprenais un thĂšme, sous un autre angle ; plus maintenant, mais le thĂšme est toujours lĂ , sans que je le fasse exprĂšs (20) Je nâen ai plus, ou pas actuellement. Bien sĂ»r, jâai lu Kerouac, presque tous ses livres. Puis Durrell, Kundera. De Marguerite Duras, jâai fini par lire pas mal de livres, mais pas tout. Oui, il y a eu des auteurs que jâai assez aimĂ©s pour lire tout ce quâils ou elles ont Ă©crit. Jâaime dĂ©couvrir aussi et, comme jâai dit, ce ne sont pas toujours des romans. Je choisis en fonction de mes intĂ©rĂȘts plus proches. Et, encore lĂ , des livres mâarrivent un peu par hasard. Si quelque chose me tente vraiment, je me dis quâil y a une raison à ça. Souvent, ils finissent par alimenter mes propres livres. (21) |
Andrea Cabajsky, « Le sentiment vif de crĂ©er. Entretien avec France Daigle », Studies in Canadian Literature / Ătudes en littĂ©rature canadienne, vol IXL, nÂș 2, 2014, p. 248-258. |
Il y a deux livres que jâai lus avant dâentreprendre [Pour sĂ»r]. Le premier, câĂ©tait LâĆuvre ouverte dâUmberto Eco. Câest un peu comme un essai sur la communication, mais je trouvais que ça sâappliquait bien aux genres littĂ©raires qui mâattirent. Et lâautre, câĂ©tait dâItalo Calvino, Lezioni americane, qui disait que si les romanciers veulent continuer dâavoir une certaine importance (il disait bien le mot « pertinence », et je trouvais que câĂ©tait . . . pertinent), il ne fallait pas se gĂȘner de se donner des projets un peu massifs, mais il fallait pousser lâaudace ou la crĂ©ativitĂ© du roman, en fait. (249) Câest comme si je voulais mettre dans ce livre-ci [Pour sĂ»r] un peu tout ce que jâavais pu apprendre en Ă©crivant mes autres livres. Câest ce qui me fait dire que câest le « sundae sur la cerise ». (249) En fait, ce livre-lĂ , pour moi, poussĂ© Ă lâextrĂȘme, serait un livre informatique. Il serait informatisable de la maniĂšre suivante : chaque fragment aurait deux possibilitĂ©s de suite, donc tu en choisirais une, puis ça te mĂšnerait Ă une autre et une autre. Donc, chacun le lirait dâune certaine façon diffĂ©rente. (250) Câest presque graphique : les chiffres pour numĂ©roter tel livre, telle section. Ă part cela, je nâai pas voulu imiter le contenu de la Bible. Et lâautre livre auquel jâai pensĂ©, câĂ©tait de Georges Perec, qui se donnait toujours des contraintes assez magistrales. (250) Dans le roman, on sent quâil y a une sorte de suite, une sorte de chronologie, mĂȘme si elle est de travers. Normalement, tu ne lâouvres pas Ă nâimporte quelle page pour lire. Normalement, il y a aussi du dialogue. Mais lĂ , jâavais un autre dĂ©fi par rapport au dialogue. On pourra en reparler. Je ne considĂšre pas avoir rĂ©ussi Ă faire un roman avec une montĂ©e de tension dramatique, puis la rĂ©solution dâun dilemme. (251) Jâen ai fait, donc lĂ , jâai glissĂ©, parce que pour moi, le thĂ©Ăątre, ce nâest pas sĂ©rieux. Le thĂ©Ăątre, on sâamuse une soirĂ©e. Alors lĂ , je me permettais de mettre du chiac â pas nĂ©cessairement du gros chiac â, mais je me suis comme apaisĂ©e par rapport Ă toute cette question-lĂ petit Ă petit. MĂȘme dans les quelques livres avant Pour sĂ»r, il y a du chiac. Mais câest quand mĂȘme assez doux. (252) |
France Daigle, 1953. Chronique dâune naissance annoncĂ©e, Moncton, Les Ă©ditions dâAcadie, 1995. |
La derniĂšre fois que je me suis assise pour Ă©crire quelque chose comme un roman, jâavais commencĂ© par une espĂšce de longue rĂ©flexion sur la nidification des merles dâAmĂ©rique. [âŠ] En fin de compte, je laissai complĂštement tomber ce chapitre car il nâavait plus vraiment sa place dans le livre. Par la suite, je me suis souvent demandĂ© comment jâavais pu lâĂ©clipser tout Ă fait, tellement il mâavait paru aller droit Ă lâessentiel lorsque je lâavais Ă©crit. (10) La balle revient. Chaque balle est un dĂ©fi. Lorsquâun rĂ©cit commence par une scĂšne de sport â cela se voit surtout au cinĂ©ma â, il y a de fortes chances que le propos rĂ©el de lâhistoire qui sâannonce soit tout Ă fait autre. Ce genre dâouverture, qui appelle doucement et de loin son sujet, fait partie des conventions qui se sont installĂ©es avec le temps entre les crĂ©ateurs et leur public. (10) |
France Daigle, Sans jamais parler du vent. Roman de crainte et dâespoir que la mort arrive Ă temps, suivi de Film dâamour et de dĂ©pendance, suivi de Histoire de la maison qui brĂ»le, Sudbury, Prise de parole, coll. « BibliothĂšque canadienne-française », 2013 [1983, 1984, 1985]. |
« Au dĂ©but lorsque cela se met Ă tenir du roman puis aprĂšs, lorsque loin dâelle tout nous Ă©puise » (22) « Cela qui agit sur nous comme pouvoir, le verbe, et de son nom pouvoir, le substantif. Le complĂ©ment comme quelque part la force des choses, les formes quâelle prend. Un roman que jâĂ©crirais et qui serait un chef-dâĆuvre. » (39) « Le temps quâil fait parfois si lâon se met Ă avoir peur, les choses lorsquâelles se rapprochent de plus en plus de nous. Quand cela tient du roman depuis un certain temps dĂ©jĂ et que la vieillesse commence Ă en avoir pour son Ăąge, son Ă©poque » (55) « Marcher irrĂ©mĂ©diablement vers sa ïŹn. La direction difïŹcile dâun navire Ă prendre. Le roman ou la direction de ce que nous avançons. Un point de non retour vers lâavant. » (70) « Penser Ă quelque chose pour la premiĂšre fois, la structure inusitĂ©e de sa maison. Un roman, son titre. Autour de la table en parler pour que cela se prĂ©cise. » (76) « Passer de lâautre cĂŽtĂ© sans rien dire, sans passer par les mots. Le roman, lâhabiter absolument. Passer dâun lieu Ă un autre sans le temps quâil faut normalement pour ces choses. Le paysage alors, sa continuitĂ© malgrĂ© les frontiĂšres et nos passeports. » (82) « Le roman comme structure contre laquelle appuyer ses voyages, le cadre dâune porte » (86) « Des pensĂ©es Ă peine pensĂ©es, que les mots nâont pas encore appelĂ©es (vendues) Ă lâexistence. Les mots, tous ceux celles quâil faut appeler pour quâils viennent. Les mots, passer de leur cĂŽtĂ©. Tenir dâun roman quâune bataille soit livrĂ©e ou non. Vaincre ou non. Des conïŹits vagues et impersonnels. » (92) « Bien sĂ»r que cela se dĂ©tĂ©riore. La mer lorsquâon nâa plus besoin dâelle, un roman lorsque de toute façon on ne lit plus. » (101) « La mer lorsquâelle aura brossĂ© un tableau quâaucun navire ne troublera. Une espĂšce dâimmobilitĂ©, un roman de crainte et dâespoir que la mort arrive Ă temps » (114) « Descendre en sâaggrippant Ă la rampe, et le bois que lâon tient dans sa main alors, le biais de toute chose. Tout ce qui est dĂ©jĂ en route, et ce que nous ne ïŹnirons jamais. Ce roman quâun jour nous dormions. » (115) « Tout cela qui ne nous concerne pas. Ăcrire tant quâon veut, avoir trop grand. Des maux lents qui nous obligent parfois. Un roman comme sâattendre Ă ce qui vient. » (120) « Les domestiques, leur personnalitĂ© propre. Le roman quâils quâelles Ă©criraient si on le leur laissait. Qui sâĂ©crit peut-ĂȘtre. Des pages silencieuses dont on se doute. » (126) « Des premiers mots comme si le roman ne courait pas partout Ă notre rencontre de toute façon. Le danger dây croire. Pour une femme, le danger dây croire et de lâĂ©crire ce roman de lâhomme doux. » (127) « Les pages Ă©crites quâon laisse tomber par terre une fois quâelles sont lues. Les pages, ceux celles qui les ramassent. Peut-ĂȘtre numĂ©rotĂ©es. Cela qui doit mourir. En main quelque chose Ă blĂąmer. Un livre, pire encore un roman. Ces choses qui nous viennent Ă lâesprit, vers lesquelles tendre. » (131) « Quand ni lâidĂ©e ni lâexpression ne reviendront. En dernier lieu une hĂ©sitation parmi tant dâautres. Ce roman, Ă qui Ă©crire nâest plus que relatif. » (136) |