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芦 Dites, pourquoi d茅valuez-vous m茅thodiquement toutes vos entreprises[1] ? 禄 demande un journaliste 脿 Louis-Ren茅 des For锚ts (1916-2000) dans une entrevue tenue quelques ann茅es avant sa mort, mettant en 茅vidence ce qui frappe quiconque a fait l鈥檈xp茅rience des propos de l鈥櫭ヽrivain sur son art. 芦 Je dirai une chose qui va para卯tre tout 脿 fait ridicule 禄, r茅pond l鈥檌nt茅ress茅, 芦 ou passer pour une fausse modestie, ce qu鈥檈lle n鈥檈st nullement : en fait, je ne me sens pas dou茅. C鈥檈st la 惫茅谤颈迟茅. Je la ressens ainsi[2] 禄. Il serait difficile de formuler un 茅nonc茅 plus typique du discours de l鈥櫭ヽrivain sur sa d茅marche, car tandis qu鈥檌l confirme et r茅it猫re la d茅pr茅ciation de lui-m锚me sur laquelle on l鈥檌nterroge, il d茅signe des oppositions qu鈥檕n retrouve constamment chez lui : entre les apparences trompeuses et la sinc茅rit茅, entre le risible et le grave, entre la fragilit茅 et la plus grande conviction, entre l鈥櫭ヽhec de l鈥櫯搖vre et sa poursuite obstin茅e.

Convenons que des For锚ts sait d茅contenancer un intervieweur, notamment par son ostensible r茅serve, comme lorsqu鈥檌l lance d鈥檈ntr茅e de jeu en entrevue : 芦 Je n鈥檃i pas grand-chose 脿 vous dire. [鈥�] Je n鈥檃ime pas parler[3] 禄. Ou lorsqu鈥檌l d茅clare, d茅valuant en bloc toute parole, incluant celle qu鈥檌l consacre lui-m锚me 脿 son 艙uvre : 芦 Celui qui ne bavarde pas ne dit rien, c鈥檈st 茅vident. Si je n鈥櫭﹖ais pas en train de bavarder, je serais silencieux 禄[4]. Nous verrons qu鈥檌l ne met pas une telle circonspection aussi fr茅quemment de l鈥檃vant par seule coquetterie 鈥� et nous pouvons d茅j脿 noter que ce trait caract茅rise, 脿 tout le moins sur le plan de la quantit茅, son travail, des For锚ts 茅tant l鈥檃uteur d鈥檜ne 艙uvre 茅parse et modeste, marqu茅e d鈥檌ntervalles de silence. Il a en effet publi茅, sans s鈥檈ngager dans une production soutenue et p茅renne, une poign茅e de r茅cits et romans, de la po茅sie, une sorte d鈥檃utobiographie, des chroniques musicales, s鈥檈ssayant aussi au cin茅ma, 脿 la traduction et 脿 l鈥檃rt plastique.

Mon 茅tude du discours de des For锚ts sur cette 艙uvre pr茅caire et polymorphe, ainsi que sur l鈥檃rt litt茅raire, se d茅ploie en trois parties dans les pages qui suivent. Je me penche d鈥檃bord sur la relation contradictoire que l鈥櫭ヽrivain entretient avec le langage. Puis j鈥檈xamine la fa莽on dont sa d茅marche semble constamment porter les traces du deuil. J鈥檃borde enfin les notions, r茅currentes chez lui, de 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅 et de 惫茅谤颈迟茅, ce qui nous conduit 脿 observer de plus pr猫s la mani猫re dont se construit sa conception de l鈥檃rt : par d茅robades et contestations internes. Je consid猫re en conclusion une expression qui me para卯t tout 脿 fait symptomatique du fonctionnement de sa pens茅e : 芦 Tout se passe comme si 禄.

Le rythme d鈥檜n soupir.

La r茅serve est constamment valoris茅e au fil des commentaires de des For锚ts sur l鈥檃rt, qu鈥檌l s鈥檃gisse par exemple pour l鈥櫭ヽrivain de s鈥檃streindre lui-m锚me 脿 une 芦 s茅v猫re 茅conomie des moyens[5] 禄 ou de mettre de l鈥檃vant dans ses 茅crits sur la musique un 芦 souci d鈥櫭ヽonomie 禄, une 芦 science du dosage 禄, voire un 芦 laconisme exemplaire 禄[6].

Au premier abord, on peut noter que, loin d鈥櫭猼re abstrait ou motiv茅 par un herm茅tisme gratuit, le laconisme forestien est explicitement rattach茅 par l鈥檃uteur 脿 des circonstances historiques et sociales. Renvoyant entre autres 脿 l鈥櫭﹑oque de la R茅sistance, o霉 un 芦 mot de trop met[tait] tout en p茅ril 禄, comme le rappelle des For锚ts dans son 艙uvre la plus autobiographique, Ostinato[7], elle semble aussi li茅e 脿 son inqui茅tude devant la prolif茅ration d鈥檜ne 芦 parole brouill茅e, faussaire ou convenue, dont l鈥檃bondance est orchestr茅e par le pouvoir des m茅dias 禄[8], une surench猫re 芦 monstrueuse 禄 qui ne serait 脿 ses yeux ni plus ni moins qu鈥檜ne 芦 nouvelle forme d鈥檕ppression, plus insidieuse et plus g茅n茅ralis茅e[9] 禄. C鈥檈st d鈥檃illeurs en insistant sur le contexte charg茅 entourant en 1957 un concert consacr茅 脿 Anton Webern, l鈥檌nvasion de la Hongrie par les troupes sovi茅tiques, qu鈥檌l affirme trouver chez le compositeur une 芦 expression authentique 脿 l鈥檃rt musical de [son] temps[10] 禄, un exemple de 芦 laconisme 禄 脿 une 茅poque 芦 o霉 l鈥�inflation verbale, sinon sonore, est 脿 son comble 禄, constat qu鈥檌l 茅tend d鈥檃illeurs au 芦 domaine de la cr茅ation romanesque 禄[11].

La concision a peu 脿 voir avec un amenuisement de l鈥檈xpression chez des For锚ts, car il s鈥檃git d鈥檃rriver 脿 dire beaucoup en peu de mots, en quoi cette valeur artistique se relie 脿 celle de densit茅 qui revient souvent dans son discours sur l鈥檃rt. Par exemple, lorsqu鈥檌l tente d鈥檌dentifier en entretien une caract茅ristique qui relierait les 艙uvres de quatre 茅crivains pour lesquels il d茅clare avoir toujours eu une pr茅dilection sans faille, Shakespeare, Pascal, Rimbaud et Gerard Manley Hopkins, il observe : 芦 En d茅pit des apparences, ils ont quelque chose de commun, l鈥櫭ヽlat, l鈥檃udace et la densit茅 abrupte de la langue : tout y semble proc茅der par bonds 禄[12]. De m锚me, se disant en r茅action contre Faulkner 芦 qui se perd dans la verbosit茅 禄, il explique que 芦 c鈥檈st s没rement pour [s]鈥檡 opposer [qu鈥檌l a] voulu faire, dans [son recueil de] nouvelles, quelque chose de tr猫s dense 禄[13]. C鈥檈st encore 芦 l鈥檈xtr锚me densit茅 qui exclut tout remplissage po茅tique, la syntaxe hardie, le rythme abrupt et syncop茅 禄 qu鈥檌l c茅l猫bre ailleurs chez Hopkins[14]. Enfin, dans une chronique musicale de 1946, o霉 il applaudit les recherches, m锚me 茅chou茅es, de certains romanciers de son temps, il d茅nonce chez les compositeurs l鈥檕ubli de la valeur de l鈥�补耻蝉迟茅谤颈迟茅, dont on con莽oit bien le rapport 脿 la r茅serve et 脿 la densit茅, et qui signifie pour lui : 芦 d茅go没t de l鈥檈ffet, recherche obstin茅e de ses propres lois, exigence 脿 l鈥櫭ゞard des moyens utilis茅s[15] 禄.

Pour des For锚ts, la litt茅rature implique, avant toute autre pr茅occupation, narrative ou esth茅tique, un exigeant travail langagier[16]. Le but authentique de l鈥櫭ヽrivain, explique-t-il dans une lettre, est de 芦 se cr茅er un langage 禄[17]. Pourtant, par une contradiction apparente quoiqu鈥檃ssez commune durant la p茅riode 脿 laquelle il appartient, le travail appliqu茅 de la langue se conjugue chez lui 脿 un souci qui le corrode de l鈥檌nt茅rieur : un scepticisme marqu茅 devant la parole. Ainsi, des For锚ts peut affirmer, d鈥檜ne part, qu鈥� 芦 il faut, enfin il faudrait, se laisser porter par la langue 禄[18] ou que s鈥檌l n鈥檈st pas 芦 conduit par le langage, [il ne fait] rien de bon, rien qui [lui] paraisse valoir d鈥櫭猼re dit ou qui soit au plus pr猫s de [s]a 惫茅谤颈迟茅 propre 禄[19], tandis que, de l鈥檃utre, il admet aussit么t 芦 que cette subordination de la pens茅e au langage a quelque chose de d茅ment, d鈥檃utant qu鈥檈lle s鈥檃ccompagne chez [lui] d鈥檜ne grande 诲茅蹿颈补苍肠别 du langage 禄[20]. Il semble alors que l鈥櫭﹖range rapport 脿 la langue d茅crit par des For锚ts tiraille l鈥櫭ヽrivain entre la suj茅tion 脿 celle-ci et l鈥檈ffort hardi pour la contrecarrer et la ma卯triser, entre la contrainte et l鈥檈xercice vigoureux de la volont茅 artistique.

Ainsi, suivre le mouvement du langage ne peut signifier pour des For锚ts un abandon nonchalant 脿 l鈥檈nthousiasme de l鈥櫭ヽriture, qui rec猫le lui aussi ses menaces. Parlant de la r茅daction du Voyage d鈥檋iver, roman auquel il a renonc茅 apr猫s des ann茅es de travail, et qu鈥檌l presque enti猫rement d茅truit[21], des For锚ts explique par exemple qu鈥檌l refusait les 芦 bouff茅es d鈥檌nspiration 禄, les consid茅rant 芦 suspectes 禄[22]. Et commentant une autre 艙uvre, po茅tique celle-l脿, s鈥檌l dit s鈥櫭猼re 芦 peut-锚tre laiss茅 l脿 plus qu鈥檃illeurs [鈥�] porter par la langue 禄, il ajoute aussit么t qu鈥檌l existe un 芦 danger 禄, un 芦 risque 禄 脿 tomber dans une 芦 certaine complaisance verbale 禄 ou 芦 dans un lyrisme qui est parfois un peu suspect 禄[23].

Cet obscur p茅ril en est un que des For锚ts semble s鈥檌mposer 脿 lui-m锚me, devenant lorsqu鈥檌l 茅crit la proie d'un 茅trange 芦 ph茅nom猫ne de d茅doublement 禄[24]. Tandis que l鈥檃uteur en lui est 芦 tenu en bride 禄 par l鈥檃utre partie de lui qui en fait son propre lecteur, il se trouve 脿 incarner 芦 en m锚me temps les deux membres du couple 禄, mais sur le d茅licat mode d鈥檜ne 芦 dualit茅 dont chacun des termes exclut radicalement l鈥檃utre 禄[25] :

Tout 茅crivain, et m锚me tout lecteur, chez qui le souci de l鈥檃rt s鈥檜nit 脿 une grande m茅fiance des moyens de l鈥檃rt, passe par ce double mouvement : mouvement inspir茅, mouvement critique. En ce sens, je dirai qu鈥櫭ヽrire est l鈥檃cte de quelqu鈥檜n en moi qui parle en vue de quelqu鈥檜n en moi qui l鈥櫭ヽoute[26].

On retrouve, il me semble, une tension analogue lorsque des For锚ts emprunte 脿 la musique la notion de rythme pour d茅crire son id茅al litt茅raire. Le rythme a trait, chez l鈥櫭ヽrivain, 脿 la laconique densit茅 qu鈥檌l place au centre de sa conception de l鈥檃rt et de la litt茅rature, car 茅crire consiste selon lui 脿 芦 exprimer, par une concentration de plus en plus grande des 茅l茅ments rythmiques, la pulsation int茅rieure, la scansion de l鈥櫭猼re[27] 禄. C鈥檈st cette notion qu鈥檕n retrouve par exemple dans ce souci de 芦 l鈥檕rganisation rythmique des 诲颈蹿蹿茅谤别苍迟蝉 plans 禄 qu鈥檌l d茅crit d猫s 1949 dans une lettre o霉 il aborde Le voyage d鈥檋iver[28]. Il est, de m锚me, remarquable que le mot Ostinato, dont des For锚ts explique en entrevue qu鈥檌l signifie le 芦 maintien d鈥檜ne formule rythmique pendant tout ou partie d鈥檜ne 艙uvre musicale[29] 禄, soit employ茅 comme titre de la derni猫re 艙uvre publi茅e de son vivant. En outre, dans Voies et d茅tours de la fiction, il explique qu鈥檌l se concentre sur les 芦 relations internes 禄 entre les mots, cherchant l鈥檜nit茅 dans 芦 une organisation rythmique en accord avec le mouvement profond qui [l]e porte[30] 禄. Ce recours 脿 la m茅taphore rythmique pour d茅signer le mouvement secret qui se d茅roule en l鈥櫭ヽrivain, et son rapport au langage, incarne bien le paradoxe de la libert茅 dans la contrainte qui caract茅rise le travail de des For锚ts : comme un musicien doit suivre le tempo donn茅, tout en jouissant d鈥檜ne grande autonomie dans son interpr茅tation d鈥檜ne partition, l鈥檃uteur est tout 脿 fait libre鈥� 脿 condition toutefois de demeurer fid猫le 脿 ce battement int茅rieur qui s鈥檌mpose 脿 lui. C鈥檈st d鈥檃illeurs ce que l鈥櫭ヽrivain dit envier au domaine de la musique : 芦 une libert茅 dans la rigueur 禄[31].

Des For锚ts aime 脿 citer une formule qui synth茅tise bien ce rapport tendu que l鈥櫭ヽrivain entretient 脿 ses yeux avec le langage, sorte d鈥檌d茅al po茅tique qu鈥檌l emprunte au compositeur Arnold Sch枚nberg : un 芦 roman en un seul soupir[32] 禄. Cette 茅nigmatique aspiration fait 茅cho 脿 plusieurs des qualit茅s po茅tiques que nous avons identifi茅es jusqu鈥櫭� pr茅sent : caract茅ris茅e par le laconisme que recherche des For锚ts, exprimant beaucoup par le peu, elle renvoie 脿 la fois 脿 une elliptique retenue et 脿 l鈥檃bandon 脿 un irr茅sistible mouvement int茅rieur. Mais si un soupir est souvent lourd de signification, cette derni猫re peut 锚tre fugace : ici, elle semble moins se rapporter au soulagement ou au plaisir esth茅tique qu鈥檃u d茅sarroi devant ce qui place toujours l鈥櫯搖vre forestienne hors d鈥檃tteinte.

Les moyens du deuil.

On rep猫re constamment dans le discours de des For锚ts une singuli猫re 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅 pour l鈥櫭ヽrivain de renoncer 脿 lui-m锚me pour trouver le vif langage de l鈥櫯搖vre : pour 芦 garder sa vitalit茅, on doit perp茅tuellement se quitter et se retrouver, mais de telle sorte que l鈥檈ndroit qu鈥檕n a quitt茅 et l鈥檈ndroit o霉 l鈥檕n revient soient les m锚mes, et pourtant 诲颈蹿蹿茅谤别苍迟蝉 禄[33]. L鈥櫭ヽriture semble ainsi avancer par d茅lestages et deuils, la litt茅rature ne pouvant s鈥櫭﹔iger que dans une lacune : il y a 芦 toujours 禄, affirme des For锚ts, 芦 dans le fait d鈥櫭ヽrire, un ph茅nom猫ne de compensation 禄[34]. 脌 ses yeux, 芦 l鈥櫭ヽrivain n鈥檈st pas outill茅 禄 si on le compare 脿 d鈥檃utres artistes, au peintre ou au musicien : 芦 La mati猫re lui manque 禄[35].

Une telle comparaison n鈥檈st pas anodine, car l鈥櫭ヽriture tient litt茅ralement lieu chez des For锚ts d鈥檜n art qu鈥檌l d茅crit souvent comme sa v茅ritable vocation, la musique. 芦 [E]ntre la litt茅rature et la musique j鈥檃urais de beaucoup choisi la musique comme moyen d鈥檈xpression 禄[36] ; 芦 [c]鈥檈st cela que je voulais, plut么t que d鈥櫭ヽrire[37] 禄. Dans un autre entretien, il va jusqu鈥櫭� avancer que cette passion contrari茅e explique 芦 pourquoi, peut-锚tre, [il] 茅cri[t] si peu 禄, son laconisme d茅coulant sous cet angle de ce que l鈥櫭ヽriture est pour lui 芦 une esp猫ce de pis-aller 禄[38]. Qu鈥檕n prenne tout 脿 fait au s茅rieux ces remarques ou non, il demeure que des For锚ts revient souvent sur cette possibilit茅 qu鈥檌l ait 芦 manqu茅 [s]a vocation 禄, tout en insistant sur le caract猫re douteux de la contrepartie que lui apporte l鈥櫭ヽriture : 芦 [m]on inaptitude 脿 la musique ne se console pas d鈥檜ne quelconque et d鈥檃illeurs discutable aptitude 脿 la litt茅rature 禄[39]. N茅anmoins, l鈥櫭ヽrivain reconna卯t que s鈥檌l a pu tenter 芦 d鈥檃ssouvir par les mots une passion contrari茅e de la musique 禄, c鈥檈st par un travail musical de la langue, en 芦 variant les jeux d鈥櫭ヽriture, en passant 脿 la prosodie, 脿 la rythmique et m锚me au po猫me 禄[40]. Soudain, on comprend mieux de quelle fa莽on la musique hante la pens茅e forestienne de la litt茅rature, notamment 脿 travers des notions comme celle de rythme ou de voix[41]. C鈥檈st qu鈥檈lle inscrit dans l鈥櫭ヽriture une aspiration condamn茅e d鈥檃vance 脿 demeurer inapais茅e, le r锚ve m茅lancolique d鈥檜ne forme d鈥檈xpression qui d茅passerait les mots, qui r茅sonnerait avec 芦 l鈥櫭﹙idence d鈥檜n chant 禄[42].

Chez des For锚ts, l鈥檃rtiste para卯t toujours entretenir un rapport de s茅paration avec ses 艙uvres, pass茅es comme 脿 venir. Avan莽ant par 芦 rupture 禄 avec les tentatives pr茅c茅dentes[43], qui constituent d鈥檃illeurs de 芦 s茅rieux obstacles 脿 l鈥櫭﹍aboration de celle qui les suit[44] 禄, et 芦 constamment en instance de divorce avec l鈥櫯搖vre 禄[45], l鈥櫭ヽrivain pr茅sente ses livres comme un d茅saveu de ceux auxquels ils succ猫dent : 芦 Le bavard, qui forme un texte assez court, 茅tait une critique des Mendiants, beaucoup plus d茅velopp茅 禄, de m锚me que 芦 La chambre des enfants, qui est un recueil de nouvelles [qu鈥檌l s鈥檈st] efforc茅 de resserrer le plus possible, constitue [鈥�] une critique de ce roman trop dilu茅 [qu鈥檌l a] jug茅 impubliable 禄[46], Le voyage d鈥檋iver. 芦 Je commence tellement de choses que je ne finis pas[47] 禄, d茅clare en outre l鈥櫭ヽrivain. Or, tenace, l鈥檕bjet du renoncement ou de la perte continue d鈥檋abiter celui qui s鈥檈n d茅tourne. Si des For锚ts affirme s鈥櫭猼re senti 芦 d茅livr[茅] du doute 禄[48] en d茅laissant son Voyage d鈥檋iver, il admet que 芦 le vide cr茅茅 par l鈥櫯搖vre qui ne verra jamais le jour ne peut 锚tre combl茅 禄 et que, un peu comme la blessure d鈥檜n deuil, ce manque 芦 faussera secr猫tement la perspective de l鈥檈nsemble 禄[49].

Il semble que des For锚ts travaille, pr茅cis茅ment, 脿 partir de son renoncement 脿 ses aptitudes litt茅raires, dans une constante 芦 m茅fiance 脿 l鈥櫭ゞard de [lui]-m锚me 禄 et de ses 芦 possibilit茅s d鈥櫭ヽrire 禄 dont il dit avoir 芦 toujours dout茅[50] 禄. C鈥檈st ainsi qu鈥檌l peut se reprocher, se retirant les traits sp茅cifiques qu鈥檌l valorise, dans une lettre 脿 Andr茅 du Bouchet, un 芦 manque d鈥櫭﹏ergie, de densit茅 int茅rieure, par d茅faut de cette conviction qui est le ressort et la marque [鈥�] d鈥檜ne vitalit茅 dont [il] [s]e sen[t] [鈥�] totalement d茅pourvu 禄[51]. 芦 L鈥檃utodestruction est une forme de mon esprit[52] 禄, confie-t-il en entrevue, semblant affect茅 par la m锚me 芦 morbidit茅 auto-destructrice 禄 qu鈥檌l diagnostique au po猫te Hopkins auquel il reconna卯t 锚tre li茅 par un 芦 ph茅nom猫ne d鈥檌dentification 禄[53].

En r茅alit茅, un risque double guette l鈥櫭ヽrivain, aux yeux de des For锚ts, ce sur quoi nous renseigne sa curieuse exp茅rience du Voyage d鈥檋iver. 脡valuant sa situation malais茅e, dans une lettre contemporaine 脿 la r茅daction de ce livre, il se demande, doutant de lui-m锚me, s鈥檌l n鈥檃 pas 芦 surestim茅 ses forces 禄, affirmant 锚tre guid茅 par cette phrase : 芦 D茅couvrir ce que vous ne pouvez pas faire, puis vous mettre aussit么t 脿 le faire, telle est la r猫gle d鈥檕r 禄[54]. Mais, il explique aussi dans Voies et d茅tours de la fiction que le probl猫me avec cette 艙uvre 茅tait que, 芦 trop pr茅m茅dit茅e 禄, elle 芦 avait cess茅 pour [lui] d鈥櫭猼re l鈥檌mpossible 禄[55]. Ainsi, le livre l鈥檃urait 芦 entra卯n[茅] dans des voies un peu p茅rilleuses, non pas parce que c鈥櫭﹖ait un livre audacieux 禄, mais plut么t en 茅tant 芦 le contraire d鈥檜n livre audacieux 禄[56] : il serait devenu impossible en cessant d鈥櫭猼re impossible. L鈥檃ntinomie est manifeste lorsqu鈥檌l d茅clare dans une m锚me lettre avoir 芦 abord茅 des difficult茅s trop insurmontables 禄 et voir dans l鈥櫯搖vre les 芦 fruits insipides d鈥檜n l芒che abandon 脿 la facilit茅 禄[57]. Des For锚ts le reconna卯t explicitement : il a trouv茅 le d茅couragement 芦 [e]ntre un exc猫s de facilit茅 et un exc猫s de difficult茅 禄[58]. Le danger du succ猫s se manifeste encore lorsque des For锚ts, prenant ses distances avec le 芦 nouveau roman 禄, note que ce dernier court le risque 芦 de tomber sous le malheur de la 谤茅耻蝉蝉颈迟别 禄^[59], ce qui n鈥檈st probablement pas 茅tranger 脿 sa trop grande pr茅occupation des questions de 芦 technique romanesque 禄[60]

Mais comment l鈥櫭ヽrivain forestien pourrait-il 茅chapper 脿 l鈥櫭﹑reuve du deuil, lui qui fait 艙uvre menac茅 de toutes parts, 芦 par la 谤茅耻蝉蝉颈迟别 禄 comme 芦 par l鈥櫭ヽhec 禄 qui le placent 芦 dans une 茅gale ins茅curit茅 au regard m锚me de ce qu鈥檌l a 脿 dire ou transmettre 禄[61] ? S鈥檌l ne s鈥檃git pas, pour des For锚ts, qui met un rigoureux travail de langue au c艙ur de sa conception de l鈥櫭ヽriture, de valoriser l鈥櫭ヽhec pour lui-m锚me 鈥� 芦 [q]u鈥檜n 茅crivain assume son propre 茅chec ne doit pas 锚tre tenu comme un signe de la ma卯trise 禄[62] 鈥�, il faut, selon lui, 芦 pr茅f茅rer l鈥櫭ヽhec au compromis de la 谤茅耻蝉蝉颈迟别 禄 parce que 芦 l鈥櫭ヽhec est souvent le prix tr猫s lourd dont se paie la 谤茅耻蝉蝉颈迟别 禄[63]. En d鈥檃utres termes, pour l鈥櫭ヽrivain, une 艙uvre n鈥檈st, pr茅cis茅ment, possible que par ses deuils et ses lacunes : c鈥檈st lorsqu鈥檈lle porte 芦 une exigence excessive 禄 qu鈥檈lle trouve 芦 dans son 茅chec la condition m锚me de sa 谤茅耻蝉蝉颈迟别 禄[64].

Dans un tel 茅tat d鈥檌ns茅curit茅, et dans l鈥檌gnorance du 芦 but [qu鈥檌l] poursuit en 茅crivant, si tant est qu鈥檌l y en ait un 禄[65], le cr茅ateur forestien est naturellement men茅 脿 se concentrer sur les moyens de l鈥櫯搖vre plut么t que sur ses fins. 芦 [Q]uelle pi猫tre id茅e se font de la litt茅rature ceux qui l鈥檈ntendent comme une activit茅 capable de s鈥檈xercer sans consid茅ration de ses moyens[66] ! 禄 Or l鈥檃ttention aux moyens de l鈥櫭ヽriture, loin d鈥櫭猼re limit茅e 脿 la technique[67], implique un 茅quilibre qui para卯t souvent inatteignable entre ce qui serait de l鈥檕rdre de l鈥櫜钩懿醭倜┌�颈迟茅, de l鈥檈xigence, et d鈥檃utres traits qui s鈥檃joutent parfois, semblant s鈥檕pposer aux premiers : l鈥檌nspiration, la sensibilit茅, l鈥檃udace. Pour des For锚ts, l鈥檃rtiste peut s鈥檈nliser s鈥檌l avance trop dans l鈥檜ne comme dans l鈥檃utre de ces directions ; c鈥檈st ainsi que l鈥櫭ヽrivain peut 脿 la fois reprocher 脿 Messiaen d鈥櫭猼re un 芦 flatteur 禄, qui voudrait ravir et envo没ter 芦 par la richesse des moyens mis en 艙uvre 禄, de chercher 脿 agir 芦 directement sur la sensibilit茅 sans passer par l鈥檌ntelligence[68] 禄 et critiquer Stravinski parce qu鈥檌l propose dans son Canticum Sacrum une 芦 艙uvre bien construite, mais p茅trifi茅e 禄, 芦 priv茅[e] de vitalit茅 et d鈥檌magination 禄, 芦 un ouvrage bien fait, mais sans 芒me et qui aurait pu aussi bien 锚tre fait avec d鈥檃utres moyens 禄[69]. Par contraste, chez Webern, que des For锚ts cite en exemple, 芦 l鈥檌nvention m茅lodique, en 惫茅谤颈迟茅 prodigieuse 禄 est 芦 sans cesse contr么l茅e par un souci d鈥櫭ヽonomie s茅v猫re, [mais sans qu鈥橾 脿 aucun moment l鈥櫜钩懿醭倜┌�颈迟茅 qui a pr茅sid茅 脿 son 茅laboration ne p猫se sur l鈥櫯搖vre 禄[70]. On y trouve en somme une 芦 richesse de l鈥檌nspiration 禄 qui est 芦 tout enti猫re fonction des moyens choisis et utilis茅s 禄[71].

Autrement dit, les moyens d鈥檜ne 艙uvre semblent devoir s鈥檌mposer d鈥檈ux-m锚mes, tout comme ils doivent 锚tre soumis au 芦 risque de l鈥櫭ヽhec 禄 qui contraint l鈥櫭ヽrivain 脿 faire preuve d鈥� 芦 une vigilance sans d茅faut 禄 pour que 芦 chaque obstacle, f没t-il esquiv茅 de justesse, ouvr[e] 脿 des possibilit茅s nouvelles et serv[e] comme de tremplin 脿 de nouveaux d茅fis 禄[72]. C鈥檈st ce qui explique que la 芦 rupture 禄 puisse 锚tre comprise comme une loi de l鈥檃rt pour des For锚ts : c鈥檈st aux prises avec la d茅chirure constante, le deuil, que l鈥櫯搖vre se d茅ploie, devant sans cesse 芦 recouvr[er] 禄 son unit茅 perdue[73]. Paraissant toujours, dans son discours sur sa d茅marche, engag茅 dans un va-et-vient entre l鈥櫭ヽhec et la 谤茅耻蝉蝉颈迟别 鈥� comme, dans son rapport au langage, entre la volont茅 et la contrainte 鈥�, l鈥櫭ヽrivain forestien serait, pour reprendre les mots qu鈥檌l applique 脿 Webern 芦 [脿] la fois infiniment ambitieux et infiniment modeste 禄, cherchant l鈥� 芦 alliage insolite de la simplicit茅 et de la quintessence 禄[74]. Et c鈥檈st sans doute 脿 cause de ces exigences colossales et contradictoires que l鈥櫭ヽriture a 脿 ruser sans cesse avec ses propres limites.

N茅cessit茅, 惫茅谤颈迟茅, duplicit茅.

La parole de des For锚ts sur son travail est souvent sinueuse, contradictoire, et certaines notions constitutives chez lui, celles de 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅 et de 惫茅谤颈迟茅, ne semblent prendre sens que dans leurs duperies et leurs discordances. Dans son discours sur son travail, l鈥檈xposition du fond de sa pens茅e ressemble souvent 脿 une d茅robade semblable 脿 celles du narrateur du Bavard, frapp茅 脿 la fois d鈥檜n incontr么lable 芦 besoin de parler 禄 et d鈥檜ne 芦 impuissance 禄 脿 trouver quelque chose 脿 dire[75], et dont l鈥檌mposture finale, 芦 acte brutal de d茅voilement 禄, est aussi 芦 acte subtil de dissimulation 禄[76]. On s鈥檈n convainc en lisant la tortueuse r茅ponse de des For锚ts 脿 l鈥檈nqu锚te 芦 Pourquoi 茅crivez-vous ? 禄. Car tandis qu鈥檌l ajoute 脿 une question 芦 troublante 禄 une s茅rie d鈥檃utres interrogations, 茅vitant soigneusement de r茅pondre 脿 ce qui lui est demand茅, il d茅nonce du m锚me souffle la tentative d鈥櫭﹍uder le probl猫me qui consisterait 脿 芦 s鈥檈n tirer par une boutade qui ne serait alors qu鈥檜n faux-fuyant, une mani猫re 诲茅迟辞耻谤苍茅别 de masquer son embarras 禄[77].

L鈥檜n des principes po茅tiques auxquels des For锚ts se raccroche souvent est celui de 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅. Cette derni猫re appara卯t par exemple dans une lettre de 1947 o霉 il aborde Le voyage d鈥檋iver : 芦 Si je n鈥櫭ヽris pas quelque chose de neuf, qui n鈥檃it 脿 mes yeux un caract猫re absolu de 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅 et me passionne, ce n鈥檈st vraiment pas la peine de prendre la plume[78] 禄. On notera au passage que l鈥檌nsistance sur la notion de 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅 surprend chez un artiste qui admet 茅crire par d茅pit, dont une part non n茅gligeable de l鈥櫯搖vre est n茅e de commandes[79], sans compter qu鈥檌l confie avoir souvent travaill茅 芦 sans savoir o霉 [il] allai[t][80] 禄 ; 芦 sans dessein pr茅alable et sans volont茅 pr茅m茅dit茅e 禄[81] ; 芦 Je ne sais pas du tout ce que je fais ni o霉 je vais quand j鈥櫭ヽris 禄[82]. Si nous savons d茅sormais qu鈥檌l faut probablement interpr茅ter la 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅 forestienne comme 茅tant li茅e 脿 ce rythme int茅rieur que nous avons 茅voqu茅 plus haut, celui qui organise l鈥櫯搖vre 脿 partir de la langue, la notion sort bien n茅buleuse des tentatives de l鈥櫭ヽrivain d鈥檈xpliquer l鈥櫭ヽriture du Bavard :

C鈥檈st certainement un livre auquel j鈥檃i 茅t茅 contraint, mais cela ne veut nullement dire que c鈥檈st un livre dont je connaissais la donn茅e par avance, le projet ou m锚me le th猫me, non鈥� Mais que j鈥檡 aie 茅t茅 contraint, ce qui m鈥檡 fait davantage penser, c鈥檈st pr茅cis茅ment la rapidit茅 avec laquelle je l鈥檃i 茅crit, ce qui ne signifie peut-锚tre rien du tout. On peut 茅crire un livre auquel on est contraint avec la plus grande lenteur et la plus grande difficult茅 aussi[83].

Les relations ambigu毛s entre l鈥檌mp茅rieuse 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅 et l鈥檈rrance se trouvent au c艙ur des r茅flexions de des For锚ts sur Le bavard. Il explique ainsi dans Voies et d茅tours de la fiction qu鈥檌l voit dans cette 艙uvre une 芦 course tendue du langage qui, devenue son propre objet, se poursuit sans but et ne peut s鈥檃chever que dans [un] recours sournois aux figures de la rh茅torique 禄, dans des 芦 inversions de forme 禄, des 芦 d茅placements ou permutations de significations 禄, des 芦 op茅rations dont chacune 蝉鈥檃苍苍耻濒别 elle-m锚me et par lesquelles se reproduisent les mouvements contradictoires, les distorsions, les attitudes secr猫tes et 诲茅迟辞耻谤苍茅别s de la pens茅e 禄[84]. Si des For锚ts identifie dans ces proc茅d茅s 芦 les signes d鈥檜ne impossibilit茅 fondamentale pour la conscience narrative 禄 脿 l鈥檈mporter sur une 芦 myst茅rieuse dualit茅 qui est en elle comme une maladie de l鈥檈sprit 禄[85], il relie aussit么t ces ruses et d茅doublements 脿 la notion de 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅, proposant une image qui est applicable non seulement au Bavard, mais 脿 toute son 艙uvre :

On pourrait, si l鈥檕n veut, figurer g茅om茅triquement ce mouvement par une ligne irr茅guli猫re accompagnant une droite dont tant么t elle se rapproche, tant么t elle s鈥櫭ヽarte : nous n鈥檃vons plus seulement une direction, mais un rapport, quelque chose qui, 脿 c么t茅 de la direction abstraite et n茅cessaire, surmonte ou 茅pouse l鈥檕bstacle par le d茅tour ; cette seconde ligne, sans cesse en 茅mulation avec la droite qu鈥檈lle cherche 脿 d茅router ou 脿 interrompre, traduit un certain sens invisible, comme une excursion autour de la 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅 dans le possible[86].

La 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅 se manifeste comme l鈥檌mp茅rative et secr猫te orientation de l鈥櫯搖vre qui, parce qu鈥檈lle ne peut dessiner qu鈥檜n parcours impossible et condamn茅 d鈥檃vance, doit 锚tre 谤别诲辞耻产濒茅别 par des m茅andres qui permettent, empiriquement, 脿 l鈥櫯搖vre d鈥檈xister.

Un ph茅nom猫ne similaire affecte chez des For锚ts la notion connexe de 惫茅谤颈迟茅, elle aussi centrale 脿 son univers po茅tique. C鈥檈st elle qu鈥檌l retrouve par exemple chez des 茅crivains qu鈥檌l dit pr茅f茅rer aux 芦 nouveaux romanciers 禄 : 芦 Breton, Bataille, Blanchot et Leiris qui, dans une 艙uvre tendue et d鈥檜ne lucidit茅 exemplaire, ont su r茅unir en une supr锚me identit茅 ces notions apparemment antinomiques : po茅sie et 惫茅谤颈迟茅 禄[87]. Et dans une veine similaire, des For锚ts contemple, fugitivement, la possibilit茅 pour l鈥櫭ヽrivain de 芦 faire du langage le lieu de la m茅diation et de la 惫茅谤颈迟茅 absolue[88] 禄.

La 惫茅谤颈迟茅 vis茅e par l鈥檃rt ne peut 锚tre, chez lui, qu鈥櫭﹍usive, caract猫re par lequel on constate qu鈥檈lle ressemble 茅trangement 脿 la 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅 : 芦 脡crire, cela suppose une exigence rigoureuse et exclusive, un mouvement vers une 惫茅谤颈迟茅 toujours plus imp茅rieuse mais toujours plus fuyante, et qui s鈥檃ffirme comme si essentiel qu鈥檕n ne peut s鈥檈n 茅carter sans la certitude de gravement faillir[89] 禄. Cet aspect 茅vasif de la 惫茅谤颈迟茅 provient en partie de ce que la 芦 惫茅谤颈迟茅 une fois trouv茅e cesse d鈥檌nt茅resser 禄[90], mais il a aussi 脿 voir, comme l鈥櫭ヽrivain l鈥檈xplique ailleurs, avec l鈥檌ntuition selon laquelle l鈥� 芦 expression vraie cache ce qu鈥檈lle manifeste[91] 禄. Puisque 芦 tout sentiment, toute id茅e puissante provoqu[e] en nous comme un vide 禄, il en d茅coule que 芦 le langage, s鈥檌l 茅carte ce vide, 茅carte aussi la 惫茅谤颈迟茅, c鈥檈st-脿-dire, en d茅finitive, la po茅sie 禄[92]. Et c鈥檈st en reconnaissant la nature fugitive de la 惫茅谤颈迟茅 po茅tique, de 芦 [c]e qui se d茅robe 脿 l鈥檃nalyse 禄, en laissant un jeu pour l鈥檈sprit, que la musique et la litt茅rature (qui alors s鈥檈n approche) tendraient vers leur 芦 nature 禄[93].

Notons que le romancier n鈥櫭ヽhappe pas, chez des For锚ts, 脿 cette exigence de 惫茅谤颈迟茅. Seulement, vu la proximit茅 du roman avec l鈥檌llusion, il ne peut s鈥檡 plier que par imposture :

[Un romancier] ne peut donc se d茅livrer du mensonge qu鈥檈n exploitant les ressources multiples du mensonge. (De cette origine 鈥� accession 脿 la 惫茅谤颈迟茅 par le d茅tour du mensonge 鈥� l鈥櫯搖vre tire ses contradictions et ses ambigu茂t茅s.) [鈥�] [L]e langage romanesque n鈥檃ssure sa fonction qu鈥檈n recourant aux moyens dont se sert le mensonge, et c鈥檈st m锚me, paradoxalement, la seule fonction qu鈥檌l puisse accomplir en toute 惫茅谤颈迟茅[94].

Il n鈥檈st pas surprenant, alors, que, n茅 de ses sinuosit茅s et d茅viations, le roman forestien, qui cherche 脿 s鈥檈squiver dans le 芦 possible 禄, soit compris en tant que genre comme 芦 force exceptionnelle de d茅rivation, de dissociation des apparences dans lesquelles [se stabilise] et [a] tendance 脿 se reposer l鈥檈sprit[95] 禄. Nous avons compris, alors que notre parcours s鈥檃ch猫ve, que la 惫茅谤颈迟茅 et la fid茅lit茅 脿 la 苍茅肠别蝉蝉颈迟茅 que des For锚ts institue en aspirations capitales pour l鈥檃rt, ne peuvent 锚tre atteintes que par les faux-semblants et les feintes, par des d茅tours constants que doit prendre l鈥櫯搖vre face au risque de la d茅route. C鈥檈st ce qui donne 脿 la fois sa puissance et sa pr茅carit茅 脿 cette pens茅e de la litt茅rature qui semble sans cesse se d茅doubler, dresser des obstacles pour elle-m锚me, puis tenter de les d茅jouer 鈥� courant 脿 chaque instant le risque r茅el de se trouver entrav茅e pour de bon.

脡crivain par 丑测辫辞迟丑猫蝉别.

Des For锚ts emploie assez souvent une formule o霉 l鈥檕n peut reconna卯tre la marque de ces mouvements ambivalents qui caract茅risent sa pens茅e : 芦 Tout se passe comme si 禄. Dans un passage fascinant de Voies et d茅tours de la fiction, tandis qu鈥檌l aborde son usage du pronom je et l鈥檌mportance de la rh茅torique dans son 艙uvre, plus pr茅cis茅ment celui de la 芦 contestation ironique de soi 禄[96], des For锚ts explique : 芦 tout se passe en d茅finitive comme si rien ne pouvait s鈥檃ccomplir que dans l鈥檌mpossibilit茅 de son accomplissement 禄[97]. Cette m锚me expression appara卯t de nouveau dans ce texte, alors qu鈥檌l aborde les contradictions inh茅rentes 脿 sa conception de l鈥櫭ヽriture : 芦 Tout se passe, on l鈥檃 remarqu茅, comme s鈥�il nous fallait dire une chose et ne dire qu鈥檈lle, mais sommes-nous jamais assur茅s de pouvoir la dire[98] ? 禄 On la retrouve lorsqu鈥檌l tente d鈥檈xpliquer la longue 芦 erreur 禄 de son Voyage d鈥檋iver : 芦 Tout s鈥檈st pass茅 comme si l鈥檃mbition et l鈥檃mpleur de mon dessein l鈥檃vaient rendu par elles-m锚mes caduc 禄[99]. Il est en outre assez frappant que la locution lance 茅galement la nouvelle Dans un miroir (1960), o霉 elle instaure une discordance d猫s la premi猫re phrase : 芦 Bien que ses visites soient quotidiennes et d鈥檜ne ponctualit茅 irr茅prochable, tout se passe chaque jour comme s鈥�il survenait 脿 l鈥檌mproviste 禄[100].

Cette formule, que des For锚ts n鈥檈st 茅videmment pas le seul 脿 employer, inscrit dans le langage lui-m锚me cette contestation interne que nous n鈥檃vons cess茅 de retrouver chez lui, cet entre-deux si typique de sa pens茅e[101]. Elle lui permet, par une sorte de duplicit茅, de s鈥檃vancer sans s鈥檃vancer, d鈥櫭﹙oquer une aporie sans avoir 脿 la r茅soudre v茅ritablement. Il n鈥檈st pas 茅tonnant, alors, que la formule apparaisse quand il aborde ces questions exigeantes qui sont au c艙ur de sa conception de la litt茅rature : agissant comme marqueur de fiction dans la r茅flexion po茅tique elle-m锚me, comme excursion de sa pens茅e de l鈥檃rt dans le possible, elle exprime par ce d茅tour l鈥檈xigence impossible qui s鈥檌mpose 脿 lui.

Dans ses d茅viations, cette formule est d鈥檃illeurs caract茅ristique de la mani猫re m锚me dont des For锚ts con莽oit la possibilit茅 pour un 茅crivain de parler de son 艙uvre. Car pour lui, 芦 il y a toujours quelque chose de vain 脿 vouloir soumettre 脿 l鈥檃nalyse ce qui n鈥檃 pu trouver le moyen de s鈥檈xprimer que sous une forme 诲茅迟辞耻谤苍茅别 禄[102]. Constant dans ses louvoiements, l鈥櫭ヽrivain h茅site 脿 la fin de Voies et d茅tours de la fiction : mettant d鈥檃bord en garde contre le caract猫re p茅rilleux de sa tentative de commenter son art, il soup莽onne ensuite l鈥檌nterdit jet茅 sur toute entreprise d鈥檃uto茅lucidation par les 茅crivains de leur travail d鈥櫭猼re entretenu par ceux-ci par fausse modestie et int茅r锚t, avant de revenir 脿 l鈥檌d茅e premi猫re selon laquelle toute explication d鈥檜ne 艙uvre par un artiste ne peut que la desservir ; il lance enfin, 茅vitant bien de d茅nouer la question, qu鈥櫬� on aurait tort de conclure que la preuve est faite de l鈥檌mpossibilit茅 pour l鈥櫭ヽrivain de parler de son 艙uvre 禄[103].

C鈥檈st, il me semble, avec l鈥檌nstabilit茅 du 芦 tout se passe comme si 禄, sur le mode de la possibilit茅 et de la conjecture, que des For锚ts 茅chafaude sa conception de l鈥櫭ヽriture, lui qui, abordant en entretien ses nombreuses contradictions, reconna卯t non sans humour que sa situation n鈥檈st pas 芦 confortable 禄 et que sa d茅marche n鈥檈st pas 芦 脿 proposer en exemple 禄[104]. En somme, tout se passe comme si des For锚ts ne pouvait 茅crire, et penser cette 茅criture, qu鈥檈xpos茅 chaque jour 脿 la menace d鈥檜n 茅chec que doit sans cesse contourner l鈥櫯搖vre pour s鈥檌nventer. 脌 un journaliste qui lui demande en 1995 s鈥檌l est toujours 茅crivain, des For锚ts donne d鈥檃illeurs ces explications 茅tonnantes : 芦 Je travaille 脿 cette 丑测辫辞迟丑猫蝉别, tr猫s t么t chaque matin. [鈥�] J鈥櫭ヽris sur des cahiers d鈥櫭ヽolier, le mod猫le 脿 carreaux et spirale 禄[105]. Pourquoi ce mod猫le ? : 芦 Parce qu鈥檕n peut arracher facilement 禄[106].

Des For锚ts, Louis-Ren茅, 艗uvres compl猫tes, pr茅s. de Dominique Rabat茅, Paris, Gallimard, coll. 芦 Quarto 禄, 2015 [OC].

C鈥檈st 脿 partir de ce volume que les textes suivants de des For锚ts ont 茅t茅 cit茅s :

• Le bavard, p. 525-601 (premi猫re partie publi茅e dans 尝鈥橝谤产补濒猫迟别, n^o 10, en 1945 ; premi猫re version compl猫te publi茅e chez Gallimard en 1946 ; 茅dition revue avec postface de Maurice Blanchot en 1963 pour 10/18).
• 芦 Les concerts de la Pl茅iade 禄, p. 640-646 (premi猫re publication dans Le Magasin du Spectacle, n^o 1, avril 1946).
• 芦 Le droit 脿 la 惫茅谤颈迟茅 禄, p. 65-67 (premi猫re publication dans Le 14 Juillet, n^o 1, 14 juillet 1958).
• 芦 Stravinski et Webern au Domaine musical 禄, p. 647-651 (premi猫re publication dans La Nouvelle Revue fran莽aise, janvier 1957).
• 芦 Sur Georges Bataille 禄, p. 897-898 (premi猫re publication dans La Cigu毛, n^o 1, janvier 1958).
• Voies et d茅tours de la fiction, p. 879-896 (premi猫re publication dans Tel Quel, n^o 10, 茅t茅 1962, en r茅ponse 脿 une enqu锚te de la revue : 芦 La litt茅rature, aujourd鈥檋ui 禄 ; r茅茅dit茅 en 1985 aux 茅ditions Fata Morgana, sous le titre Voies et d茅tours de la fiction).
• Dans un miroir, p. 821-859 (premi猫re publication dans le recueil La chambre des enfants, Gallimard, 1960).
• 芦 R茅ponse 脿 l鈥檈nqu锚te 鈥淧ourquoi 茅crivez-vous ?鈥� 禄, p. 85 (premi猫re publication dans 尝颈产茅谤补迟颈辞苍, hors-s茅rie, III, 1985).
• Ostinato, p. 1035-1185 (premi猫re publication, Mercure de France, 1997, mais la plupart des fragments avaient paru en diverses revues).
• De m锚me que les extraits de correspondance.

Entretiens, articles, correspondance :

Alphant, Marianne, 芦 Louis-Ren茅 des For锚ts 脿 silences rompus 禄, 尝颈产茅谤补迟颈辞苍, 22-23 septembre 1984, p. 30-31.

Bourdet, Denise, 芦 Louis-Ren茅 des For锚ts 禄, dans Encre sympathique (premi猫re publication dans La Revue de Paris en 1954), Paris, Grasset, 1966, p. 128-138.

脡zine, Jean-Louis, 芦 Louis-Ren茅 des For锚ts tel qu鈥檌l parle 禄, Le Nouvel Observateur, 16 f茅vrier 1995, p. 60-65.

Proslier, Roger, 芦 Instantan茅 Louis-Ren茅 des For锚ts 禄, Nouvelles litt茅raires, 16 juin 1960, p. 4.

Puech, Jean-Beno卯t et Louis-Ren茅 Des For锚ts, 芦 Entretien 禄 (remaniement par des For锚ts, en 1990, d鈥檜n entretien enregistr茅 en 1988), Cahier Louis-Ren茅 des For锚ts (dir. par Jean-Beno卯t Puech et Dominique Rabat茅), n^o 6-7, Le temps qu鈥檌l fait, 1991, p. 17-28.

Salgas, Jean-Pierre, 芦 Les lectures de Louis-Ren茅 des For锚ts 禄, La Quinzaine litt茅raire, n^o 410, 1-15 f茅vrier 1984, p. 11-13.

Veinstein, Alain, 芦 Louis-Ren茅 des For锚ts. Entretien avec Alain Veinstein 禄 (retranscription d鈥檜n entretien donn茅 脿 l鈥櫭﹎ission Les nuits magn茅tiques de France-Culture en 1983), La Nouvelle Revue Fran莽aise, n^o 559, octobre 2001, p. 49-71.

Autres sources :

Rabat茅, Dominique, Louis-Ren茅 des For锚ts. La voix et le volume, Paris, Jos茅 Corti, coll. 芦 Les essais 禄, 2002.