Des bactéries régularisent le taux d’un dangereux polluant chez les oiseaux marins
Bien que la pollution continue de progresser Ă l’échelle de la planète, des chercheurs ont dĂ©couvert que le taux de mercure Ă©tait demeurĂ© relativement stable au cours des 50Ěýdernières annĂ©es chez les oiseaux de mer vivant au large de la Colombie‑Britannique. En fait, il a mĂŞme lĂ©gèrement baissĂ©. D’aucuns pourraient y voir une bonne nouvelle, mais ce n’est pas forcĂ©ment le cas. En effet, cette baisse est attribuable Ă l’appauvrissement des stocks de poissons de surface, qui a contraint les oiseaux aquatiques Ă modifier leur alimentation. Ils n’ont eu d’autre choix que d’aller chercher de quoi se sustenter Ěýdans des zones moins riches en bactĂ©ries dites « sulfato-rĂ©ductrices », ce qui a eu pour effet de rĂ©gulariser la quantitĂ© de mercure dans leur organisme.
Invisibles Ă l’œil nu, les bactĂ©ries sont nĂ©anmoins très importantesĚý: dans le yogourt et la soupe miso, elles sont mĂŞme indispensables. Mais voilĂ que des chercheurs de l’UniversitĂ©ĚýMcGill et d’Environnement et Changement climatique Canada ont dĂ©couvert qu’elles influaient notablement sur la santĂ© des oiseaux situĂ©s au sommet du rĂ©seau trophique. Au moyen de marqueurs isotopiques appelĂ©s « isotopes stables », les chercheurs ont montrĂ© que les oiseaux marins se nourrissant dans des zones riches en sulfates (substances chimiques importantes dans l’alimentation des bactĂ©ries sulfato-rĂ©ductrices, qui participent Ă la dĂ©gradation de la matière organique) contenaient beaucoup de mercure. Or, les bactĂ©ries sulfato-rĂ©ductrices, qui produisent du mĂ©thylmercure, affectionnent ces zones oĂą abondent les sulfates, ce qui explique en grande partie l’exposition accrue des organismes au mercure.
Les auteurs d’un article publiĂ© rĂ©cemment dans la revue ont analysĂ© des Ĺ“ufs d’oiseaux aquatiques ramassĂ©s sur une pĂ©riode de 47Ěýans le long de la cĂ´te du Pacifique, au Canada, et conservĂ©s par Environnement et Changement climatique Canada, Ă Ottawa. Ils ont constatĂ© qu’au cours de ces 47ĚýannĂ©es, la teneur en mercure avait baissĂ© dans les Ĺ“ufs de plusieurs espèces. Ils ont toutefois attribuĂ© cette diminution non pas Ă une baisse gĂ©nĂ©ralisĂ©e du taux de mercure, mais plutĂ´t Ă un changement d’alimentation, les poissons riches en sulfates et en mercure ayant cĂ©dĂ© la place Ă des poissons faibles en ces deux Ă©lĂ©ments.
Sonder les profondeurs de l’océan pour se nourrir
Au cours des 47Ěýdernières annĂ©es, les oiseaux de la mer des Salish, en Colombie‑Britannique, ont effectivement modifiĂ© leur alimentation, les poissons des profondeurs ayant peu Ă peu remplacĂ© les espèces de surface. Pendant cette pĂ©riode, la population de poissons-proies vivant près de la surface, tels que le hareng du Pacifique, a diminuĂ©.Ěý
Cette Ă©tude revĂŞt un intĂ©rĂŞt particulier, parce que deux des espèces de cormoran Ă©tudiĂ©es ont connu un dĂ©clin rapide au cours des 40Ěýdernières annĂ©es. Selon la plupart des donnĂ©es recueillies jusqu’à maintenant, cette dĂ©croissance serait imputable Ă l’augmentation des populations d’aigles, qui dĂ©vorent les oiselets et les Ĺ“ufs. Cependant, le changement d’alimentation y est peut-ĂŞtre aussi pour quelque chose, la diminution des stocks de poissons-proies forçant les oiseaux adultes Ă dĂ©ployer plus d’énergie pour se nourrir.
Les bactéries ont un effet régulateur sur le taux de mercure
« La faune est soumise Ă de nombreux facteurs de stress », explique KyleĚýElliott, professeur au DĂ©partement des sciences des ressources naturelles de l’UniversitĂ© McGill et auteur principal de l’article. « PrĂ©dateurs plus nombreux, rĂ©duction des stocks de poissons et pollution au mercure ne sont que quelques-unes des variables qui se rĂ©percutent sur les oiseaux aquatiques. Heureusement, nous avons constatĂ© que la variation de la teneur en mercure tenait en bonne partie Ă la quantitĂ© de bactĂ©ries sulfato-rĂ©ductrices, ce qui semble indiquer qu’elles servent en quelque sorte de tampon en ce qui a trait Ă la variation du taux de mercure dans l’environnement. »
« Nous prenons conscience de l’importance des bactĂ©ries pour la santĂ© des Ă©cosystèmes marins », souligne le PrĚýElliott. « Des Ă©tudes rĂ©centes ont rĂ©vĂ©lĂ© qu’un microbiome sain Ă©tait essentiel aux grandes migrations fauniques. Pour notre part, nous avons dĂ©couvert que les bactĂ©ries sulfato-rĂ©ductrices rĂ©gularisaient le taux de mercure. Il est dès lors Ă©vident que ce qui se produit Ă la base du rĂ©seau trophique se rĂ©percute jusqu’au sommet. »
L’article « Origin of Sulfur in Diet Drives Spatial and Temporal Mercury Trends in Seabird Eggs From Pacific Canada 1968–2015 », par KyleĚýElliott et JohnĚýElliott, a Ă©tĂ© publiĂ© dans la revue Ěý: .
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