Découverte réalisée à Polytechnique Montréal en collaboration avec l'Université McGill ouvre la voie à de nouveaux systèmes automatisés d'analyse d'échantillons biologiques
De la microfluidique conventionnelle Ă la microfluidique en milieu ouvert
La microfluidique dĂ©signe la manipulation des fluides dans des dispositifs Ă l’échelle micromĂ©trique. CommunĂ©ment appelĂ©s «laboratoires sur puce», les systèmes microfluidiques permettent l’étude et l’analyse d’échantillons chimiques ou biologiques Ă très petite Ă©chelle, en remplaçant les très coĂ»teux et volumineux instruments servant aux analyses biologiques traditionnelles.ClassĂ©e en 2001 parmi les«dix techniques Ă©mergentes qui vont changer le monde» parĚýlaĚýTechnology ReviewĚýdu MIT, la microfluidique est considĂ©rĂ©e comme une rĂ©volution pour la biologie et la chimie de mĂŞme ampleur que celle que les microprocesseurs ont fait vivre au domaine de l’électronique et de l’informatique, et elle s’adresse Ă un Ă©norme marchĂ©.
Aujourd’hui, cette jeune discipline qui a pris son essor à partir des années 2000, en se développant avec des dispositifs fermés composés de réseaux de microcanaux, se trouve elle- même transformée par la découverte du groupe de chercheurs de Polytechnique et de l’Université McGill, qui renforce les fondements théoriques et expérimentaux de la microfluidique en milieu ouvert.
Cette dernière, qui élimine les canaux, concurrence avantageusement la microfluidique conventionnelle pour certains types d’analyses. La configuration des dispositifs microfluidiques en canaux fermés présente en effet plusieurs désavantages : l’échelle des sections transversales des canaux augmente le stress que les cellules subissent lorsqu’elles sont cultivées; et ces dispositifs ne sont pas compatibles avec le standard de la culture cellulaire, le plat de Pétri, ce qui fait que l’industrie peine à l’adopter.
La nouvelle approche explorĂ©e par les chercheurs de Polytechnique MontrĂ©al et de l’UniversitĂ© McGill s’élabore Ă partir de multipĂ´les microfluidiques (MMF) consistant en un système d’injection et d’aspiration simultanĂ©e de liquides par des micro-ouvertures opposĂ©es sur une toute petite surface placĂ©e dans un espace confinĂ© de moins de 0,1 mm d’épaisseur. «En s’entrechoquant, ces jets de fluides forment des motifs que l’on peut visualiser en les colorant grâce Ă des rĂ©actifs chimiques. Nous avons voulu comprendre ces motifs tout en dĂ©veloppant une mĂ©thode fiable de modĂ©lisation des MMF», dĂ©clare le PrĚýThomas Gervais.
D’élégantes symétries visuelles qui rappellent l’œuvre de l’artiste MC Escher
Pour parvenir Ă comprendre ces motifs, l’équipe du PrĚýGervais a dĂ» dĂ©velopper une nouvelle thĂ©orie mathĂ©matique dite des Ă©coulements multipolaires ouverts. Cette thĂ©orie s’appuie sur une branche classique des mathĂ©matiques appelĂ©es transformations conformes qui permet de rĂ©soudre un problème liĂ© Ă une gĂ©omĂ©trie complexe en la rĂ©duisant Ă une gĂ©omĂ©trie plus simple (et vice-versa).
Le doctorant Étienne Boulais a d’abord développé un modèle permettant d’étudier les collisions de microjets dans un dipôle microfluidique (donc un MMF à seulement deux ouvertures), puis en s’appuyant sur cette théorie mathématique, a extrapolé le modèle à des MMF à ouvertures multiples. «On peut faire une analogie avec un jeu d’échecs, dont on imaginerait une version à quatre joueurs, puis à six ou à huit, en pratiquant une déformation spatiale tout en conservant les mêmes règles du jeu», explique ce dernier.
«Passés par la transformation conforme, les motifs formés par la collision de jets de fluides forment des images symétriques qui rappellent les tableaux du peintre hollandais MC Escher», poursuit le jeune chercheur, passionné par les arts visuels. «Mais bien au-delà de son aspect esthétique, notre modèle permet de décrire la vitesse de déplacement des molécules dans les fluides ainsi que la concentration des réactifs. Nous avons défini des règles valables pour toutes les configurations possibles de systèmes allant jusqu’à 12 pôles, afin de générer une large variété de modèles d’écoulement et de diffusion.»
La méthode se présente donc comme une boîte à outils complète qui permettra non seulement de modéliser et d’expliquer les phénomènes en action dans les MMF, mais aussi d’explorer de nouvelles configurations. Grâce à cette méthode, il devient dorénavant possible d’automatiser les essais microfluidiques en espace ouvert sur de grandes surfaces en simultané, ce qui n’avait jusqu’ici jamais été autrement exploré que par essai et erreur.
Illustration de l’effet des transformations mathématiques utilisées, d’abord sur l’image d’un jeu d’échecs, puis sur les multipôles microfluidiques.
Fabrication du dispositif en impression 3D
La conception et la fabrication du dispositif MMF ont été quant à elles prises en charge par Pierre- Alexandre Goyette. Ce dispositif se présente comme une petite sonde, fabriquée en résine par un procédé d’impression 3D bon marché, et reliée à un système de pompes et d’injecteurs.
«L’expertise de l’équipe du PrĚýJuncker en dĂ©tection de protĂ©ines par des anticorps immobilisĂ©s sur une surface a Ă©tĂ© prĂ©cieuse pour gĂ©rer les aspects biologiques de ce projet», souligne le doctorant en gĂ©nie biomĂ©dical. «Les rĂ©sultats obtenus avec des essais nous ont permis de valider l’exactitude des modèles dĂ©veloppĂ©s par mon collègue Étienne.»
Le dispositif autorise l’utilisation simultanée de plusieurs réactifs pour détecter différentes molécules dans un même échantillon, ce qui fait gagner un temps précieux aux biologistes. Pour certains types de tests, le temps d’analyse pourrait ainsi être réduit de plusieurs jours à quelques heures, voire quelques dizaines de minutes. En outre, la polyvalence de cette technologie devrait la rendre exploitable pour divers processus d’analyse, entre autres des tests immunologiques ou d’ADN.
Vers un afficheur microfluidique?
L’équipe du PrĚýGervais envisage dĂ©jĂ une prochaine Ă©tape Ă son projet : le dĂ©veloppement d’un Ă©cran sur lequel s’afficherait une image chimique.
«Il s’agirait d’une sorte d’équivalent chimique de l’afficheur à cristaux liquides», explique Thomas Gervais. «De la même façon qu’on déplace des électrons sur un écran, on enverrait ici des jets de fluide à diverses concentrations qui réagiraient avec une surface. L’ensemble formerait une image. Nous avons très hâte de poursuivre ce projet pour lequel nous avons obtenu un brevet provisoire.»
Un renouveau des procédés de diagnostics et de suivi des traitements médicaux
Pour l’instant, la technologie dĂ©veloppĂ©e par cette Ă©quipe de recherche s’adresse au marchĂ© de la recherche fondamentale. «Nos procĂ©dĂ©s permettent d’exposer des cellules Ă de nombreux rĂ©actifs en parallèle. Ils pourront aider les biologistes Ă Ă©tudier Ă grande Ă©chelle les interactions entre les protĂ©ines et les rĂ©actifs, en augmentant la quantitĂ© et la qualitĂ© d’informations obtenues durant les essais», affirme le PrĚýGervais.
Celui-ci précise que dans un deuxième temps, le marché pharmaceutique pourra également bénéficier des nouvelles méthodes d’automatisation des systèmes de criblage qui découleront de la découverte. Enfin, celle-ci ouvre une nouvelle porte à la découverte de médicaments, en facilitant la culture des cellules de patients et leur exposition à différents agents médicamenteux pour déterminer celles qui répondent le mieux.
À propos de Polytechnique Montréal
Fondée en 1873, Polytechnique Montréal, université d’ingénierie, est l’une des plus importantes universités d’enseignement et de recherche en génie au Canada. Elle occupe le premier rang au Québec pour l’ampleur et l’intensité de ses activités de recherche en génie. Polytechnique Montréal est située sur le campus de l’Université de Montréal, le plus grand complexe universitaire francophone en Amérique. Avec plus de 49000 diplômés, Polytechnique a formé 22 %desingénieursenexercicemembresdel’OrdredesingénieursduQuébec(OIQ).Ellepropose plus de 120 programmes de formation. Polytechnique compte 260 professeurs et 8600 étudiants. Son budget annuel de fonctionnement s’élève à 215 millions de dollars, dont un budget de recherche de 81 millions de dollars.
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