Le professeur Mario Bunge est un philosophe des sciences de renommée internationale. Il est l’auteur de centaines d’articles et de dizaines d’ouvrages, dont Philosophy of Science en deux volumes, Treatise on Basic Philosophy en huit volumes et Medical Philosophy.
A 96 ans, il écrit encore autant que n’importe quel professeur qui a la moitié de son âge. Son autobiographie, Two Worlds: Memoirs of a Philosopher-Scientist, sera publiée au printemps 2016 et il écrit actuellement son 72e livre, Doing Science.
Depuis des décennies, la philosophie de Mario Bunge, professeur émérite à l’Université McGill, explore les détails de la physique, les grands thèmes de la métaphysique et les plus récentes théories réalistes de la connaissance.
Une enfance argentine
Natif d’un pays très politisé, l’Argentine, et nourri intellectuellement par une intelligence vorace et un vaste champ d’apprentissage, il aime voir la science au service de la pensée progressiste.
Pendant son enfance, M. Bunge a baigné dans la pensée socialiste. Sa mère, une infirmière allemande, avait travaillé en Chine et en Argentine avant la Première Guerre mondiale. Son père, Argentin d’origine, était médecin, législateur de gauche et sociologue amateur. Ce pionnier de la médecine sociale avait rédigé en 1936 un projet de loi très étoffé qui recommandait l’instauration d’un régime d’assurance-maladie universel. Son passe-temps : traduire Goethe en vers.
« J’ai eu de la chance de grandir sous son aile. À la maison, les conversations que j’entendais portaient sur la politique, la sociologie, la médecine et la littérature », explique le philosophe.
Il a étudié la physique et les mathématiques à la Universidad Nacional de La Plata, de 1938 à 1944. Durant cette période, il a créé une école destinée aux travailleurs qui accueillait les étudiants après leur journée de travail. Cinq ans plus tard, le gouvernement mettait fin à ses efforts d’éducation populaire.
Fuir la dictature
Mario Bunge a continué de travailler en physique nucléaire et atomique sous la tutelle de Guido Beck, qui étudiait avec le physicien allemand Werner Heisenberg et qui a été le premier à proposer le modèle nucléaire en couches. Pendant tout ce temps, M. Bunge étudiait la philosophie par ses propres moyens. En 1952, il a obtenu un doctorat, et s’est alors attaqué aux mystères de la physique quantique.
Frustré par le manque de ressources intellectuelles en Argentine, Mario Bunge a décidé de s’expatrier en 1963. « Jusqu’à récemment, l’Amérique latine vivait sous le joug de la croix et de l’épée, un joug à l’ombre duquel il ne pousse pas grand-chose. » Il craignait également la dictature militaire, qui a de fait été instaurée trois ans plus tard. S’il était resté, il aurait certainement été assassiné.
Son arrivée à McGill
Avec sa seconde épouse, Marta Bunge, mathématicienne et professeure émérite à McGill, il est parti pour les États-Unis où il a enseigné la physique et la philosophie. Une bourse de recherche de l’Université de Freiberg, en Allemagne, lui a donné l’occasion de rédiger son chef-d’œuvre, Foundations of Physics, dans lequel il structure les plus importantes théories de la physique.
Pendant son séjour en Europe, Marta s’est vu offrir un stage postdoctoral à McGill. « Bien sûr, je voulais suivre ma femme », affirme Mario Bunge. Il a donc écrit au professeur Raymond Klibansky, alors directeur du Département de philosophie de McGill, pour s’enquérir des postes disponibles. Même si Yale cherchait également à attirer les Bunge, ils ont préféré éviter les États-Unis.
« Dans les universités [américaines], la plupart des gens étaient pour la guerre [du Vietnam], que nous trouvions immorale ».
Les Bunge se sont donc installés à Montréal en 1966. C’est là qu’ils ont élevé leurs deux enfants. De son premier mariage, Mario Bunge a eu deux enfants; l’un vit en Argentine, l’autre au Mexique. Il est fier de sa progéniture – « trois scientifiques et un architecte, pas mal du tout! » – et il est heureux d’avoir trouvé un foyer dans une ville multilingue, riche sur le plan culturel. Toutefois, ses fils et ses amis qui vivent en Argentine lui manquent, tout comme la vie intellectuelle publique si vibrante de l’Amérique latine.
Faire des sciences sociales sérieuses
Même s’il se sent libre ici, au Canada, il est frustré par les conceptions intellectuelles erronées et réactionnaires nées durant la révolte contre la science qui a rayonné à partir de Berkeley dans les années soixante. « Certains leaders étudiants ont été induits en erreur par des philosophes – Habermas et tous ces charlatans – qui affirmaient que la science est un outil du capitalisme tardif. Donc, la révolte contre l’ordre établi impliquait le rejet de la science. »
Mario Bunge considère que les soi-disant gauchistes qui ont émergé de cette tendance sont plutôt des obscurantistes et des droitistes, parce qu’ils refusent d’appliquer les normes scientifiques à l’étude des problèmes sociaux, « et, par conséquent, ils n’aident pas leur propre cause ».
Le célèbre philosophe est clairement un défenseur des sciences sociales, un point qui échappe à ses détracteurs.
« Un trait typique des gens de droite est d’essayer d’empêcher l’étude objective de la réalité sociale parce que c’est dangereux. »
Mario Bunge trouve plutôt révélateur que l’administration Reagan ait réduit de moitié le financement des sciences sociales. « Les gens de droite n’aiment pas les sciences sociales sérieuses. »