Un nouvel espoir dans la lutte contre les superbactéries
L’antibiorésistance est une menace mondiale de plus en plus sérieuse. Une étude mandatée en 2014 par le premier ministre britannique prédit même que d’ici 35 ans, si rien n’est fait, les superbactéries résistantes aux antibiotiques causeront plus de décès que le cancer. Il est donc urgent d’élucider les mécanismes de résistance des bactéries et de mettre au point de nouveaux antibiotiques qui les déjouent.
Pour contribuer à ces efforts, dans un article publié dans la revue Structure, des chercheurs de l’Université McGill décrivent comment, au niveau atomique, des enzymes bactériennes appelées kinases confèrent une résistance aux macrolides, une classe d’antibiotiques d’usage courant utilisée chez les patients allergiques à la pénicilline. L’étude explique pour la première fois le mécanisme qui permet à ces kinases de reconnaître et de détruire chimiquement les macrolides.
Le fruit de sept ans de travail
Même si les kinases étaient déjà connues des scientifiques, élucider leur fonctionnement au niveau chimique et structurel n’a pas été facile. « En 2009, nous avons commencé à cloner et à essayer de produire ces enzymes en grande quantité pour les étudier », explique le Pr Albert Berghuis, directeur du Département de biochimie de la Faculté de médecine de l’Université McGill et auteur principal de l’étude. « Après un an passé à peaufiner le processus pour obtenir une quantité suffisante d’enzymes, il fallait réussir à produire des cristaux de kinases, semblables à des cristaux de sucre, pour ensuite les irradier aux rayons X au , à Saskatoon. »
Il a fallu trois ans à l’équipe pour produire ces cristaux et analyser les données générées en Saskatchewan. « Nous avons ainsi obtenu un portrait atomique des kinases et de leurs mécanismes de fixation avec les différents macrolides », poursuit le Pr Berghuis. Cependant, ajoute-t-il, ce portrait ressemblait à l’image d’une machine complexe aux rouages technologiques inconnus. Il n’expliquait en rien le fonctionnement de la machine. Près de trois ans de travail supplémentaires ont été nécessaires aux chercheurs pour élucider comment les éléments de la kinase rendent la bactérie résistante aux divers macrolides.
Application à la mise au point de médicaments
Les chercheurs ont découvert que les kinases conféraient aux bactéries l’aptitude impressionnante de résister à plusieurs types de macrolides – les deux enzymes étudiées en détail les rendent pratiquement résistantes à tous les macrolides en usage à l’heure actuelle.
« Nous savons maintenant exactement comment les superbactéries résistent aux macrolides à l’aide de ces kinases », explique le Pr Berghuis. « Cela nous permettra de modifier légèrement
les macrolides pour empêcher les kinases d’interagir avec eux, rendant ainsi ces antibiotiques de nouvelle génération moins susceptibles à la résistance des superbactéries. »
Les prochaines étapes consistent à mettre au point ces macrolides améliorés, ce qui devrait prendre encore deux ou trois ans, selon le Pr Berghuis, puis à les mettre à l’essai. Ces efforts ne constituent cependant qu’un seul volet de la lutte contre la prévalence croissante des superbactéries. « Le problème de l’antibiorésistance est complexe, et nos travaux s’inscrivent dans des efforts plus larges qui exigent notamment d’arrêter de surutiliser les antibiotiques », conclut le Pr Berghuis. « Ce n’est qu’en adoptant une stratégie globale sur plusieurs fronts que nous pourrons espérer vaincre cette menace pour la santé à l’échelle mondiale. »
Cette étude a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) avec l’appui de l’Installation canadienne de cristallographie macromoléculaire au Centre canadien de rayonnement synchrotron.
L’article « Structural Basis for Kinase-mediated Macrolide Antibiotic Resistance » a été publié dans la revue Structure le 2 mai 2017. DOI: 10.1016/j.str.2017.03.007
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