Le masque nuit à la communication non verbale
Depuis le début de la pandémie, on a largement adopté le masque pour limiter la propagation de la COVID-19. Cependant, si indispensable soit-il, le masque dérobe au regard des parties du visage exprimant de façon non verbale nos émotions et nos intentions.
Une équipe de recherche du Laboratoire d’attention et de cognition sociale de l’Université McGill a étudié, chez plus de 120 sujets, la perception de diverses émotions – joie, tristesse, peur, colère, dégoût, surprise et absence d’émotion (neutre) – dans les expressions faciales de personnes qui portaient ou non un masque. Comme on pouvait s’y attendre, les chercheurs ont constaté que le masque compliquait l’interprétation des expressions faciales, et ce, pour toutes les émotions précitées. Bref, l’occultation de parties du visage altère la communication entre les êtres humains.
Entrevue avec Jelena Ristic, professeure titulaire et boursière William Dawson et Sarah McCrackin, boursière postdoctorale, Département de psychologie
Quel était l’objet de votre recherche?
Au fil de l’évolution, le visage est devenu un instrument de communication non verbale chez l’être humain. En effet, à sa seule vue, nous pouvons lire des messages simples (p. ex. un regard fixe) et complexes (p. ex. une intention). Miroir de l’état émotionnel d’un individu, l’expression faciale est l’un des signaux les plus révélateurs que nous transmet le visage.
Lors de l’arrivée de la COVID-19, en 2020, on a assisté à l’adoption soudaine et généralisée du masque. Dans ce contexte, nous nous sommes demandé dans quelle mesure l’occultation du bas du visage nuisait à la perception des émotions de base véhiculées par l’expression faciale. En outre, nous voulions déterminer si les traits de personnalité et les aptitudes sociales des participants influaient sur cette perception.
Qu’avez-vous découvert?
Nos données révèlent que le masque a nui à la perception de toutes les expressions faciales; en effet, il en a réduit l’exactitude d’environ 24 %. Cette diminution variait toutefois selon l’émotion, le dégoût (baisse de 46 %) et la colère (baisse de 30 %) ayant été les plus touchés par le port du masque. L’effet du masque a été modéré pour la tristesse (23 %) et les expressions faciales neutres (23 %), et minimal pour la peur (10 %), la surprise (15 %) et la joie (15 %).
L’ampleur de l’effet du masque sur la perception des émotions démontre que le bas du visage transmet une information visuelle importante pour l’interprétation juste des expressions faciales. Comme le dégoût et la colère ont été les émotions les moins bien perçues en présence du masque, nous concluons que leur expression repose davantage que les autres sur les signaux sociaux provenant du bas du visage.
Selon les analyses de corrélation, les effets étaient généralement stables d’un sujet à l’autre et variaient peu selon les traits de personnalité. Les personnes ayant les traits de personnalité les plus agréables – p. ex. altruisme et comportement prosocial – ont interprété un peu mieux que les autres les émotions exprimées derrière un masque. En revanche, les personnes extraverties, c’est-à -dire qui recherchent les contacts sociaux, ont eu un peu plus de mal à percevoir les émotions derrière le masque que les sujets moins extravertis. Enfin, les personnes dotées de bonnes aptitudes sociales ont mieux perçu les émotions sur les visages dépourvus de masque que les sujets moins sociables.
En quoi ces résultats sont-ils importants?
La propagation de la COVID-19 dans le monde, au début de 2020, a transformé le cadre social presque du jour au lendemain. L’adoption à grande échelle du masque – du jamais vu jusqu’à ce moment – est l’un des éléments les plus marquants de cette transformation. Nous tenons à préciser ici que le port du masque est indispensable en prévention de la propagation de la COVID-19; néanmoins, il importe de comprendre les répercussions possibles du masque sur les interactions sociales, d’autant plus qu’actuellement, le sentiment d’isolement est répandu. Or, la reconnaissance des expressions faciales est un aspect fondamental des interactions sociales et du fonctionnement sociocognitif dans son ensemble.
Au-delà de la pandémie, ces résultats sont importants pour les milieux de la santé et de l’éducation, où le port du masque est monnaie courante depuis toujours ou depuis peu. Par exemple, le médecin doit pouvoir percevoir facilement l’état émotionnel de son patient pour lui offrir une prise en charge optimale. Les problèmes de santé graves suscitent souvent colère et tristesse, deux des émotions les plus difficiles à interpréter chez une personne portant le masque, semblent indiquer nos données. Par ailleurs, comme le développement psychosocial de l’être humain repose sur le bon décodage des signaux faciaux, le port du masque dans les milieux d’enseignement pourrait avoir des conséquences à long terme sur le développement social des enfants. Si la nécessité du port du masque pendant une pandémie est incontestable, une recommandation ressort toutefois des données préliminaires des études en cours sur la question : le port d’un masque transparent homologué par la FDA pourrait aplanir certaines des difficultés sociales (mais pas toutes) résultant de l’occultation du visage par le masque.
En résumé, notre étude montre que la pandémie a eu des répercussions lourdes – et peut-être plus complexes qu’on le croyait – sur le fonctionnement de l’être humain en société.
³¢'é³Ù³Ü»å±ð L’article « Face masks impair basic emotion recognition: Group effects and individual variability », par Sarah McCrackin, Francesca Capozzi, Florence Mayrand et Jelena Ristic, a été publié dans Social Psychology. DOI : |
L’Université McGill
Fondée en 1821 à Montréal, au Québec, l’Université McGill figure au premier rang des universités canadiennes offrant des programmes de médecine et de doctorat. Année après année, elle se classe parmi les meilleures universités au Canada et dans le monde. Établissement d’enseignement supérieur renommé partout dans le monde, l’Université McGill exerce ses activités de recherche dans trois campus, 11 facultés et 13 écoles professionnelles; elle compte 300 programmes d’études et au-delà de 39 000 étudiants, dont plus de 10 200 aux cycles supérieurs. Elle accueille des étudiants originaires de plus de 150 pays, ses 12 800 étudiants internationaux représentant 31 % de sa population étudiante. Au-delà de la moitié des étudiants de l’Université McGill ont une langue maternelle autre que l’anglais, et environ 19 % sont francophones.