En entamant son doctorat en ingénierie des matériaux il y a quatre ans, Vivienne Tam imaginait une foule de projets de bio-ingénierie ayant des applications cliniques.
Vivienne Tam
Par contre, elle n’avait pas de clinicien-mentor pour lui indiquer si elle était sur la bonne voie.
« Je voulais savoir si mes projets étaient viables, s’ils intéresseraient le milieu clinique et s’ils pourraient s’intégrer aux pratiques cliniques actuelles. Sinon, est-ce qu’il valait la peine d’y consacrer du temps? » explique Vivienne, boursière Vanier qui en est à la cinquième année de son doctorat. « Je n’en avais aucune idée. » Elle avait tellement de mal à nouer des liens avec les cliniciens qu’elle a même envisagé de s’inscrire au programme MDCM-Ph. D. de McGill, simplement pour ses possibilités de réseautage. Comme elle n’avait aucune intention de pratiquer la médecine, ses proches et ses professeurs l’ont dissuadée.
Vivienne a tout de mĂŞme rĂ©ussi Ă faire avancer ses recherches, qui portent sur des nanoparticules pouvant ĂŞtre modifiĂ©es pour libĂ©rer des mĂ©dicaments au moment prĂ©cis oĂą ils sont le plus efficaces; dans son cas, les nanoparticules visent Ă amĂ©liorer les rĂ©sultats des traitements contre le cancer du cerveau ou de la fĂ©condation ľ±˛ÔĚý±ąľ±łŮ°ů´Ç. Cependant, puisque les Ă©tudiants et Ă©tudiantes en sciences translationnelles faisaient toujours face aux mĂŞmes problèmes, Vivienne n’a pas cessĂ© de chercher des solutions.
Christina Popescu
Vivienne a entendu parler du programme Leder Human Biology & Translational Medicine, à Harvard. Destiné aux étudiants et étudiantes aux cycles supérieurs en sciences ou en ingénierie, le programme comprend un volet de mentorat par un clinicien; c’était exactement ce qu’elle cherchait. « Pourquoi n’avons-nous pas un programme semblable à McGill? » s’est-elle interrogée. C’est à cette époque que son amie Christina Popescu, alors étudiante à la maîtrise en neurosciences, s’est jointe à la cause. Selon Christina : « Nous avons constaté qu’il y avait une lacune à combler et nous avons décidé de nous en occuper nous-mêmes. »
Christina est maintenant étudiante en deuxième année de médecine à l’Université de l’Alberta, mais il lui était déjà plus facile de consulter des cliniciens pendant ses études de maîtrise, comparativement à son amie. « Vivienne et moi avons eu des expériences très différentes. C’est un peu le hasard qui décide des personnes que l’on rencontre en cours de route, et on ne sait pas à l’avance si elles seront en mesure de nous aider à accéder aux ressources cliniques », explique-t-elle, précisant qu’elle aussi a eu du mal à trouver des collaborateurs en sciences translationnelles. « Les occasions se sont offertes seulement lorsque j’ai commencé à explorer d’autres avenues et plus tard, après avoir entamé mes études en médecine. Quand Vivienne me parlait de ses propres difficultés, je comprenais vraiment ce qu’elle vivait. »
Terry HĂ©bert
Vivienne et Christina ont appris que Terry Hébert, Ph. D., un professeur de pharmacologie et de thérapeutique qui partageait leur passion pour les sciences translationnelles, avait récemment été nommé au nouveau poste de vice-doyen adjoint à l’enseignement des sciences biomédicales, avec entre autres pour mandat de proposer un apprentissage interdisciplinaire en sciences biomédicales. Elles l’ont donc contacté pour lui présenter leur idée, et c’est à ce moment que les choses ont commencé à bouger.
« C’était exactement ce que voulais voir à McGill, je ne pouvais pas refuser de les aider! » se souvient le Pr Hébert, qui enseigne les sciences translationnelles aux étudiants et étudiantes de médecine depuis plusieurs années. « J’étais à la recherche de projets de nature translationnelle, des projets qui décloisonneraient les disciplines et relieraient des étudiants appartenant à divers programmes. L’idée de Vivienne et Christina cadrait parfaitement avec ma vision. »
Le trio s’est donc mis immédiatement au travail. « Terry a pris les rênes du projet et nous a aidées à franchir de nombreuses étapes », explique Vivienne. Pendant ce temps, Vivienne et Christina ont sondé la communauté étudiante en sciences et en ingénierie biomédicales pour évaluer leur intérêt. « Une majorité écrasante des répondants n’étaient pas satisfaits des options qui s’offraient à eux, se rappelle Vivienne. Nous leur avons ensuite demandé, directement, si un programme comme le nôtre pouvait les intéresser, et plus de 70 % des répondants ont répondu par l’affirmative. »
Adam Hassan
L’équipe a créé un comité étudiant auquel se sont joints Adam Hassan et Charlotte Ouimet. Adam termine un doctorat en microbiologie et immunologie à McGill et à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) tout en débutant des études de médecine à McGill. Sa recherche doctorale porte sur la mise au point de vaccins contre des maladies tropicales négligées. Charlotte a récemment terminé sa maîtrise en médecine expérimentale avec spécialisation en bioéthique et commence un doctorat dans le même domaine. Le duo a entrepris une analyse comparative visant à repérer tous les programmes similaires au projet qui sont déjà offerts aux États-Unis et au Canada. Quelques programmes comportaient des éléments intéressants, mais c’est vraiment Harvard qui offrait le programme le plus holistique; le comité a donc décidé de construire le programme de McGill en se basant sur ce modèle. « Nous avons créé le programme que nous voulions à partir de zéro, en nous servant du modèle de Harvard », explique Vivienne.
Charlotte Ouimet
Le certificat d’études supérieures en sciences biomédicales translationnelles a été officiellement approuvé par le Sénat en mai. Il sera offert par le Département de pharmacologie et de thérapeutique de l’École des sciences biomédicales et ouvert à quiconque étudie aux cycles supérieurs à McGill et s’intéresse à la recherche translationnelle. Il sera par ailleurs possible d’entreprendre ce certificat parallèlement à un autre programme d’études supérieures.
C’est le cours Foundations of Translational Science, que le Pr Hébert donne depuis quelques années, qui lancera concrètement le programme en janvier 2023. « C’est un certificat d’un an et demi, soit 15 crédits, explique le Pr Hébert. Six de ces crédits sont attachés à l’un des nouveaux cours intitulé Principles of Disease Management. » Dans le cadre de ce cours, des cliniciens présentent un organe : ses fonctions, les maladies qui l’affectent et les traitements dirigés contre celles-ci. « Au lieu de former les futurs médecins à poser des diagnostics, nous formons les scientifiques à voir la maladie du point de vue clinique et à tenter d’améliorer les traitements existants, explique le Pr Hébert. Le principal attrait du cours est qu’il incite les étudiants et étudiantes à réfléchir à l’orientation à donner à leurs propres recherches pour qu’elles répondent aux besoins cliniques non satisfaits qui leur ont été présentés. »
Il y aura également un volet de mentorat, précise le Pr Hébert. « Nos étudiants et étudiantes pourront être jumelés à un spécialiste en fonction de leurs propres intérêts de recherche. Mon travail consistera à organiser les rencontres et les stages cliniques. »
« Je suis ravi, le jour J approche! » se réjouit le Pr Hébert, tout en ajoutant qu’il reste un dernier obstacle à franchir : « Il ne nous reste qu’à trouver les cliniciens et cliniciennes qui enseigneront. » Il a recruté quelques médecins, mais il en cherche toujours d’autres. Le Pr Hébert sait bien que les cliniciens ont des emplois du temps très chargés, mais il promet une expérience spéciale pour tous ceux et celles qui enseigneront aux étudiants et étudiantes en sciences et ingénierie. « J’ai toujours senti que j’en apprenais davantage en enseignant aux étudiants en médecine qu’à n’importe quel autre type d’étudiants, car ils ont des connaissances que je n’ai pas, dit-il. Je suis porté à croire que mes collègues cliniciens feront des constatations similaires. »
Il est vrai que les non-cliniciens pourraient expliquer les systèmes organiques et les traitements, mais selon le Pr Hébert, le résultat ne serait pas le même. « Il faut sortir du monde idéal présenté dans les manuels pour entrer dans le monde réel des patients, des maladies et de la prise en charge des maladies. Les cliniciens sont les seuls à pouvoir nous parler de cette réalité. » Ce à quoi Vivienne ajoute : « Nous avons besoin de cette connexion pour faire progresser la recherche. »
Vivienne n’arrive toujours pas à croire que son projet se soit concrétisé. « Je n’en reviens pas! s’exclame-t-elle. Après avoir passé deux ans à frapper aux portes et à envoyer des courriels de prospection, j’ai pensé à tout laisser tomber. Je n’y croyais plus. Je suis très chanceuse de voir mes efforts porter fruit. »
Vivienne et Charlotte aimeraient faire partie de la première cohorte, s’il est possible de le faire tout en respectant les engagements de leur doctorat. Puisqu’ils ont pris la voie clinique, Christina et Adam ne se joindront pas à elles, mais Christina espère tout de même que ce programme permettra de « créer une communauté de personnes passionnées par la recherche translationnelle ». Elle aimerait beaucoup prendre part au programme (ou à un programme similaire) à titre de médecin plus tard. Par exemple, elle aimerait former des équipes interprofessionnelles en médecine, en soins infirmiers et en sciences fondamentales œuvrant dans le domaine de la santé mentale. Adam envisage lui aussi des projets conjoints entre cliniciens et scientifiques. Il est vraiment fier de ce qu’ils ont accompli. « Ce programme porte McGill en tête de file; d’autres universités pourraient vouloir adopter des programmes similaires, et nous pourrons servir d’exemple », dit-il.
Le Pr Hébert donne tout le mérite aux membres de l’équipe étudiante. « Ce sont leur plan, leurs idées et leur travail acharné qui ont permis de créer et de faire approuver le programme, dit-il. Deux étudiantes animées d’une passion commune ont réussi à bâtir un programme intéressant pour beaucoup d’étudiants et de professeurs. Deux personnes peuvent changer le monde. »
Engagez-vous!
Les cliniciens et cliniciennes qui souhaitent participer à l’enseignement et les étudiants et étudiantes qui souhaitent s’inscrire au nouveau programme peuvent communiquer avec Terry Hébert.