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Dr. Ridha Joober (Professor, Department of Psychiatry) featured in Le Devoir

Published: 6 February 2013

Le Devoir -- 2 février 2013 | Pauline Gravel

Intervenir dès l’émergence des premiers symptômes psychotiques, voire dès l’apparition de signes précurseurs, améliore grandement le pronostic et le devenir du patient. Les données obtenues par l’imagerie cérébrale le corroborent. Pour cette raison, les professionnels de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas déploient maintes approches pour repêcher les jeunes adultes atteints d’un trouble mental ou en voie de l’être.

La maladie psychotique est toxique à la fois pour le cerveau et pour la vie psychosociale de l’individu, affirme le Dr Ridha Joober, psychiatre à l’Institut Douglas et professeur à l’Université McGill. « Une maladie qui touche les fonctions supérieures de l’esprit et du mental aura une toxicité majeure sur les relations interpersonnelles, sur la capacité de la personne à se trouver un travail, d’autant que la maladie apparaît généralement entre 15 et 30 ans, soit à une étape très critique du développement de la personne qui est en train d’établir les premières bases de sa vie future. En réduisant à la fois la toxicité biologique et la toxicité sociale, l’intervention précoce améliore nettement l’état des patients et le pronostic au long cours », précise le Dr Joober avant d’ajouter qu’il a été démontré très clairement que plus la durée de la psychose non traitée est longue, plus la rémission et la récupération sont laborieuses, voire incomplètes.

Sur le plan biologique, certaines études ont montré que plus la psychose non traitée persiste, plus les structures du cerveau, qui ont été associées aux troubles psychotiques, en souffrent. Il existerait même une corrélation entre la durée de psychose non traitée et le volume de régions cérébrales, comme le cortex préfrontal et orbito-frontal, qui rétrécirait à mesure que s’allonge la durée de la psychose non traitée.

« Plus on reste psychotique longtemps, moins on répond bien aux traitements, probablement en raison de facteurs biologiques et moléculaires, mais aussi psychologiques. Quand on pense qu’il y a cinq nains qui habitent sur les toits et qu’on vit très longtemps avec cette idée-là, il devient beaucoup plus difficile de la renverser même si on prend des médicaments », explique le chercheur. Le fait que la récurrence des crises psychotiques soit associée à une récupération moins bonne est également lié à des effets sociaux. « La défaite sociale d’un jeune qui a rechuté après trois épisodes psychotiques dont il avait récupéré est extrêmement importante », croit le Dr Joober.

Le psychiatre déplore le fait qu’on ne recueille les patients que plusieurs années après l’éclosion de leur maladie. « Quand on prend connaissance de l’historique des patients, on voit souvent qu’ils ont commencé à présenter des symptômes deux ou trois ans auparavant et qu’ils ont vadrouillé longtemps avant d’être reconnus comme souffrant de troubles psychotiques, précise-t-il. Lorsqu’un jeune qui vit avec ses parents commence à présenter des difficultés dans ses relations et que son comportement comporte des éléments bizarres, les parents se demandent d’abord s’il s’agit d’une adolescence qui tourne mal ou d’un problème de drogue. Très souvent, la famille se débat avec ce problème pendant très longtemps sans savoir comment intervenir. On perd ainsi énormément de temps. Or ce temps est déterminant dans la qualité des relations que la personne entretient avec son environnement et sa famille. Si on intervient précocement, on pourra aider ces familles-là à mieux s’en sortir. »

Le programme PEPP

Dans le but d’accroître le dépistage des jeunes qui commencent tout juste à présenter des symptômes psychotiques, les chercheurs du Douglas ont préparé des petits films, « des vignettes cliniques », qui décrivent les différents symptômes que peut présenter un jeune ayant développé un trouble psychotique. Ces films ont été présentés aux enseignants, aux travailleurs sociaux et aux psychoéducateurs d’écoles secondaires et d’universités, ainsi qu’au personnel de CLSC et d’urgences hospitalières pour que, s’ils rencontrent une personne manifestant des symptômes comme ceux-là, ils contactent les intervenants du programme PEPP (premier épisode psychotique non traité) de l’Institut Douglas. Ceux-ci s’engagent à procéder dans les 72 heures qui suivent à une évaluation poussée de la personne et, s’il s’avère qu’elle souffre d’un trouble psychotique, ils proposeront une intervention intensive et un suivi du patient et de sa famille pendant deux ans.

« Nous aidons la personne dans toutes les sphères de son fonctionnement à l’aide de médicaments, de psychothérapie et d’un soutien social », précise le Dr Joober, directeur associé du programme PEPP-Montréal, avant de souligner l’efficacité du programme qui a permis à plusieurs jeunes de reprendre leurs études universitaires et de décrocher leur diplôme.

« Certains jeunes refusent toutefois les médicaments et notre aide. Ils n’ont pas envie qu’on les accompagne car ils sont à l’âge où l’on revendique son autonomie », affirme le Dr Joober. On tentera alors d’établir une relation de confiance avec eux. « En cheminant avec le jeune, en connaissant mieux sa vie, ses amis, les points qui peuvent le sensibiliser, on peut arriver à lui faire accepter la médication », raconte-t-il.

« Mais il y a des cas sur lesquels on a travaillé ainsi pendant une année, sans résultats, ou, pire, la personne a continué à se détériorer. » On a alors recours à l’ordre de traitement, que l’on peut obtenir en s’adressant au Tribunal de la Cour supérieure du Québec. Pour accéder au programme PEPP, il n’est pas nécessaire d’obtenir une référence d’un médecin généraliste, « les parents peuvent nous appeler directement », précise le Dr Joober.

Avant la maladie

Pour le moment, les cliniciens s’appliquent à dépister les personnes qui vivent leurs premiers épisodes psychotiques, mais des chercheurs de l’Institut Douglas mènent aussi un programme de recherche dénommé CAYR (pour Clinic for Assessment of Youth at Risk) visant à trouver des outils permettant de détecter les personnes à très haut risque de développer une maladie psychotique, mais qui ne sont pas encore atteintes.

Les trois critères qu’ils utilisent actuellement pour reconnaître ces personnes sont, premièrement, l’histoire familiale de la personne, car un individu dont les deux parents sont atteints court pratiquement 50 fois plus de risque de souffrir d’un trouble psychotique que la population générale, et une personne ayant un frère ou une soeur atteints court un risque dix fois supérieur. Deuxièmement, la personne doit présenter « un infléchissement subit du fonctionnement scolaire ou social pour des raisons inconnues ». Et troisièmement, la personne commence à manifester « des symptômes subcliniques psychotiques, elle a des impressions de déjà-vu, elle entend des voix, elle voit des ombres la nuit, mais elle reste critique face à ce vécu bizarre », précise le Dr Joober.

Dans le cadre du programme CAYR, on offre aux personnes qui présentent ces symptômes - qui appartiennent à la constellation de troubles psychotiques mais qui ne sont pas encore cristallisés - un suivi qui peut comprendre une psychothérapie de soutien et un antidépresseur si elles sont très déprimées, ou une thérapie cognitive et comportementale si elles font de l’anxiété, et « on essaie de voir dans quelle mesure cette démarche peut prévenir la conversion en un trouble psychotique », explique le scientifique.

Les chercheurs ont toutefois constaté que seulement 10 à 35 % des personnes qui présentent ces trois critères développent finalement un trouble psychotique franc. C’est pourquoi ils s’attellent à affiner leurs critères de détection et à en découvrir d’autres faisant appel à l’imagerie cérébrale ou à la génétique, notamment.

Le Dr Joober croit que, pour améliorer le dépistage dans l’immédiat, il faudrait revoir l’organisation de notre système de santé fondé sur le modèle d’une première ligne confiée aux médecins de famille qui, lorsqu’ils diagnostiquent un problème grave, le dirigent vers la deuxième ligne qui, si le cas s’avère vraiment très grave, l’oriente vers la troisième ligne. Selon lui, cette séquence ne convient pas à la santé mentale. « Il faudrait que des spécialistes en santé mentale interviennent au début de la chaîne afin de reconnaître la maladie au début et d’établir un traitement approprié, ainsi qu’une prise en charge adéquate. Et une fois que l’on connaît la trajectoire particulière des personnes, on peut alors les réorienter vers le médecin de famille », dit-il.

Selon le Dr Joober, les jeunes atteints d’un trouble mental n’iront pas spontanément à l’hôpital. Pour les rejoindre, il préconise une approche plus conviviale, comme celle adoptée en Australie avec les headspace, des centres conçus pour les jeunes et où ils peuvent boire un café, consulter Internet et rencontrer des professionnels de la santé mentale.

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