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Un problème méconnu des femmes sans-abri

À l’été 2017, Julia Coste a eu ses règles à bord d’un avion bondé. Elles étaient en avance, elle n’avait apporté ni tampons ni serviettes hygiéniques, et l’avion n’atterrirait pas avant deux heures. La panique s’est installée au fil des minutes qui passaient. Elle était prise au piège.

Bien qu’elle a fini par débarquer de l’avion et se procurer ce dont elle avait besoin – problème résolu –, l’expérience a taraudée Mme Coste pendant des mois. Et si, au lieu de devoir se passer pendant deux petites heures de produits d’hygiène menstruelle, elle n’avait tout simplement pas eu les moyens d’en acheter?

Pour les centaines de femmes sans-abri de Montréal, avoir ses règles représente chaque mois un sérieux dilemme financier. Et pour Julia Coste, qui était alors étudiante en science politique et en développement international à l’Université McGill, c’est inacceptable.

En novembre 2017, elle a décidé de s’attaquer de front au problème en fondant avec une autre étudiante en art, Chloé Pronovost-Morgan, Monthly Dignity, un service de livraison en vrac de produits d’hygiène menstruelle aux refuges pour sans-abri de la ville.

Comme ni l’une ni l’autre n’avait d’expérience en gestion d’organisme de bienfaisance, ç’a été un baptême du feu. Les deux jeunes femmes ont créé un site Web de collecte de fonds, puis sillonné l’Université en faisant des discours percutants sur les préjugés à propos des menstruations devant des classes entières, organisé des ventes de pâtisseries et installé des boîtes de dons.

En deux semaines, elles ont atteint leur objectif de financement. Elles ont acheté 7 000 produits d’un distributeur en gros et les ont entreposés chez elles.

« On les distribuait aux refuges avec les voitures que l’on pouvait trouver, se rappelle Chloé Pronovost-Morgan. On n’était que nous deux. »

Cette époque est depuis longtemps révolue. Aujourd’hui, Monthly Dignity travaille en partenariat avec Fempro, l’un des plus grands fabricants de produits d’hygiène menstruelle au Québec. Chaque fois que l’entreprise change l’emballage de ses articles, ce qui arrive une ou deux fois par année, elle donne les anciens à Monthly Dignity.

Autrement, tous ces produits iraient directement à la décharge.

« La première fois, nous avons livré chez elles », dit Jean Fleury, directeur général de Fempro.

Les cofondatrices entreposaient plus de 21 000 articles chez elles, et il est vite devenu clair que cela ne pouvait pas durer.

« Disons que s’il y avait eu une fuite d’eau, ça aurait bouché toutes les issues! », M. Fleury.

Pour remédier à la situation, les jeunes femmes se sont tournées vers Moisson Montréal, la plus grande banque alimentaire du Canada, qui possède un grand nombre de camions et plus d’espace de stockage qu’elles n’auraient jamais pu en louer.

« Parfois, les problèmes ont des solutions très simples, explique Mme Pronovost-Morgan, aujourd’hui étudiante en médecine à McGill et passionnée de politiques de santé publique. Il suffisait de mettre en contact deux organismes pour concrétiser cette solution. »

En faisant le lien entre Fempro et Moisson Montréal, Monthly Dignity a pu fournir plus de 60 000 produits d’hygiène menstruelle à ses sept refuges partenaires.

Et le fait d’acquérir ces articles en vrac fait toute la différence pour les refuges, d’après Anastasia Dudley, une autre diplômée en arts de McGill qui agit aujourd’hui à titre de directrice de l’hébergement au Foyer pour femmes autochtones de Montréal.

« Les gens sont toujours prêts à donner, explique-t-elle, mais la coordination de dons individuels de demi-boîtes de tampons est beaucoup plus exigeante. »

Avec une seule et même source, Mme Dudley n’a qu’à passer un coup de fil à Monthly Dignity tous les deux mois.

Depuis ses débuts il y a deux ans, Monthly Dignity est de plus en plus reconnu. , qui souligne l’engagement socialement responsable des étudiants du Québec, a donné à l’organisme le premier prix dans la catégorie Entraide, Paix et Justice en 2019. Monthly Dignity a aussi reçu une subvention de la part de TakingITGlobal à l’occasion du 150e anniversaire du Canada.

Pour les cofondatrices, toute cette visibilité est doublement utile : elle sert aussi à éliminer la stigmatisation entourant les menstruations.

« Il ne s’agit pas seulement de distribuer des produits, dit Mme Coste, mais aussi d’établir un dialogue, ce qui se passe plutôt à long terme. Si nous avions une influence quelconque sur la société, j’aimerais vraiment que ce soit en levant le tabou sur les menstruations. »

Julia Coste vit actuellement à Paris, où elle s’emploie à mettre sur pied la première succursale internationale de Monthly Dignity.

En photo: Chloé Pronovost-Morgan et Julia Coste, fondatrices de Monthly Dignity, un service de distribution de produits d'hygiène menstruelle pour femmes sans-abri.

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