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La croisade d’une proche aidante

Claire Webster est fondatrice, conférencière et ambassadrice au programme de formation sur la démence de l’Université McGill.

Ce jour marque le quatrième anniversaire de la mort de ma mère. Le 6 mai 2016, elle a succombé à la maladie d’Alzheimer à l’âge de 83 ans. Je me souviens de cette journée comme si c’était hier. J’étais submergée par d’énormes vagues de chagrin pendant qu’au chevet de ma mère je tentais de la réconforter dans la dernière étape de notre aventure sur cette terre en tant que mère et fille. J’ai posé ma tête sur sa poitrine et je lui ai dit qu’elle pouvait lâcher prise, qu’il était temps… Je l’ai tenue dans mes bras, en attendant et en regardant son corps s’éteindre tout doucement, heure après heure, minute après minute, en me demandant à quel moment le dernier souffle viendrait. J’ai vécu là une expérience qui va bien au-delà des mots. Tout ce que je pouvais penser était « Elle est moi, et je suis elle ».

Le parcours de ma mère dans l’univers de la maladie d’Alzheimer a été long. Elle avait à peine plus de 70 ans quand elle a reçu son diagnostic, et elle était encore en excellente forme physique. La maladie lui a volé tellement d’années précieuses de ce qui aurait dû être un moment fort de sa vie. J’étais fâchée contre cette maladie qui lui volait ce qui aurait dû être de belles années. Elle s’est occupée de mon père pendant plus de 30 ans, et elle méritait sa liberté et son indépendance. Ça aurait été l’occasion de faire l’expérience d’une nouvelle vie juste pour elle, mais elle n’en a pas eu la chance. Elle n’a pas pu apprendre à connaître ses deux magnifiques petites-filles ni voir son petit-fils chéri devenir un homme formidable.

Désarmée face aux exigences de soins

Rien n’aurait pu me préparer aux répercussions que cette maladie a eues sur ma mère, sur moi en tant que proche aidante, et sur ma famille. Mes jeunes enfants allaient être témoins non seulement du déclin de leur grand-mère, mais aussi de l’effondrement de leur mère. Quand on est aidant naturel, la vie nous amène à suivre un programme d’entraînement très rigoureux. Nous devenons des experts en matière de crise, à devoir réagir à toutes sortes de situations tant physiquement que mentalement, et nous développons nos propres mécanismes d’adaptation. Nous nous donnons rarement la permission de « simplement exister » et de profiter de la vie, parce que nous sommes constamment distraits par nos responsabilités et la nécessité de faire face à la prochaine crise.

Au cours des 14 dernières années, j’ai rencontré des centaines d’aidants qui ont tous leur propre histoire à raconter. Le lien qui unit la majorité d’entre nous, c’est de ne pas avoir eu assez d’information sur la maladie de la part du milieu médical, et de ne pas avoir été informés de l’importance de faire appel à des services de soutien. Ce manque de formation a des répercussions énormes sur la qualité des soins et la sécurité tant pour la personne à soigner que le proche aidant.

Un système en crise

Tous les jours, j’ai les yeux rivés sur les reportages des médias qui témoignent du drame des personnes aînées qui meurent seules dans les établissements de soins de longue durée en raison de la pandémie de COVID-19. Il n’y a pas de mots pour décrire la compassion que je ressens pour ces personnes, tandis que le virus choisit au hasard sa prochaine victime, et pour les membres de leur famille qui ne peuvent être à leurs côtés. J’ai eu le privilège d’accompagner mes deux parents de l’autre côté, et je sais tout le réconfort et la paix que cela apporte.

Cette pandémie a ouvert une « boîte de Pandore » quant à la manière dont les aînés sont soignés, et a mis en lumière les lacunes importantes qui existent en matière de soins, en exposant au grand jour ce qui se passe dans certaines résidences depuis très longtemps.

J’ai commencé à défendre les intérêts de ma mère dès qu’elle est entrée dans un établissement de soins privé en 2006 et qu’elle a perdu les capacités cognitives de le faire. Malheureusement, le personnel n’a jamais eu la formation nécessaire pour s’occuper d’une personne atteinte de démence. Couches souillées, main fracturée, déambulateur brisé, coupures et contusions inexpliquées sur son corps et son visage, fuite d’un « étage sécurisé », erreurs dans l’administration de ses médicaments – tout cela était normal à l’époque.

J’ai passé plus de deux ans à demander au système de santé public de m’aider à la faire sortir de ce « palais imaginaire » qui a englouti toutes ses économies. Ce n’est qu’après qu’elle se soit échappée de son étage verrouillé et ait été retrouvée dans un garage souterrain que mes appels ont enfin été entendus. En juin 2012, elle a été transférée dans un excellent établissement financé par le gouvernement et disposant d’un personnel compétent et dûment formé, ou elle a passé les quatre dernières années de sa vie.

Devenir militante du changement

Malgré ce parcours compliqué, la maladie de ma mère m’a offert un terrain d’apprentissage et de croissance. Et j’ai réalisé que ma vocation était de consacrer le reste de ma vie à aider d’autres familles à s’y retrouver dans le parcours de soins, et de devenir une militante en me servant de mon expérience pour insuffler des changements dans le réseau de la santé. Chaque matin, je me lève avec le formidable sentiment d’être utile, sachant que je peux partager mon expérience et ma formation avec les autres. En plus d’être conseillère certifiée en soins pour l’Alzheimer, je me qualifie de « croisée des aidants naturels ».

L’une de mes plus grandes réalisations est ma participation au programme de formation sur la démence de l’Université McGill, qui fait partie de la Division de médecine gériatrique de la Faculté de médecine. Comme fondatrice, conférencière et ambassadrice de ce programme, j’ai travaillé avec une équipe multidisciplinaire de professionnels de la santé dévoués pour créer des programmes visant à éduquer et soutenir les aidants naturels ainsi que les professionnels de la santé et les étudiants en médecine de demain, en mettant l’accent sur les soins centrés sur le patient.

Pour mieux soutenir les aidants naturels pendant cette crise de la COVID-19, nous inaugurons une série hebdomadaire de webémissions, McGill à vos côtés, à compter de mercredi prochain, soit le 13 mai, à 12 h (HAE). Au cours de ces entretiens sans artifice de 20 minutes avec des experts de premier plan, je vais explorer des sujets liés à la prise en charge d’un proche atteint de démence.

Je vous encourage tous à prendre contact et à obtenir l’aide et le soutien dont vous avez besoin en ces temps difficiles, à vous serrer les coudes et à vous appuyer les uns sur les autres. Si vous souhaitez devenir un militant du changement, contactez un représentant de votre gouvernement local et faites entendre votre voix. Soyons solidaires et changeons les choses.

Au fil des années, j’ai énormément appris sur ma résilience en tant qu’individu, et sur la capacité de ma famille à résister, à apprendre et à grandir ensemble. Je ne pourrais pas être plus reconnaissante du soutien que j’ai reçu de mon mari et de mes trois enfants, ainsi que de la force et du courage dont j’ai hérité de mes parents. J’espère que vous vous joindrez à ma croisade.

Que la force et l’amour vous accompagnent dans votre parcours,

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Claire Webster
Fondatrice, ambassadrice et formatrice
Programme de formation sur la démence de l’Université McGill

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