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Les mystères de l'esprit

La psychiatrie génétique fait entrer la biologie dans la psychiatrie et révolutionne notre compréhension de certaines maladies mentales. Entretien avec le professeur Boris Chaumette, auteur de Schizophrénie et génétique : un ADN de la folie ?

C’est sa fascination pour les mystères de l’esprit humain qui a poussé le Dr Chaumette vers la psychiatrie plutôt que la neurologie quand est venu le temps de choisir une spécialité. Et depuis, le psychiatre, professeur adjoint au Département de psychiatrie de l’Université McGill et chercheur à l’Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris, va de découverte en découverte.

A picture of Dr Boris Chaumette
Image by courtesy of Boris Chaumette.
Docteur en psychiatrie et en neurosciences, le professeur Boris Chaumette étudie la génétique et l'épigénétique des troubles psychiatriques, en particulier la schizophrénie. (Photo gracieusement fournie par Boris Chaumette.)
Car son champ d’études plutôt obscur, la psychiatrie génétique, révolutionne la compréhension des maladies mentales. « Traditionnellement, les psychiatres posaient un diagnostic à partir de symptômes exprimés par le patient, mais on peut désormais expliquer certains troubles par la biologie et la génétique. »

Psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, nom officieux du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, le chercheur et clinicien vient de publier un ouvrage de vulgarisation, [HumenSciences, 2024]. Malgré son titre un brin provocateur, cet ouvrage lumineux fait le tour des avancées de la psychiatrie génétique et des espoirs qu’elle soulève.

« Ma plus grande surprise, en tant que psychiatre, c’est le bien fou qu’on fait aux familles. Je dois admettre qu’au départ, quand j’ai commencé à étudier la psychiatrie génétique, je redoutais un peu leur rejet, mais c’est le contraire qui se passe : les familles viennent spontanément vers nous pour savoir ce qui se passe. » 

Car les familles, explique-t-il, ont été trop longtemps victimes de préjugés. « On accusait les mères, jamais les pères. On disait : la mère est mal éduquée, elle manque d’affectivité. Or, mon livre dit : “La schizophrénie est une maladie biologique, ce n’est pas votre faute.” Ça déculpabilise l’entourage. » 

La psychiatrie génétique ne permet pas la thérapie génique, mais elle peut expliquer plusieurs formes de schizophrénie. Ce faisant, elle provoque une sorte de révolution conceptuelle en psychiatrie, notamment en France où la psychanalyse est très implantée. Ce qui ne va pas sans polémique.

« La psychiatrie a longtemps traité l’âme de manière désincarnée. La génétique vient nous dire que l’âme est inscrite dans la matière, et ça, tout le monde ne l’admet pas. » 

La génétique soulève bien des espoirs et des fantasmes, dont celui d’enfermer le malade dans un déterminisme : « Si c’est génétique, il n’y a rien à faire.  » En fait, c’est exactement le contraire, selon Boris Chaumette. « Dans le cas de certains défauts d’un gène précis, on peut établir que 50  % des personnes atteintes vont développer une schizophrénie. Mais ce n’est pas binaire, ce n’est pas garanti. » L’information fournie par la génétique, explique-t-il, permet de faire de la prévention quant aux facteurs de risque de type environnemental, comme le cannabis et le stress chez l’enfant, qui sont des déclencheurs importants. De plus, cette connaissance permet à l’entourage d’identifier les symptômes précoces, ce qui augmente l’efficacité du traitement. « En réalité, le fait d’être informé devient même libérateur, en quelque sorte. » 

Dans son livre, le chercheur révèle une statistique éloquente qui illustre le degré d’acceptation et de résistance envers la psychiatrie génétique. La moitié de la clientèle qui passe à son centre de référence est constituée de patients venus d’eux-mêmes ou sous les conseils de proches ou d’associations, mais seulement 20  % par des psychiatres. « Comme pour le sida ou le cancer, ce sont les patients, leurs familles et les associations qui font bouger les lignes. Les plus craintifs quant à la psychiatrie génétique sont en fait les psychiatres qui ne sont pas à l’aise sur ces questions. Mais j’ai bon espoir parce que les jeunes qui sortent actuellement des facultés sont plus éveillés à la part du biologique dans la maladie. » 

Le grand dépoussiérage 

Même s’il avait choisi une autre spécialité médicale, le psychiatre de 39 ans croit qu’il serait naturellement tombé dans la génétique par tempérament. « Médicalement et intellectuellement, c’est absolument fascinant, dit-il. C’est une sorte d’enquête de détective, on essaie de comprendre avec des tests et des observations. »

Boris Chaumette est venu à McGill en 2016-2018 pour ses études postdoctorales, notamment parce que la recherche sur ce sujet y était beaucoup plus développée qu’en France. Au sein de l’équipe du Dr Guy Rouleau, directeur du Neuro (l’Institut-hôpital neurologique de Montréal) et pionnier de la neurogénétique, Boris Chaumette a pu avancer dans ses propres travaux grâce aux données sur la schizophrénie infantile. 

Natif d’Évreux, en Normandie, Boris Chaumette est retourné dans son pays natal, mais tout en conservant ses attaches avec McGill. «  Il y a deux ou trois ans, je vous aurais dit que ma discipline était sous-développée en France, mais depuis que la pandémie a déclenché une épidémie de maladies mentales mal traitées, le gouvernement ici est en mode rattrapage et les budgets de recherche suivent.  » 

Dans l’état actuel des connaissances, la psychiatrie génétique avance vite, mais elle n’en est qu’aux balbutiements. « Elle permet de donner du conseil, de faire des recommandations de prévention et d’adapter les soins. » Pour certains défauts génétiques précis, on peut établir une probabilité assez précise. Par contre, quand la schizophrénie est polygénique (c’est-à-dire qu’elle implique plusieurs gènes), la génétique permet de savoir ce qui se passe dans un groupe de patients, mais elle n’est pas encore utile dans le traitement d’un individu. 

Actuellement, les plus belles promesses se trouvent au niveau de la pharmacogénétique, note le chercheur. « Les psychiatres établissent le traitement et le dosage par essai et erreur, ce qui nous fait perdre beaucoup de temps. Or, la génétique commence à expliquer comment un patient métabolise certains médicaments. La stratégie nouvelle qui se dessine est une psychiatrie de précision où la génétique nous aidera à établir le meilleur médicament et la meilleure posologie. C’est encore au futur, mais ça tend vers ça. » 

La psychiatrie génétique a également réveillé les compagnies pharmaceutiques, qui s’étaient désintéressées de la psychiatrie. « On avait des traitements à la dopamine qui fonctionnaient à peu près. Mais la recherche a permis d’identifier d’autres neurotransmetteurs et nous entrons dans une nouvelle phase d’essais thérapeutiques et cliniques. » 

Éthique rime avec génétique 

Boris Chaumette s’est intéressé plus particulièrement à la schizophrénie pour ce qu’elle dit de la conscience humaine.

« Il y a des maladies du cerveau qui sont très organiques comme la maladie de Parkinson ou la sclérose en plaques. Mais la schizophrénie combine l’organique pure et l’essence humaine, sa conscience. Il se passe quelque chose d’organique qui modifie la conscience. » 

S’il consacre sa carrière à introduire la science « dure » dans une science qui a été plutôt « molle », selon son expression, Boris Chaumette insiste quant au fait que la recherche ne doit pas perdre de vue la réhabilitation psychosociale. « D'abord parce que les gènes n’expliquent pas tout, et aussi parce qu’une fois la personne malade, il faut déterminer les meilleures manières de rétablir le patient et d’améliorer son autonomie au quotidien. »

Pour le chercheur fasciné par l’esprit, la génétique soulève très vite des questions éthiques. C’est ainsi qu’il juge néfaste la commercialisation des tests génétiques sans accompagnement professionnel, comme cela se fait en Amérique du Nord. La chose est interdite en Europe, où l’on doute du bienfondé d’une telle pratique. « Les tests génétiques sont toujours difficiles à interpréter. Les gens s’angoissent à s’en rendre malade, et le test devient une prophétie autoréalisatrice. »

Pour des raisons d’éthique, il s’oppose également au dépistage systématique. « À quoi servirait-il de dépister en l’absence de traitement ? Et que peut-on faire, sauf d’angoisser, en attendant que la maladie se développe – si elle se développe ? Est-ce que ça peut être mal utilisé par des assureurs, des prêteurs ? Si quelqu’un présente un risque, doit-on envisager l’interruption d’une grossesse ? Dans l’état des connaissances, le dépistage à grande échelle ne serait pas éthique, selon moi. Ce qui est éthique, c’est de travailler à comprendre pourquoi une personne développe les symptômes. » 

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