C’est sa fascination pour les mystères de l’esprit humain qui a poussé le Dr Chaumette vers la psychiatrie plutôt que la neurologie quand est venu le temps de choisir une spécialité. Et depuis, le psychiatre, professeur adjoint au Département de psychiatrie de l’Université McGill et chercheur à l’Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris, va de découverte en découverte.
Car son champ d’études plutôt obscur, la psychiatrie génétique, révolutionne la compréhension des maladies mentales. « Traditionnellement, les psychiatres posaient un diagnostic à partir de symptômes exprimés par le patient, mais on peut désormais expliquer certains troubles par la biologie et la génétique. »Psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, nom officieux du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, le chercheur et clinicien vient de publier un ouvrage de vulgarisation, [HumenSciences, 2024]. Malgré son titre un brin provocateur, cet ouvrage lumineux fait le tour des avancées de la psychiatrie génétique et des espoirs qu’elle soulève.
« Ma plus grande surprise, en tant que psychiatre, c’est le bien fou qu’on fait aux familles. Je dois admettre qu’au dĂ©part, quand j’ai commencĂ© Ă Ă©tudier la psychiatrie gĂ©nĂ©tique, je redoutais un peu leur rejet, mais c’est le contraire qui se passe : les familles viennent spontanĂ©ment vers nous pour savoir ce qui se passe. »Â
Car les familles, explique-t-il, ont Ă©tĂ© trop longtemps victimes de prĂ©jugĂ©s. « On accusait les mères, jamais les pères. On disait : la mère est mal Ă©duquĂ©e, elle manque d’affectivitĂ©. Or, mon livre dit : “La schizophrĂ©nie est une maladie biologique, ce n’est pas votre faute.” Ça dĂ©culpabilise l’entourage. »Â
La psychiatrie génétique ne permet pas la thérapie génique, mais elle peut expliquer plusieurs formes de schizophrénie. Ce faisant, elle provoque une sorte de révolution conceptuelle en psychiatrie, notamment en France où la psychanalyse est très implantée. Ce qui ne va pas sans polémique.
« La psychiatrie a longtemps traitĂ© l’âme de manière dĂ©sincarnĂ©e. La gĂ©nĂ©tique vient nous dire que l’âme est inscrite dans la matière, et ça, tout le monde ne l’admet pas. »Â
La gĂ©nĂ©tique soulève bien des espoirs et des fantasmes, dont celui d’enfermer le malade dans un dĂ©terminisme : « Si c’est gĂ©nĂ©tique, il n’y a rien Ă faire.  » En fait, c’est exactement le contraire, selon Boris Chaumette. « Dans le cas de certains dĂ©fauts d’un gène prĂ©cis, on peut Ă©tablir que 50  % des personnes atteintes vont dĂ©velopper une schizophrĂ©nie. Mais ce n’est pas binaire, ce n’est pas garanti. » L’information fournie par la gĂ©nĂ©tique, explique-t-il, permet de faire de la prĂ©vention quant aux facteurs de risque de type environnemental, comme le cannabis et le stress chez l’enfant, qui sont des dĂ©clencheurs importants. De plus, cette connaissance permet Ă l’entourage d’identifier les symptĂ´mes prĂ©coces, ce qui augmente l’efficacitĂ© du traitement. « En rĂ©alitĂ©, le fait d’être informĂ© devient mĂŞme libĂ©rateur, en quelque sorte. »Â
Dans son livre, le chercheur rĂ©vèle une statistique Ă©loquente qui illustre le degrĂ© d’acceptation et de rĂ©sistance envers la psychiatrie gĂ©nĂ©tique. La moitiĂ© de la clientèle qui passe Ă son centre de rĂ©fĂ©rence est constituĂ©e de patients venus d’eux-mĂŞmes ou sous les conseils de proches ou d’associations, mais seulement 20  % par des psychiatres. « Comme pour le sida ou le cancer, ce sont les patients, leurs familles et les associations qui font bouger les lignes. Les plus craintifs quant Ă la psychiatrie gĂ©nĂ©tique sont en fait les psychiatres qui ne sont pas Ă l’aise sur ces questions. Mais j’ai bon espoir parce que les jeunes qui sortent actuellement des facultĂ©s sont plus Ă©veillĂ©s Ă la part du biologique dans la maladie. »Â
Le grand dĂ©poussiĂ©rageÂ
Même s’il avait choisi une autre spécialité médicale, le psychiatre de 39 ans croit qu’il serait naturellement tombé dans la génétique par tempérament. « Médicalement et intellectuellement, c’est absolument fascinant, dit-il. C’est une sorte d’enquête de détective, on essaie de comprendre avec des tests et des observations. »
Boris Chaumette est venu Ă McGill en 2016-2018 pour ses Ă©tudes postdoctorales, notamment parce que la recherche sur ce sujet y Ă©tait beaucoup plus dĂ©veloppĂ©e qu’en France. Au sein de l’équipe du Dr Guy Rouleau, directeur du Neuro (l’Institut-hĂ´pital neurologique de MontrĂ©al) et pionnier de la neurogĂ©nĂ©tique, Boris Chaumette a pu avancer dans ses propres travaux grâce aux donnĂ©es sur la schizophrĂ©nie infantile.Â
Natif d’Évreux, en Normandie, Boris Chaumette est retournĂ© dans son pays natal, mais tout en conservant ses attaches avec McGill. «  Il y a deux ou trois ans, je vous aurais dit que ma discipline Ă©tait sous-dĂ©veloppĂ©e en France, mais depuis que la pandĂ©mie a dĂ©clenchĂ© une Ă©pidĂ©mie de maladies mentales mal traitĂ©es, le gouvernement ici est en mode rattrapage et les budgets de recherche suivent.  »Â
Dans l’état actuel des connaissances, la psychiatrie gĂ©nĂ©tique avance vite, mais elle n’en est qu’aux balbutiements. « Elle permet de donner du conseil, de faire des recommandations de prĂ©vention et d’adapter les soins. » Pour certains dĂ©fauts gĂ©nĂ©tiques prĂ©cis, on peut Ă©tablir une probabilitĂ© assez prĂ©cise. Par contre, quand la schizophrĂ©nie est polygĂ©nique (c’est-Ă -dire qu’elle implique plusieurs gènes), la gĂ©nĂ©tique permet de savoir ce qui se passe dans un groupe de patients, mais elle n’est pas encore utile dans le traitement d’un individu.Â
Actuellement, les plus belles promesses se trouvent au niveau de la pharmacogĂ©nĂ©tique, note le chercheur. « Les psychiatres Ă©tablissent le traitement et le dosage par essai et erreur, ce qui nous fait perdre beaucoup de temps. Or, la gĂ©nĂ©tique commence Ă expliquer comment un patient mĂ©tabolise certains mĂ©dicaments. La stratĂ©gie nouvelle qui se dessine est une psychiatrie de prĂ©cision oĂą la gĂ©nĂ©tique nous aidera Ă Ă©tablir le meilleur mĂ©dicament et la meilleure posologie. C’est encore au futur, mais ça tend vers ça. »Â
La psychiatrie gĂ©nĂ©tique a Ă©galement rĂ©veillĂ© les compagnies pharmaceutiques, qui s’étaient dĂ©sintĂ©ressĂ©es de la psychiatrie. « On avait des traitements Ă la dopamine qui fonctionnaient Ă peu près. Mais la recherche a permis d’identifier d’autres neurotransmetteurs et nous entrons dans une nouvelle phase d’essais thĂ©rapeutiques et cliniques. »Â
Éthique rime avec gĂ©nĂ©tiqueÂ
Boris Chaumette s’est intéressé plus particulièrement à la schizophrénie pour ce qu’elle dit de la conscience humaine.
« Il y a des maladies du cerveau qui sont très organiques comme la maladie de Parkinson ou la sclĂ©rose en plaques. Mais la schizophrĂ©nie combine l’organique pure et l’essence humaine, sa conscience. Il se passe quelque chose d’organique qui modifie la conscience. »Â
S’il consacre sa carrière à introduire la science « dure » dans une science qui a été plutôt « molle », selon son expression, Boris Chaumette insiste quant au fait que la recherche ne doit pas perdre de vue la réhabilitation psychosociale. « D'abord parce que les gènes n’expliquent pas tout, et aussi parce qu’une fois la personne malade, il faut déterminer les meilleures manières de rétablir le patient et d’améliorer son autonomie au quotidien. »
Pour le chercheur fasciné par l’esprit, la génétique soulève très vite des questions éthiques. C’est ainsi qu’il juge néfaste la commercialisation des tests génétiques sans accompagnement professionnel, comme cela se fait en Amérique du Nord. La chose est interdite en Europe, où l’on doute du bienfondé d’une telle pratique. « Les tests génétiques sont toujours difficiles à interpréter. Les gens s’angoissent à s’en rendre malade, et le test devient une prophétie autoréalisatrice. »
Pour des raisons d’éthique, il s’oppose Ă©galement au dĂ©pistage systĂ©matique. « À quoi servirait-il de dĂ©pister en l’absence de traitement ? Et que peut-on faire, sauf d’angoisser, en attendant que la maladie se dĂ©veloppe – si elle se dĂ©veloppe ? Est-ce que ça peut ĂŞtre mal utilisĂ© par des assureurs, des prĂŞteurs ? Si quelqu’un prĂ©sente un risque, doit-on envisager l’interruption d’une grossesse ? Dans l’état des connaissances, le dĂ©pistage Ă grande Ă©chelle ne serait pas Ă©thique, selon moi. Ce qui est Ă©thique, c’est de travailler Ă comprendre pourquoi une personne dĂ©veloppe les symptĂ´mes. »Â