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Discours de Minnie Grey, récipiendaire d'un doctorat honorifique, aux diplômé·es de l'ÉÉP de 2024

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Minnie Grey a reçu un diplôme honorifique de l’Université McGill lors de la collation des grades du printemps 2024 de l’École d’éducation permanente, qui s’est tenue hier. Minnie Grey a reçu un doctorat ès droit, honoris causa (LL.D.), pour ses réalisations exceptionnelles dans sa communauté et ailleurs.

Née à Kangirsuk, Minnie Grey a consacré près de 40 ans à la défense de la santé et du bien-être du peuple inuit dans les régions polaires. Son leadership à titre de vice-présidente du Conseil circumpolaire inuit et de directrice exécutive de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik lui a permis d’établir d’importantes politiques sanitaires, notamment en ce qui concerne la santé mentale des jeunes et la prévention du suicide.

Monsieur le Chancelier McCall MacBain; Monsieur le Recteur et Vice-chancelier Saini; Madame Bertrand, présidente du conseil d’administration; Madame la Doyenne Weil; membres de la tribune, fiers parents et invités; et surtout vous, la classe de 2024 :

Je suis très honorée de recevoir ce doctorat honoris causa de McGill. Je dois cependant vous faire un aveu : l’objectif principal de ma carrière et de l’engagement de toute ma vie n’a jamais été le « droit », mais plutôt la « justice ».

Pour les Inuits, les mots sont importants.

Je suis une fière Inuk originaire de Kangirsuk, une petite communauté située sur les rives de la baie d’Ungava. Kangirsuk signifie « la baie » : les noms que nous donnons à nos lieux, à nos organisations et à nos programmes sont généralement très imagés et significatifs. Par exemple, l’un des programmes juridiques que j’ai fondés, visant à réduire le nombre de crimes liés à la toxicomanie en favorisant des modes de vie sains, s’appelle « Saqijuq », ce qui signifie « changement de direction du vent ».

Dans la toundra, nos ancêtres comptaient sur les étoiles pour les guider. Durant ma carrière, j’ai surtout compté sur une chose pour me montrer le bon chemin : l’avenir de notre jeunesse.

Je suis particulièrement sensible aux questions sociales qui touchent les jeunes du Nunavik, notamment l’accès équitable à l’éducation, aux soins de santé et à des services sociaux sécuritaires, mais aussi l’accès à des programmes d’intervention qui favorisent la persévérance scolaire, préviennent le suicide et la négligence parentale, et améliorent la vie des jeunes qui souffrent de problèmes de toxicomanie ou qui sont victimes d’abus.

Dans mon ancien rôle à titre de directrice exécutive de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, j’ai dirigé de nombreux projets axés sur l’éducation et la santé mentale des jeunes Inuits.

Pour moi, il s’agit avant tout de justice, plus précisément de justice intergénérationnelle. Faire ce qui est juste. Veiller à ce que nos peuples bénéficient de l’égalité des droits et des chances de réussite. Veiller à ce que les injustices que nous avons subies par le passé ne soient connues de nos petits-enfants que par la tradition orale.

Avant de poursuivre, j’aimerais vous demander de réfléchir à ceci : que signifie la justice pour vous? Comment pourriez-vous contribuer à créer une société juste dans vos futures fonctions? Le droit est certes important, mais il ne veut rien dire sans la justice.

Je n’ai jamais plaidé une affaire devant un tribunal, mais j’ai défendu de nombreux intérêts dans beaucoup d’autres endroits : dans de petites mairies de villages du Nord et de grands parlements de capitales; dans des gymnases surpeuplés d’écoles secondaires et des bureaux spacieux et immaculés de ministres; dans l’environnement familier de ma communauté natale mais aussi dans des lieux éloignés aux États-Unis, en Europe, en Russie et au Groenland.

J’ai toujours utilisé ma voix pour parler au nom de ceux qui ne peuvent pas participer à ces forums et s’y exprimer. Cela me ramène aux problèmes qui touchent nos jeunes. Je crois avoir l’obligation morale de m’exprimer pour améliorer le bien-être de nos enfants, car cela améliorera aussi notre avenir collectif en tant qu’Inuits. De nombreux problèmes affectant les Inuits sont causés par des traumatismes intergénérationnels. J’ai toujours voulu briser ce terrible cycle.

Parmi les dossiers sur lesquels je travaille depuis très longtemps, il y a celui des services de protection de la jeunesse au Nunavik. Mais ici, les mots ont également leur importance. J’ai toujours pensé qu’il vaudrait mieux parler de « guérison familiale », car nous devons nous concentrer sur la guérison des parents et des grands-parents autant que sur le bien-être des enfants.

La situation géographique du Nunavik rend particulièrement difficile la prestation de services, surtout dans le domaine de la santé et plus particulièrement dans celui de la santé mentale. Mes collègues inuits travaillent à mettre en place des infrastructures adaptées et des programmes culturellement pertinents. Mais nous avons encore besoin du soutien de nos alliés et de nos partenaires du Sud.

Peu importe le domaine dans lequel vous poursuivrez votre carrière, je vous encourage à devenir des alliés. Mais je vous en prie, ne devenez pas des sauveurs, nous en avons eus assez.

Je vous encourage Ă  vous renseigner sur les Inuits et le Nunavik et Ă  faire entendre la voix des Inuits. Mais je vous en prie, ne parlez pas en notre nom ni par-dessus nous.

Le fait de donner du pouvoir Ă  nos leaders locaux et de se concentrer sur des initiatives culturellement pertinentes est une question de justice fondamentale.

Étant donné que je m’adresse aujourd’hui à une classe de nouveaux diplômés, je tiens à vous rappeler l’importance de la communication courtoise et du bon sens.

Dans la pratique du droit et la défense de la justice, ceux-ci sont tout aussi importants que les principes juridiques. En assumant vos fonctions, n’oubliez pas que l’efficacité du droit dépend autant de la façon dont vous communiquez et utilisez le bon sens que de celle dont vous appliquez votre expertise.

Je crois fermement qu’en tant que futurs leaders dans plusieurs domaines, vous pourrez plaider en faveur de l’évolution des cadres juridiques du Canada et du Québec.

Il est essentiel que notre système juridique tienne compte des voix et des points de vue des Inuits, ainsi que de leurs conditions de vie réelles.

Au Nunavik, nous misons sur des solutions communautaires en matière de justice, comme le Programme pour des communautés plus sûres, appelé « Ungaluk », ce qui veut dire le premier niveau de blocs de neige qui forment la fondation d’un igloo. C’est le premier programme de prévention de la criminalité géré par des Inuits. Il finance chaque année des initiatives créées par des Inuits pour des Inuits.

Il s’agit d’une justice qui vise à élever plutôt qu’à exclure. Comme je l’ai dit, les mots sont importants : c’est ce premier niveau de blocs de neige qui garantit la stabilité et la sécurité de l’igloo.

En tant que futurs professionnels, vous avez un rôle à jouer dans la construction de cette nouvelle réalité.

Parce qu’être des alliés, et non des sauveurs, constitue un acte de justice fondamentale.

Dans vos futures carrières, vous aurez l’occasion de soutenir notre autodétermination et de respecter notre droit à mener nos propres changements sociaux. Cette forme de collaboration est l’essence même de la justice : donner du pouvoir plutôt que dominer, écouter plutôt que dicter.

Ensemble, nous pouvons réussir. Pour aller de l’avant, nous devons profiter de la sagesse de nos aînés et de l’énergie de nos jeunes, et former des partenariats qui reflètent véritablement notre vision.

Pour qu’un vrai changement puisse avoir lieu, nous devons affronter nos craintes, c’est-à-dire prendre nos responsabilités, faire des choix de carrière difficiles et défendre ce qui est juste. Chaque fois que je dois affronter un nouveau défi, je me souviens de la résilience de mon peuple. L’exemple de nos ancêtres m’a toujours encouragée à persister, à surmonter les obstacles et à défendre mes valeurs inuites, quelles que soient les difficultés que je rencontre.

À l’aube de votre parcours, je vous invite à considérer chaque défi comme une occasion d’exercer une influence positive sur le monde.

Vos carrières sont plus que des parcours personnels : ce sont des voies qui vous permettront d’apporter des changements significatifs et durables autour de vous.

J’espère que vous poserez collectivement les piliers d’une société plus juste.

En conclusion, je voudrais remercier toutes les personnes avec qui j’ai eu le plaisir de travailler, ainsi que ma famille pour sa présence et son soutien indéfectible tout au long de ma carrière.

Nakurmik Marialuk!

Ěý

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