Observer les habitudes alimentaires par quartier
De piètres choix alimentaires, comme la consommation excessive de boissons gazeuses, constituent d’importants facteurs à l’origine de l’épidémie mondiale d’obésité et ont été liés directement au diabète et aux maladies cardiaques. Si les organismes de santé publique s’emploient à aider les populations à faire des choix plus sains, l’évaluation de l’efficacité de ces efforts est coûteuse et laborieuse. Toutefois, David Buckeridge, de l’Université McGill, a mis au point une méthode permettant aux organismes de santé d’effectuer le suivi des choix alimentaires des consommateurs, quartier par quartier. Cette approche novatrice, qui repose sur les mêmes données numériques utilisées par les spécialistes en marketing pour promouvoir les produits alimentaires, pourrait ouvrir la voie à une meilleure surveillance des habitudes des consommateurs et contribuer à mieux cibler les efforts visant à encourager l’adoption d’un régime alimentaire plus sain.
« Nous avons utilisé les données que la plupart des supermarchés et des dépanneurs obtiennent à l’aide de numériseurs à balayage servant à reconnaître les articles à la caisse. Les entreprises utilisent notamment ces données afin d’obtenir de l’information commerciale, précise David Buckeridge, médecin de santé publique et professeur agrégé au Département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de la Faculté de médecine de McGill. Nous avons conçu une façon d’utiliser ces données dans le cadre d’une initiative de santé publique positive : la surveillance systématique des habitudes alimentaires au fil du temps dans certains secteurs d’une même ville afin d’identifier les populations qui consomment des aliments susceptibles d’être néfastes pour la santé. »
Le professeur Buckeridge, qui est membre du Centre McGill de convergence de la santé et de l’économie, et ses collaborateurs ont calculé les achats mensuels de boissons gazeuses dans certains quartiers à l’aide des données numériques recueillies par les numériseurs d’épiceries et de dépanneurs à Montréal, au Canada, entre 2008 et 2010, puis ont comparé les résultats obtenus avec les données du recensement décrivant en détail les caractéristiques socioéconomiques de ces mêmes quartiers. Cette méthode permet au professeur Buckeridge d’isoler et de mesurer tous les choix alimentaires, qu’il s’agisse d’aliments transformés, à forte teneur en sel ou riches en gras saturés.
« Nous collaborons avec les organismes de santé publique afin de déterminer comment les méthodes que nous avons conçues peuvent être utilisées pour réaliser le suivi des aliments consommés dans un quartier, et permettre d’élaborer des stratégies favorisant l’adoption de régimes alimentaires plus sains. Les données dont nous disposons indiquent clairement que la promotion de saines habitudes alimentaires contribue à prévenir les problèmes de santé, à en diminuer la fréquence, à améliorer la qualité de vie et à réduire les coûts liés aux soins de santé, affirme le professeur Buckeridge, qui œuvre également chercheur à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM). Nous savons que les facteurs biologiques, géographiques, environnementaux, économiques et sociaux ont une incidence sur les aliments que les gens consomment. La surveillance et l’analyse de ces facteurs sont essentielles pour orienter les efforts visant à promouvoir une saine alimentation et la prévention de maladies chroniques, comme le diabète, les maladies cardiaques et le cancer. »
« Pour chaque diminution de 10 000 $ du revenu personnel médian, nous avons remarqué que les ventes mensuelles de boissons gazeuses quintuplaient, précise le professeur Buckeridge. Selon ces données, les achats de boissons gazeuses semblent beaucoup plus importants dans les quartiers où les familles disposent d’un plus faible revenu que dans ceux où les gens sont plus aisés. » Bien que le lien entre la consommation d’aliments et les facteurs socioéconomiques puisse sembler évident, les paramètres mesurés par le professeur Buckeridge permettent d’obtenir des mesures exactes au fil du temps, lesquelles constituent la pierre angulaire de l’amélioration de la santé à l’échelle mondiale.
On pourrait recourir à la même approche afin de recueillir des données sur les repas achetés au restaurant et de mesurer la consommation totale de constituants alimentaires – comme le sel et le sucre –, dans certains quartiers, deux sujets auxquels s’intéresse maintenant l’équipe du professeur Buckeridge. « L’utilisation de données numériques pourrait nous permettre d’observer au fil du temps des populations ciblées qu’il nous était auparavant impossible d’étudier, précise-t-il. Cette approche nous donne accès à une multitude d’applications de recherche directement liées à l’amélioration de la santé des populations. »
Les résultats de ces travaux ont été publiés dans la revue scientifique Annals of the New York Academy of Sciences.