Éloge à Roderick A. Macdonald (1948-2014)
Enseignant d’abord et avant tout, on se souviendra de Roderick A. Macdonald comme l’un des plus importants chercheurs et théoriciens de l’histoire de l’Université McGill. Il a été un mentor et une source d’inspiration pour des générations d’étudiants et de professeurs de droit, ainsi qu’un catalyseur de changement à la Faculté de droit, à l’Université, dans la société canadienne et dans le reste du monde.
Le professeur Macdonald s’est joint au personnel enseignant de l’Université McGill en 1979. Son mandat à titre de doyen de la Faculté de droit, entre 1984 et 1989, a constitué un bond en avant pour McGill. Sa vision audacieuse de l’éducation juridique, son extraordinaire énergie en tant que chercheur, sa capacité à redéfinir et à réinventer le cadre du droit, son engagement profond envers la justice, son intégrité sans faille et son dévouement absolu à ses étudiants et à ses collègues continuent à ce jour à définir la mission et les aspirations de la Faculté de droit de McGill.
Rod Macdonald est né en Ontario en 1948. Au cours de sa jeunesse, il a dirigé des camps d’été dans le nord de l’Ontario et développé pour la musique folk et les chansons à message un goût qui ne se démentira jamais. À la fin de sa formation juridique en Ontario, il a entrepris sa carrière de professeur à la Faculté de droit de l’Université de Windsor, où il comptait au nombre d’un groupe d’universitaires favorisant l’accès à la justice et les initiatives liées à la réforme du droit.
Quelques années plus tard, à Montréal, il a fait son entrée dans une faculté qui se définissait déjà par sa mixité et son métissage sur le plan du droit civil et de la common law, du français et de l’anglais. McGill trouvait alors sa voie en tant qu’institution bijuridique, bilingue et cosmopolite, et Roderick Macdonald lui a donné une base solide, fondée sur des principes et ancrée dans une conception pluraliste du droit. Son engagement indéfectible à l’égard du bilinguisme, du pluralisme juridique, de l’interdisciplinarité et du dialogue a forgé la trame intellectuelle de la genèse du programme avant-gardiste de McGill, et en était indissociable. La nature linguistique, transnationale et dialogique du programme est directement inspirée des valeurs que le professeur Macdonald préconisait et que la Faculté encourageait.
L’inventivité pédagogique de Roderick Macdonald, son utilisation de la musique et des arts visuels et de prestations théâtrales dans les salles de cours ont inspiré à ses étudiants la confiance nécessaire pour explorer leurs propres assertions du droit, de même que leur rôle moral, éthique, politique et social en tant que juristes. Pour le professeur Macdonald, chaque moment en était un d’enseignement et d’apprentissage, chaque enseignant se doublait d’un apprenant et chaque étudiant était digne d’une considération et d’un respect absolus. Il savait toujours comment faire ressortir ce qu’il y a de meilleur en chacun.
L’un des plus influents juristes de sa génération, le professeur Macdonald a écrit trois livres et assuré la préparation et l’édition de six ouvrages collectifs. Il a publié plus de cent articles remarquables dans des revues scientifiques et des douzaines de chapitres dans des recueils, des rapports de la Commission de réforme du droit, et des études et des rapports de recherche commandés, tant à l’échelle nationale qu’internationale. Ses travaux sur la tradition de droit civil, la théorie et l’histoire juridiques, le droit administratif et constitutionnel, les sûretés, la théorie, le discourset les pratiques de l’enseignement du droit, le pluralisme et la diversité juridiques et l’accès à la justice ont littéralement redéfini chacun de ces domaines. Sa capacité à jeter un éclairage unique et original sur un large éventail de questions de droit public et de droit privé restera sans égale.
Le professeur Macdonald était également convaincu qu’il était de son devoir de servir la société dans son ensemble, et toute sa vie, il a été un universitaire et un intervenant public engagé. Peu de temps après la fin de son mandat comme doyen de la Faculté de droit, il a présidé un groupe de travail sur l’accès à la justice pour le ministère de la Justice du Québec; ce groupe a produit un rapport qui a servi de base à la révision du régime d’aide juridique, de la cour des petites créances, des recours collectifs et de la procédure civile de façon générale. Au cours des années, le professeur Macdonald a préparé des études et des rapports dans le cadre de plusieurs commissions royales, notamment la Commission royale d’enquête sur les perspectives économiques du Canada et la Commission royale sur les peuples autochtones. Des membres de commissions de réforme du droit, au Canada et à l’étranger, le consultaient fréquemment. Il a préparé l’importante étude préliminaire sur les solutions de rechange au procès civil pour la Révision de la justice civile en Ontario. Il a collaboré en qualité de principal expert-conseil avec le ministère fédéral de la Justice relativement au projet visant à harmoniser la législation fédérale avec le Code civil du Québec, et il a produit trois études décisives dans le cadre de ce projet. Il est l’auteur de rapports importants à l’intention du ministère de la Justice canadien sur les ramifications constitutionnelles du Code civil du Québec (1996), du Comité spécial sur les drogues illicites du Sénat (2002) et du Barreau du Haut-Canada sur l’accès à la justice (2003). Plus récemment, le professeur Macdonald a remis un rapport au ministère de la Justice du Québec sur les mesures visant à prévenir les poursuites-bâillons (SLAPP), et il a apporté son soutien à la Commission Bouchard-Taylor. Au moment de son décès, il était un des trois commissaires siégeant à la Commission Charbonneau.
L’une de ses contributions les plus remarquables découle de ses activités comme président fondateur de la Commission du droit du Canada (1997-2000). Au cours de cette période, le professeur Macdonald a essentiellement repensé ce qu’une telle institution était susceptible de faire et comment elle le ferait. Loin de devenir un « organisme de services » pour les avocats et les politiciens, la Commission a plutôt choisi, d’une part, d’appuyer et de stimuler le débat sur les grandes questions concernant le rôle du droit dans la société, et d’autre part, de faire participer à ce projet tous les membres de la collectivité, des écoles primaires à la société civile. Cette vision créative transparaît dans les documents de travail et les rapports que la Commission a rédigés sous sa supervision, notamment La reconnaissance et le soutien des rapports de nature personnelle entre adultes et La dignité retrouvée – la réparation des sévices infligés aux enfants dans des établissements canadiens. Le même esprit créatif et humanitaire se dégage de manière innée de chaque projet novateur que la Commission du droit a mené sous sa présidence. En trois ans, Roderick Macdonald a fait d’une nouvelle institution – maintenant dissoute par le gouvernement fédéral – un modèle reconnu partout dans le monde pour des structures de ce genre.
Roderick Macdonald était considéré par tous comme l’un des plus éminents intellectuels du Canada. En novembre 2008, il a été élu 111e président de la Société royale du Canada (SRC) lors de son assemblée générale annuelle, à Ottawa. Il était et est toujours le seul professeur de droit à avoir été élu président de la SRC, fonction qu’il a remplie de novembre 2009 à novembre 2011. En novembre 2012, le gouverneur général David Johnston a annoncé que la nouvelle salle de lecture de la Maison Walter, le siège social de la SRC à Ottawa, porterait le nom de Salle Macdonald en reconnaissance des années de service du professeur Macdonald au sein de la SRC. Au cours de sa carrière, Roderick Macdonald a reçu de nombreux prix prestigieux qui ont souligné sa contribution exceptionnelle. Il est devenu lauréat de la Fondation Pierre Elliott Trudeau en 2004. En 2007, il a obtenu le prix Killam pour les sciences sociales du Conseil des arts du Canada, ainsi que la médaille Sir William Dawson pour les sciences sociales de la Société royale du Canada. En 2010, l’Association du Barreau canadien lui a remis la médaille Ramon Hnatyshyn. L’Association du Barreau canadien (division Québec) a de nouveau souligné son apport en 2012, en lui décernant la médaille Paul-André Crépeau. Le professeur Macdonald a reçu un doctorat honorifique de l’Université de Montréal en 2010 et de la Osgoode Hall Law School en 2011, ainsi que l’Ordre du mérite de la Faculté de droit, Section de droit civil, de l’Université d’Ottawa en 2007. En 2012, il a été fait Officier de l’Ordre du Canada et un an plus tard, on lui conférait la Médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II.
À McGill, le professeur Macdonald a obtenu le Prix John W. Durnford d’excellence en enseignement 2012. Il est le seul professeur de McGill à avoir obtenu les deux plus hautes distinctions remises par l’université : le Prix d’excellence du leadership en éducation, en 2011, et la Médaille du mérite universitaire, qu’on lui a décernée il y a trois semaines seulement à l’occasion de la collation des grades 2014 de la Faculté de droit.
C’est avec une profonde tristesse et une reconnaissance infinie que la Faculté de droit de l’Université McGill fait ses adieux à l’un de ses membres les plus généreux, brillants et dévoués – un être humain et un universitaire merveilleux, original, compatissant et passionné, un modèle pour nous tous. Nous offrons nos plus sincères condoléances à la famille immédiate de Roderick Macdonald : sa femme Shelley Freeman et ses deux enfants, Madeleine et Aidan. Nous offrons également nos condoléances aux nombreux étudiants, professeurs, intervenants publics, juges, avocats, universitaires, amis et citoyens dont la vie et l’âme ont été touchées par ce grand homme.
– Daniel Jutras, doyen et titulaire de la chaire Wainwright en droit civil. Le 13 juin 2014.
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