Les plantes présentent une forme d'«amnésie moléculaire »
Découverte d’une étape importante dans la recherche génomique et l’amélioration des cultures
Des chercheurs en phytologie de l’Université McGill et de l’Université de Californie à Berkeley, ont annoncé une découverte importante dans un processus de développement connu sous le nom d’épigénétique. Ils sont en effet les premiers à démontrer l’inversion du processus de mise sous silence épigénétique chez les végétaux.
Ces résultats sont importants car ils permettront éventuellement de mieux comprendre les processus de régulation génétique dans la recherche de meilleures espèces végétales, afin d’améliorer le rendement des récoltes et cultiver des espèces plus résistantes aux maladies et capables de mieux tolérer les stress environnementaux, autant de qualités essentielles pour améliorer l’approvisionnement en denrées alimentaires de la planète. Mais cette découverte a surtout le mérite de lever le voile sur les processus épigénétiques qui se jouent dans le corps humain et pourrait, à terme, permettre de trouver les moyens de modifier notre patrimoine génétique afin de nous éviter certaines maladies, comme le cancer.
Même si presque toutes les cellules de notre corps ont le même point de départ et sont génétiquement identiques, chacune d’entre elles expriment un ensemble distinct de gènes, expliquent les chercheurs. Les changements que subissent les protéines autour desquelles s’enroule l’ADN portent le nom de modifications «épigénétiques», car elles modifient l’expression des gènes, sans pour autant altérer la séquence d’ADN. Toutefois, à l’instar des changements dans la séquence d’ADN, les modifications épigénétiques peuvent se transmettre de la cellule mère à la cellule fille, de sorte que chaque lignée cellulaire possède les mêmes caractéristiques d’une génération à l’autre.
Ce processus doit se répéter à chaque génération et on sait que chez l’animal, il se produit au cours du développement précoce, une vague de reprogrammation épigénétique qui «reprogramme» effectivement ce système. Il semble que certains gènes soient davantage reprogrammés que d’autres et que des gènes qui ont la même fonction dans chaque cellule, quel que soit le type de tissu, n’aient pas besoin d’être reprogrammés du tout.
Une catégorie de gène se distingue de toutes les autres, car ils sont pratiquement toujours épigénétiquement désactivés. Il s’agit des gènes mobiles ou transposons ou encore «gènes sauteurs». Les transposons sont des mutagènes, c'est-à -dire des gènes qui peuvent modifier leur cellule hôte de différentes manière et prédisposer par exemple au cancer.
Les expériences que les chercheurs ont menées sur le maïs donnent à penser que la faculté de maintenir les états épigénétiques varie selon la position des transposons dans le génome.
Plusieurs organismes, des vers aux êtres humains en passant par les végétaux, ont appris à dompter les transposons par un processus de « mise sous silence» épigénétique: s’ils ne peuvent pas exprimer leurs gènes, ils ne peuvent pas « sauter». S’ils ne peuvent pas sauter pendant un laps de temps assez long, leur séquence ADN accumule lentement des erreurs et ils se transforment en fossiles moléculaires. La plupart des transposons de la grande majorité des organismes sont mis sous silence de cette manière, mais certains restent relativement actifs.
Les études antérieures conduites dans le laboratoire de deux des auteurs de l’article, les professeurs Damon Lisch et Michael Freeling de l’Université de Californie à Berkeley, et financées par la National Science Foundation , ont permis de déclencher la mise sous silence épigénétique dans le maïs. Une fois le processus déclenché, le maïs en garde la mémoire et maintient le transposon sous silence d’une génération à l’autre, même si l’élément déclencheur a disparu.
« Cependant, nous avons découvert qu’il en allait différemment selon l’endroit où le transposon se trouve dans le génome. En effet, selon la position d’un transposon donné dans le génome, dès que l’élément qui permet de le mettre sous silence disparait, le transposon se réveille», indique Jaswinder Singh, professeur au département de phytologie de l’Université McGill et auteur principal de l’article. L’étude intitulée « A Position Effect on the Heritability of Epigenetic Silencing « (Effet de la position dans le génome sur l’héritabilité de la mise sous silence épigénétique» a été publié en octobre dans la revue PLoS Genetics.
Cette «amnésie moléculaire» n’avait encore jamais été documentée chez les végétaux et personne jusqu’à présent n’avait fait le lien entre ce phénomène et la position occupée dans le génome, quelle que soit l’espèce considérée. Ces données laissent penser que le paysage épigénétique du génome des végétaux est peut-être plus subtil et intéressant qu’on ne le pensait et que la faculté de se souvenir de la mise sous silence épigénétique varie selon la position dans le génome.
«Il est possible que cela tienne au degré de reprogrammation qu’un gène donné ou un groupe de gènes doit subir à chaque génération», indique le professeur Singh. «Nous pouvons désormais utiliser les transposons pour étudier en profondeur les variations du paysage épigénétique du génome du maïs. Il se pourrait donc fort bien que l’oubli soit aussi important que la mémoire. Nos constatations donnent à penser que le fait d’effacer les informations héritables est peut-être un élément important de la machinerie épigénétique».