L’évolution des bactéries en « superbactéries »
L’écologie et l’évolution au service de la modélisation de la croissance de l’antibiorésistance
Des chercheurs des universités McGill et Oxford ont appliqué des concepts de l’écologie et de l’évolution pour démontrer la résistance aux antibiotiques des bactéries dans les hôpitaux.
Leur étude, publiée dans l’édition en ligne du 25 juillet de Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, montre comment des taux élevés d’immigration de bactéries dans un environnement renfermant des antibiotiques introduit une variation génétique suffisante pour entraîner la progression de la résistance aux antibiotiques, une découverte qui fait la lumière sur la fréquence croissante des bactéries « superbactéries » hautement résistantes aux antimicrobiens, comme la Pseudomonas aeruginosa.
« Les bactéries capables de muter rapidement s’adaptent en peu de temps à des milieux hostiles contenant des antibiotiques. Notre étude révèle qu’un taux élevé d’immigration augmente considérablement le processus usuel de mutation génétique couramment utilisé pour expliquer l’évolution de la résistance aux antibiotiques », a indiqué l’un des coauteurs, Andrew Gonzalez, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biodiversité et professeur agrégé au département de biologie à l’Université McGill. Le Pr Gonzalez a précisé que le flux de bactéries dans l’expérience est analogue à l’immigration d’individus porteurs de bactéries dans un hôpital, et que « le taux d’introduction de bactéries dans un environnement particulier – et non uniquement le fait qu’elles s’y introduisent – est un facteur clé ».
Dans la théorie de l’évolution, toute population qui s’adapte à de nouveaux obstacles (tels les antibiotiques) sacrifie certaines de ses caractéristiques, ce qui limite sa capacité compétitive contre ses prédécesseurs dans leur environnement initial (exempt d’antibiotiques). Mais les « superbactéries » sont une exception, en ce qu’elles se propagent et persistent dans de nombreux environnements source, causant ainsi plus d’infections. L’étude a montré qu’avec l’augmentation du taux d’immigration des bactéries, ces bactéries se multiplient non seulement en devenant résistantes aux antibiotiques, mais elles prospèrent aussi en tant que bactéries dans des endroits exempts d’antibiotiques.
Au dire du Pr Gonzalez, le modèle source-puits utilisé dans l’étude, que les écologistes emploient pour mesurer les conséquences de la variation spatiale dans des conditions du milieu sur la croissance ou le déclin d’une population, est efficace à plusieurs échelles. « Le plus beau de cette théorie est qu’elle est généralement applicable à un ensemble de conditions cliniques. » Si les sources principales de bactéries résident à l’extérieur d’un hôpital, il arrive fréquemment que les systèmes de ventilation et d’approvisionnement en eau à l’intérieur agissent comme des sources.
D’après les Centres de contrôle des maladies des États-Unis (CDC), la bactérie Pseudomonas aeruginosa est le quatrième agent pathogène le plus répandu dans les hôpitaux. Il est à l’origine de 10 p. cent des infections nosocomiales dans l’appareil respiratoire, digestif et urinaire, les os et les articulations, et constitue une menace sérieuse pour les patients souffrant de brûlures graves, de fibrose kystique et de cancer. « L’incidence accrue de la résistance aux antibiotiques et la tendance à privilégier les mégahôpitaux à emplacement unique imposent l’approfondissement de l’évolution des bactéries », fait observer le Pr Gonzalez.
L’étude a été financée par le Fonds québécois pour la recherche sur la nature et les technologies (FQRNT), le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et le Programme de chaires de recherche du Canada.
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