Des rochers de l’Arctique offrent de nouveaux indices sur la composition initiale de la Terre
Des chercheurs viennent de découvrir de nouveaux indices sur le passé tourmenté de la Terre. Des preuves géochimiques provenant de roches volcaniques recueillies sur l’île de Baffin, dans l’Arctique canadien, laissent en effet penser que le sous-sol de cette île abrite une zone du manteau terrestre ayant largement échappé aux milliards d’années de fusion et de transformation géologique auxquels le reste de la planète a été soumis. Les chercheurs pensent que cette découverte apporte des indices sur l’évolution chimique précoce de la Terre.
Ce nouveau «ĚýrĂ©servoirĚý» du manteau, comme il a Ă©tĂ© baptisĂ©, date d’à peine quelques dizaines de millions d’annĂ©es après la naissance de la Terre, elle-mĂŞme fruit de l’agglomĂ©ration, de la collision et de l’accrĂ©tion d’élĂ©ments de plus petite taille. Ce rĂ©servoir est vraisemblablement reprĂ©sentatif de la composition du manteau peu de temps après la formation du noyau, mais avant les 4,5Ěýmilliards d’annĂ©es de formation et de recyclage de la croĂ»te terrestre qui ont modifiĂ© la composition de la quasi-totalitĂ© des entrailles de la Terre.
«ĚýIl s’agit d’une Ă©tape majeure de l’évolution de la Terre, souligne le coauteur de cette recherche, le professeur Richard Carlson, du DĂ©partement du magnĂ©tisme terrestre de l’Institut de recherche scientifique Carnegie. Elle est le point de dĂ©part de tous les phĂ©nomènes qui ont succĂ©dĂ©. Le manteau primitif que nous avons identifiĂ© a probablement Ă©tĂ© la source originelle de tous les magmas et de tous les diffĂ©rents types de roches que nous voyons aujourd’hui sur Terre.Ěý»
Richard Carlson, Matthew Jackson (auteur principal de cette étude, ancien chercheur postdoctoral à l’Institut Carnegie, aujourd’hui rattaché à l’Université de Boston) et leurs collègues ont utilisé des échantillons prélevés par Don Francis du Département des sciences de la Terre et des planètes de l’Université McGill, et plus particulièrement des échantillons de roches de l’île de Baffin, qui sont l’expression la plus primitive du point chaud du manteau terrestre - à l’origine des éruptions volcaniques observées en Islande - des études antérieures des isotopes d’hélium présents dans ces roches ayant montré que la proportion d’hélium‑3 rapportée à celle d’hélium‑4 était anormalement élevée. L’hélium‑3 est habituellement très rare sur Terre; la plupart des réserves du manteau terrestre ont été dissipées par les éruptions volcaniques et se sont volatilisées dans l’espace au cours de la longue histoire géologique de la planète. Par contre, les réserves terrestres d’hélium‑4 ont été constamment renouvelées sous l’effet de la désintégration radioactive de l’uranium et du thorium. L’importante densité d’hélium‑3 dans ces échantillons permet de croire que les laves de l’île de Baffin proviennent d’un réservoir logé dans le manteau qui n’a jamais perdu son hélium‑3 d’origine et qui, par conséquent, n’aurait pas été soumis à la différenciation chimique très poussée caractéristique de la majeure partie du manteau terrestre.
Les chercheurs ont validé cette conclusion en analysant les principaux isotopes présents dans les échantillons de lave. Ceux-ci permettent de dater le réservoir entre 4,55 et 4,45 milliards d’années, soit un âge légèrement antérieur à celui de la Terre elle-même. L’âge précoce du réservoir du manteau laisse penser que celui-ci existait avant que la fusion du manteau n’aboutisse à la formation de la mer de magma à l’origine de la croûte terrestre, de même qu’avant que la croûte ne se mélange à nouveau au manteau, sous l’effet de la tectonique des plaques.
De nombreux chercheurs pensaient qu’avant la formation de la croĂ»te continentale, la chimie du manteau Ă©tait comparable Ă celle de mĂ©tĂ©orites du nom de chondrites. Ils croient que la formation des continents a altĂ©rĂ© cette chimie, la privant de certains Ă©lĂ©ments (ou Ă©lĂ©ments incompatibles) extraits avec le magma lors de la fusion dans le manteau. «ĚýNos rĂ©sultats remettent cette hypothèse en question, indique Richard Carlson.ĚýIls laissent en effet penser qu’avant la naissance des continents et contrairement aux chondrites, le manteau avait dĂ©jĂ perdu ces Ă©lĂ©ments incompatibles, peut-ĂŞtre en raison d’une diffĂ©renciation encore plus prĂ©coce de la Terre, ou peut-ĂŞtre parce que la Terre Ă©tait Ă l’origine formĂ©e de blocs privĂ©s de ces Ă©lĂ©ments.Ěý»
De ces deux possibilitĂ©s, Richard Carlson privilĂ©gie celle associĂ©e au modèle de diffĂ©renciation prĂ©coce, lequel suppose l’existence d’une mer de magma gĂ©ante sur la Terre primitive. Cette mer de magma a formĂ© une croĂ»te antĂ©rieure Ă la croĂ»te actuelle. «ĚýSelon notre modèle, la croĂ»te originelle formĂ©e par la solidification de cette mer de magma Ă©tait extrĂŞmement instable Ă la surface de la Terre, en raison de sa très haute teneur en fer, explique-t-il. Du fait de cette instabilitĂ©, elle a littĂ©ralement coulĂ© Ă la base du manteau, emportant avec elle les Ă©lĂ©ments incompatibles oĂą ils persistent aujourd’hui.Ěý»
MalgrĂ© les fortes pressions, certains de ces matĂ©riaux situĂ©s en profondeur sont restĂ©s Ă l’état liquide. Richard Carlson prĂ©cise que les Ă©tudes sismologiques du manteau profond ont rĂ©vĂ©lĂ© certaines zones, dont l’une sous le Pacifique Sud et l’autre sous le continent africain, qui semblent en fusion et susceptibles de prĂ©senter une composition chimique diffĂ©rente du reste du manteau. «ĚýJ’espère vraiment que ces zones sismiques seront les complĂ©ments compositionnels du manteau primitif "appauvri" que nous avons caractĂ©risĂ© dans les Ă©chantillons de lave de l’île de BaffinĚý», indique-t-il.
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