Aux confins de la vie sur Terre
Par Katherine Gombay, McGill Salle de Presse
L’incapacité de trouver des microbes actifs dans les sols les plus froids de l’Antarctique éveille des doutes quant à la présence de vie sur Mars
Après avoir Ă©puisĂ© plus de 1000ĚýboĂ®tes de Petri, JackieĚýGoordial a dĂ» se rendre Ă l’évidence et accepter ce qu’elle voyait. Ou plutĂ´t, ce qu’elle ne voyait pas. JackieĚýGoordial, boursière postdoctorale au DĂ©partement des sciences des ressources naturelles de l’UniversitĂ© McGill, cherche depuis maintenant quatre ans des signes de vie microbienne active dans du pergĂ©lisol provenant de l’un des lieux les plus froids, anciens et arides de la TerreĚý: University Valley. Cette rĂ©gion, situĂ©e en altitude dans les vallĂ©es sèches de McMurdo, en Antarctique, est soumise depuis plus de 150Ěý000Ěýans Ă des conditions de froid et de sĂ©cheresse extrĂŞmes. Si les scientifiques tentent d’y trouver de la vie, c’est qu’ils pensent que le pergĂ©lisol terrestre de cette rĂ©gion est celui qui ressemble le plus au pergĂ©lisol de la calotte polaire de Mars, lĂ oĂą s’est posĂ©e la sonde Phoenix.Ěý
Ă€ University Valley, rĂ©gion situĂ©e en altitude dans les vallĂ©es sèches de McMurdo, en Antarctique, une couche de pergĂ©lisol sec recouvre une autre couche de pergĂ©lisol, celle-lĂ riche en glace. Cette glace n’est pas formĂ©e Ă partir d’eau liquide, mais bien de vapeur d’eau. L’absence d’eau liquide diminue la probabilitĂ© de vie dans le sol. (SourceĚý: JackieĚýGoordial)
«ĚýJ’essaie de lui remonter le moral en lui disant que de ne trouver aucun signe de vie, c’est important aussi, dit le professeur LyleĚýWhyte, superviseur de MmeĚýGoordial. Au dĂ©but de l’étude, nous Ă©tions certains de dĂ©couvrir un Ă©ł¦´Ç˛ő˛â˛őłŮèłľ±đ microbien fonctionnel et viable dans le pergĂ©lisol de University Valley. Après tout, nous en avons trouvĂ© dans le pergĂ©lisol de l’Arctique et de l’Antarctique, y compris dans des rĂ©gions antarctiques situĂ©es Ă moindre altitude. Et nous ne sommes pas les seuls! Nous avons tous les deux du mal Ă croire que nous pourrions ĂŞtre parvenus Ă un niveau de froid et d’ariditĂ© oĂą mĂŞme la vie microbienne active serait impossible.Ěý»
Au cours de l’étĂ© antarctique de 2013, lors du prĂ©lèvement des Ă©chantillons testĂ©s sur place puis en laboratoire, la tempĂ©rature moyenne de l’air pendant la journĂ©e s’est Ă©levĂ©e à –Ěý14Ěý°C et n’a jamais dĂ©passĂ© la barre des 0Ěý°C, compliquant les opĂ©rations de forage. (PhotoĚý: JackieĚýGoordial)
Ă€ la recherche de microbes en Antarctique
Les chercheurs se sont rendus Ă UniversityĚýValley dans le cadre du programme ASTEP (Astrobiology Science and Technology for Exploring Planets) de la NASA pour tester la tarière IceBite, instrument conçu pour les forages dans le pergĂ©lisol martien. L’équipe de McGill a analysĂ© les Ă©chantillons de pergĂ©lisol provenant de deux trous de forage d’une profondeur de 42Ěýcm et 55Ěýcm, respectivement. Ça semble peu, mais le prĂ©lèvement d’échantillons par forage dans le pergĂ©lisol n’est pas chose simple.
«ĚýLorsqu’on perce un sol qui contient de la glace, la friction fait fondre la glace. Si on a le malheur de cesser de forer, le trou regèle en quelques secondes, et la mèche reste prise dans le trou, explique le PrĚýWhyte. J’ai dĂ©jĂ perdu une mèche de cette façon en Arctique.Ěý»
Denis Lacelle de l’UniversitĂ© d’Ottawa (Ă gauche) et AlfonsoĚýDavila de la NASA et de l’Institut SETI (Ă droite) forent le sol gelĂ© de University Valley Ă l’aide d’une tarière motorisĂ©e pour y prĂ©lever une carotte. (SourceĚý: Chris McKay, NASA)
«ĚýĂ€ la lumière des Ă©tudes antĂ©rieures menĂ©es Ă plus basse altitude, dans les vallĂ©es sèches de l’Antarctique et dans les lacs sous-glaciaires, nous avions l’impression que les rĂ©gions froides abritaient une vie microbienne d’une grande richesse. Mais finalement, c’est la planète Mars!, s’exclame Chris McKay, du Centre de recherche Ames de la NASA. Le sol de University Valley est le plus froid et le plus aride de la Terre. Et la vie a manifestement beaucoup de mal Ă y trouver son chemin. Cet endroit, c’est ni plus ni moins que l’antichambre de Mars, et l’absence de signe de vie est un constat de toute première importance pour les chercheurs en astrobiologie de la NASA.Ěý», poursuit-il.
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Tous les tests sont négatifs
L’équipe a rĂ©alisĂ© une panoplie de tests, certains sur place (qui ont rĂ©vĂ©lĂ© l’absence de dioxyde de carbone ou de mĂ©thaneĚý– Ěýgaz utilisĂ© par tout organisme vivantĚý– dans le sol) et d’autres, dans le laboratoire de McGill, Ă MontrĂ©al. Les chercheurs ont fait faire des tests d’ADN sur des Ă©chantillons de sol dans l’espoir d’y trouver des gènes de microbes et de champignons. Ils ont tentĂ© de stimuler la croissance microbienne dans de nombreux milieux de culture pour ensuite compter les cellules produites et, enfin, ils ont rĂ©alisĂ© des Ă©preuves de radiorespiration ultrasensibles. Ce dernier test consiste Ă enrichir le sol d’une nourriture marquĂ©e au carbone‑14; si des micro-organismes actifs s’y trouvent, ils consommeront cette nourriture et seront dès lors dĂ©tectables.
Ces tests n’ont révélé aucun signe de vie active.
«ĚýNous n’avons pas pu dĂ©celer d’activitĂ© microbienne dans ces Ă©chantillons, indique le PrĚýWhyte. Les traces Ă peine perceptibles de vie microbienne prĂ©sentes dans ces Ă©chantillons sont, selon toute vraisemblance, les vestiges de microbes en dormance ou qui s’éteignent lentement. Vu l’ariditĂ© et les tempĂ©ratures infĂ©rieures au point de congĂ©lation qui sĂ©vissent en permanence dans ces contrĂ©es, et Ă©tant donnĂ© l’absence d’eau, mĂŞme en Ă©tĂ©, je vois mal comment des colonies microbiennes pourraient se dĂ©velopper dans le sol.Ěý»
Et MmeĚýGoordial d’ajouterĚý: «ĚýNous ne savons pas s’il y a dans ce pergĂ©lisol une activitĂ© qui serait indĂ©celable Ă l’aide du matĂ©riel actuel. Tout ce que nous pouvons dire avec certitude après avoir utilisĂ© toutes les mĂ©thodes Ă notre disposition, c’est que ces Ă©chantillons se distinguent de tous les pergĂ©lisols trouvĂ©s jusqu’à maintenant sur Terre.Ěý»Ěý
Travailler dans l’ Antarctique reprĂ©sente un vĂ©ritable dĂ©fi pour les chercheurs. Tout leur matĂ©riel doit ĂŞtre transportĂ© par hĂ©licoptère.ĚýCrĂ©dit - Jackie Goordial
Et qu’en est-il de la vie sur Mars?
«ĚýSi la vie microbienne active est impossible Ă cause du froid et de l’ariditĂ© extrĂŞmes de ce climat terrestre analogue au climat martien, il est peu probable qu’on trouve de la vie dans la couche situĂ©e près du plafond du pergĂ©lisol, les conditions Ă©tant encore plus rigoureuses sur Mars, explique le PrĚýWhyte. Qui plus est, si on ne dĂ©tecte aucun signe de vie sur Terre, dans un milieu qui foisonne de micro-organismes, il est fortement improbable qu’on parvienne Ă en dĂ©tecter dans le sol martien.Ěý»
Mais voyons le bon côté des choses. Selon les chercheurs, ces résultats donnent à penser que si un microorganisme terrestre était transporté par erreur sur Mars, il ne survivrait probablement pas. Voilà qui est rassurant dans une optique de protection de la planète rouge.
Cette étude a été financée par le Programme ASTEP de la NASA, le Programme de subventions à la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) ainsi que le Programme de formation en astrobiologie canadienne du Programme FONCER du CRSNG.
L’article «ĚýNearing the cold-arid limits of microbial life in permafrost of an upper dry valley, AntarcticaĚý», par Jacqueline Goordial et coll., a Ă©tĂ© publiĂ© dans The ISME JournalĚý: DOI: 10.1038/ismej.2015.239.
Les experts ci-après peuvent commenter l’étude:
Corien Bakermans, Dept. of Microbiology, Pennsylvania State University
cub21 [at] psu [dot] edu
Alberto G. Fairen, Dept. of Planetology and Habitability, Centro de Astrobiologia (NASA Astrobiology Institute associate), Visiting Scientist at the Department of Astronomy, Cornell University
agfairen [at] cab [dot] inta-csic [dot] es
Victor Parro, Dept. of Planetology and Habitability Centro de Astrobiologia
(NASA Astrobiology Institute associate)
​parrogv [at] cab [dot] inta-csic [dot] es
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