Être victime de mauvais traitements pendant l'enfance pourrait « marquer » certains gènes dans le cerveau
Une étude novatrice révèle comment l’environnement a affecté certains gènes dans le cerveau de suicidés.
Une équipe de scientifiques de l’Université McGill a découvert des différences importantes entre les cerveaux de suicidés et des cerveaux dits normaux. Bien que la séquence génétique soit identique dans les cerveaux des suicidés et dans ceux de non-suicidés, il y avait des différences dans le marquage épigénétique – un revêtement chimique influencé par les facteurs environnementaux.
Les treize sujets morts par suicide étudiés avaient tous subi des mauvais traitements au cours de leur enfance.
« Il est possible que les modifications des marqueurs épigénétiques aient été causées par l’exposition aux mauvais traitements pendant l’enfance, malgré que chez l’humain il soit difficile d’établir un lien de causalité entre la petite enfance et les marqueurs épigénétiques, comme nous l'avons fait dans le cas de sujets animaux », précise le Pr Moshe Szyf, du au Département de pharmacologie et de thérapeutique de McGill. « Les grandes questions qui demeurent sont de savoir si les scientifiques pourraient détecter des changements similaires dans l’ADN sanguin – ce qui pourrait mener à des essais diagnostiques – et si nous pourrions concevoir des interventions pour effacer ces différences dans les marqueurs épigénétiques. »
Dans la première étude de ce genre, Moshe Szyf, professeur au Département de pharmacologie et thérapeutique; Gustavo Turecki, du Département de psychiatrie, qui pratique à l’Hôpital Douglas; Michael Meaney, professeur aux Départements de psychiatrie et de neurologie et neurochirurgie, qui travaille aussi à l’Hôpital Douglas; ainsi que Patrick McGowan, stagiaire postdoctoral à McGill, ont poursuivi leur travail reconnu mondialement sur l’épigénétique pour révéler les différences dans l'ADN des cerveaux d’hommes québécois morts par suicide. L’étude entièrement réalisée à McGill devrait être publiée dans le numéro du 6 mai 2008 du bulletin électronique Public Library of Science (PLoS ONE).
L’épigénétique est l’étude des changements dans la fonction des gènes qui n’entraînent pas de modifications dans les séquences de l’ADN. L’ADN est transmis par nos parents; il reste le même toute notre vie et est identique dans chacune des parties du corps. Pendant la grossesse, toutefois, les gènes de notre ADN sont marqués par un revêtement chimique appelé la méthylation de l’ADN. Ces marques sont quelque peu sensibles à l’environnement, particulièrement au tout début de la vie. Les marques épigénétiques ponctuent l’ADN et le programment pour qu’il exprime le bon gène au bon moment et au bon endroit.
Les chercheurs ont examiné une série de gènes de l’ARNr, un constituant principal de l’appareil qui produit la protéine dans les cellules. La synthèse protéique est critique pour l’apprentissage, la mémoire et l’établissement de nouvelles connexions dans le cerveau; elle peut influencer la prise de décisions et d’autres comportements. Les scientifiques ont trouvé que l’ARNr peut faire l’objet d’une régulation épigénétique.
Dans de précédentes études effectuées sur des rats de laboratoire, le groupe a prouvé que le simple comportement maternel pendant la petite enfance a un effet important sur les gènes et le comportement, et que cet effet demeure permanent. Toutefois, ces effets sur l’expression des gènes et les réactions au stress peuvent être inversés chez l’adulte à l’aide de traitements connus pour influencer le marquage génomique appelé méthylation de l’ADN.
Les échantillons de cerveaux dans la dernière étude provenaient de la Banque de cerveaux des suicides du Québec, qui est gérée par le Dr. Turecki de l’Institut universitaire en santé mentale de l’Hôpital Douglas. Grâce au soutien du Bureau du coroner du Québec, le Groupe McGill d’études sur le suicide (GMES) a fondé la Banque de cerveaux de suicidés du Québec (BCSQ) à l’Institut universitaire en santé mentale de l’Hôpital Douglas, pour promouvoir les études sur le phénomène du suicide. La recherche effectuée sur les tissus du cerveau peut aider à développer des programmes d’intervention et de prévention pour aider les personnes qui souffrent de détresse psychologique et sont susceptibles de se suicider.
L'étude a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada.