Une nouvelle semaine commence au Centre spatial Johnson de la NASA de Houston, au Texas, et l’astronaute candidate Jenni Sidey-Gibbons (B. Ing. 2011) est prête à toute éventualité.
Il faut dire qu’à n’importe quel moment, elle peut être appelée à enfiler une lourde combinaison spatiale afin de simuler une sortie extravéhiculaire dans le profond bassin du Laboratoire de flottabilité neutre, ou à prendre des décisions en une fraction de seconde à bord d’un avion supersonique. Elle peut aussi suivre un cours sur la géologie lunaire le matin, puis, quelques heures plus tard, passer en revue chaque système de la Station spatiale internationale, que ce soit pour le recyclage de l’eau ou la radioprotection.
« L’un des plus gros défis, c’est le rythme qui n’est jamais le même, admet-elle. C’est parfois assez éprouvant, mais nous avons la chance d’avoir de bons professeurs. »
Les pieds bien sur Terre
Lorsqu’on lui parle de son parcours – comme joueuse de rugby de haut niveau, étudiante d’exception en génie à McGill, professeure à l’Université de Cambridge et troisième femme de l’histoire nommée au programme des astronautes de l’Agence spatiale canadienne –, l’ancienne étudiante de McGill ne se lance pas dans une envolée lyrique. Loin de là .
À l’autre bout du fil, elle utilise des mots comme « cran », « détermination » et « préparation ».
C’est avant tout une ingénieure qui « aime se servir de la science pour résoudre des problèmes ».
Elle tire peut-être sa détermination et son pragmatisme de son expérience de femme qui excelle dans les domaines à prédominance masculine que sont le génie et l’exploration spatiale, où les obstacles sont légion et où on vient à bout des problèmes à force d’essais et d’erreurs.
Lorsqu’on lui demande quels conseils elle pourrait donner à une personne confrontée aux mêmes défis, sa réponse est très terre à terre. « Chercher activement des mentors et essayer, encore et encore. »
C’est une philosophie qui a manifestement porté ses fruits.
Sa première mentore a été sa mère, une femme issue du milieu des arts qui savait que sa fille se sortait du lot. « J’ai toujours eu un côté exploratrice. Ma mère m’a encouragée de bien des façons », notamment en réunissant dans un album des coupures de journaux sur Roberta Bondar, première Canadienne à être allée dans l’espace. « [La mission de Roberta Bondar] a eu lieu en 1992. À l’époque, je n’étais pas assez grande pour comprendre la portée de cet exploit, mais ma mère a trouvé les mots pour m’aider à en saisir l’ampleur. »
D’une curiosité sans borne, la jeune Jenni Sidey-Gibbons était une géologue en herbe qui collectionnait les roches et traînait toujours du vinaigre pour distinguer la pierre calcaire. Elle s’est finalement dirigée vers le génie, attirée par le « mariage de la science et de la créativité ».
Un premier cycle marquant
McGill lui a été recommandée par une chercheuse avec qui elle a mené des travaux en laboratoire sur l’hypoxie et l’hypocapnie, alors qu’elle était encore à l’école secondaire. « Elle m’a dit que le programme de génie était exceptionnel, que c’était le point de départ idéal de n’importe quelle carrière, précise-t-elle. Il n’en fallait pas plus pour me convaincre. »
L’Université a été à la hauteur de ses attentes.
« À mon arrivée à McGill, je savais que j’aimais la science, mais je n’étais pas encore certaine de ce que je voulais faire dans la vie, confie-t-elle. J’ai eu quelques professeurs marquants qui prenaient sous leur aile des étudiants de premier cycle intéressés par la recherche et qui m’ont beaucoup aidée dans ma carrière. »
Elle n’a que de bons mots pour Jeff Bergthorson, professeur au Département de génie mécanique et chercheur spécialisé dans les processus de combustion et les systèmes énergétiques.
« Je pense à la physique des flammes et à l’importance cruciale que joue le phénomène de la combustion depuis la nuit des temps, et au fait qu’il y ait encore tant de choses à apprendre. Jeff m’a initiée à l’étude de la combustion. »
Le professeur est tout aussi impressionné par son élève.
« Jenni était une étudiante d’exception, se rappelle-t-il. Dans un cours sur la thermodynamique et l’énergie, elle voulait assimiler toute la matière, pas seulement réussir aux examens. Ses questions perspicaces et sa volonté de creuser toujours plus loin m’ont toujours impressionné. »
Dans le cadre de son mémoire de premier cycle, la future astronaute a vécu ses premières expériences de vol en microgravité, au Conseil national de recherches du Canada, à Ottawa. Elle estime que « McGill a été une grande source de motivation de bien des façons ».
Une occasion Ă ne pas manquer
Après son doctorat à Cambridge, Jenni Sidey-Gibbons a décroché un poste de professeure au Département de génie de cette prestigieuse université.
Elle y a d’ailleurs cofondé la section locale de Robogals, un organisme qui encourage les jeunes femmes à faire des études en STIM, en leur donnant les moyens de réussir. En 2016, elle a reçu le titre de jeune ingénieure de l’année de l’Institution of Engineering and Technology.
« À cette époque, je pensais exercer ce métier toute ma vie. Évoluer dans le milieu universitaire, enseigner, apprendre, faire de la sensibilisation. Puis… »
Puis vint la campagne de recrutement d’astronautes de l’Agence spatiale canadienne, en 2016.
« C’était une occasion que je ne pouvais pas laisser passer », dit-elle en riant.
Elle faisait partie d’un bassin de 3 700 candidats. « Je n’étais pas certaine de me rendre jusqu’au bout, mais je voulais absolument tenter ma chance », ajoute-t-elle.
Non seulement a-t-elle a franchi toutes les étapes de ce processus de recrutement ardu d’un an, où les candidats doivent repousser leurs limites physiques et mentales dans une série d’épreuves exténuantes, mais elle l’a en outre fait avec brio.
Ă€ la fĂŞte du Canada 2017, Joshua Kutryk et elle sont devenus les nouveaux astronautes du pays.
« J’étais parfois très intimidée, affirme-t-elle à propos du processus de sélection. Quand on fait quelque chose pour la première fois, par exemple sortir d’un hélicoptère sous l’eau, c’est normal de se dire : “Mais comment je vais faire?” Il m’est souvent arrivé de ne pas obtenir les résultats escomptés. C’est une question de persévérance et de résilience. »
On n’a jamais fini d’apprendre
Jeff Bergthorson n’est pas surpris par les faits d’armes de son ancienne étudiante.
« En recherche, la réussite est essentiellement une question de résilience. On applique une idée qui germe dans notre tête, mais le résultat est rarement celui qu’on espérait. C’est frustrant et difficile », explique-t-il.
« Les travaux sur les réactions aluminium-eau qu’elle a menés dans le cadre de son mémoire ne jouent pas un rôle très important dans sa carrière d’astronaute, mais la recherche en laboratoire, c’est avant tout une question de persévérance, malgré les frustrations et les difficultés. La détermination des étudiants est mise à l’épreuve, et Jenni est clairement ressortie du lot. »
Deux ans après sa sélection, Jenni Sidey-Gibbons continue d’étudier le russe et la mécanique orbitale et d’effectuer des vols à bord d’avions supersoniques en vue d’une éventuelle mission dans l’espace, qui devra attendre encore « plusieurs années », selon elle.
« Effectuer un vol spatial, c’est la culmination d’une carrière d’astronaute, conclut-elle. C’est beaucoup d’entraînement pour un court séjour dans l’espace. J’espère y aller un jour, mais j’ai encore beaucoup à apprendre. »