Au Canada, les régions éloignées ont recours à la télémédecine depuis longtemps, mais jusqu’à tout récemment, les rendez-vous médicaux virtuels n’étaient pas monnaie courante en zone urbaine.
« Du jour au lendemain, la COVID-19 nous a empêchés de recevoir nos patients en personne, sauf pour les urgences », explique le Dr Adrian Dancea, chef de la Division de cardiologie du Département de pédiatrie à l’Hôpital de Montréal pour enfants. « Nous sommes brusquement entrés dans une nouvelle réalité, où la télémédecine a été projetée à l’avant-scène. »
Toutefois, cette popularité a suscité des préoccupations : Comment les soignants et les patients peuvent-ils évaluer la qualité des services de télémédecine? Que faire pour que les médecins, les infirmières et les thérapeutes se sentent à l’aise avec cette technologie? « Ce bouleversement touche les médecins et les patients », fait remarquer le Dr Dancea.
Omar Chehab, Katia Sory, Victoria McKeown et Kyle Gomes, étudiants aux cycles supérieurs à l’Université McGill, aident l’Hôpital de Montréal pour enfants à trouver des réponses à ces questions et à régler d’autres problèmes liés à la pandémie. Ils font tous partie de la cohorte 2019-2020 du programme de maîtrise en analytique de gestion de la Faculté de gestion Desautels. Le programme intensif d’un an met l’accent sur l’apprentissage expérientiel et comprend un projet intégrateur pour lequel les étudiants s’associent à des organismes communautaires pour résoudre un problème analytique.
Comme la crise sanitaire a provoqué la fermeture de nombreux lieux de travail et chamboulé une grande partie de l’économie canadienne, il a fallu réorienter le projet de fin d’année de la maîtrise en analytique de gestion. Les étudiants allaient désormais travailler à distance avec les entreprises et organismes locaux pour les aider à s’adapter à la situation.
« Dans le cadre de la maîtrise, nos étudiants ont la chance de travailler avec de grandes sociétés et de petites entreprises communautaires, explique Shoeb Hosain, directeur du programme de maîtrise en analytique de gestion. Cette année, nous avons redoublé d’efforts et affecté davantage de fonds au projet afin de pouvoir aider encore plus les ONG, les OBNL et les petites entreprises en difficulté. »
Plus de place à la télémédecine
Avant la pandémie, la télémédecine n’était utilisée que pour 2 % des consultations externes à l’Hôpital de Montréal pour enfants, hôpital universitaire affilié à l’Université McGill. L’Hôpital espère augmenter cette proportion à environ 30 % au cours des prochaines années. Toutefois, c’est là une moyenne : il y aura probablement de grands écarts entre les différentes spécialités.
« Dans certains domaines, la télémédecine devra s’imposer davantage, alors que dans d’autres, elle aura ses limites ou ne conviendra pas, précise le Dr Dancea. Nous devons mieux définir les besoins et poser un regard critique sur la qualité des services que nous offrons au moyen de la télémédecine. »
L’avis des médecins et des patients
C’est là qu’entre en jeu le projet d’Omar Chehab. Depuis le mois de juin, Omar recueille des données auprès du personnel hospitalier et crée des questionnaires qui serviront à déterminer le niveau de satisfaction des patients et des soignants. « Les patients et les médecins n’ont pas les mêmes préoccupations », fait remarquer Omar, qui a suivi des cours de marketing dans le cadre d’un baccalauréat à l’Université américaine de Beyrouth.
Par exemple, pour les parents d’enfants d’âge scolaire qui travaillent, le temps consacré au déplacement vers l’hôpital ou passé en salle d’attente est un aspect important. « La télémédecine peut être vraiment utile dans ce cas », ajoute Omar. La vidéoconférence pourrait aussi aider des médecins ou des infirmières à communiquer avec différents membres d’une famille – une grand-mère, par exemple – pour ainsi recueillir de l’information importante sur un patient.
En sondant les médecins, on pourra aussi découvrir où il serait judicieux d’investir pour éliminer des irritants et améliorer la satisfaction. Lorsque le nombre de rendez-vous de télémédecine a brusquement augmenté, certains médecins n’étaient pas à l’aise avec Zoom, par manque de formation adéquate. D’autres ont dû utiliser leur téléphone personnel parce qu’on ne leur avait pas fourni d’ordinateur portable.
Pour le traitement des résultats, Omar a utilisé un algorithme d’apprentissage automatique qu’il a découvert à McGill.
Un tableau de bord pour y voir plus clair
Pour sa part, Katia Sory s’est intéressée aux aspects commerciaux d’un accroissement des services de télémédecine. À l’aide d’un outil de visualisation qu’elle a découvert pendant le projet de maîtrise, Katia a mis au point un tableau de bord de données dont le personnel de l’Hôpital de Montréal pour enfants pourra se servir pour prévoir le volume de rendez-vous de télémédecine pour les cinq prochaines années. Elle a également analysé les investissements à faire pour augmenter les services, et elle a évalué le temps qu’il faudra pour que l’efficacité acquise contrebalance les dépenses engagées.
Originaire du Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest, Katia est arrivée à Montréal il y a sept ans pour étudier à HEC Montréal, où elle a obtenu un baccalauréat en administration des affaires. Elle s’est inscrite à la maîtrise en analytique de gestion après avoir occupé un poste d’analyste des activités chez Bombardier Inc. pendant deux ans. Grâce à son expérience auprès de l’Hôpital de Montréal pour enfants et à un projet de huit mois chez Pratt & Whitney Canada, Katia dit avoir appris que l’IA pouvait servir à la résolution de problèmes dans tous les types d’entreprises.
Gestion des stocks d’équipement de protection individuelle
L’Hôpital de Montréal pour enfants a fait appel au programme de maîtrise en analytique de gestion dans un autre domaine : la gestion de l’équipement de protection individuelle (EPI), notamment les masques, les blouses et les gants, dont les stocks étaient très bas le printemps dernier, au Canada comme ailleurs.
« Avant la pandémie, chaque unité gérait ses propres stocks d’EPI », précise Tanya Di Genova, médecin en soins intensifs pédiatriques. Par exemple, l’unité des soins intensifs commandait chaque mois une quantité donnée d’équipement. Mais quand la COVID 19 a frappé, le Centre universitaire de santé McGill – dont fait partie l’Hôpital de Montréal pour enfants – a centralisé le stockage de l’EPI. Bien que l’hôpital pédiatrique n’ait pas traité un grand nombre de patients atteints de la COVID-19, il a tout de même utilisé beaucoup plus d’articles d’EPI que d’habitude afin de protéger les travailleurs de première ligne.
« Dans l’unité, la gestion de nos stocks n’était pas optimale, ce qui est pourtant très important pour l’évaluation des besoins », avoue la Dr Di Genova, qui a aidé les étudiants à la maîtrise Victoria McKeown et Kyle Gomes à recueillir les renseignements nécessaires à l’élaboration d’une solution.
« En contexte de pandémie, un hôpital utilise plus d’EPI et consomme plus rapidement ses réserves, explique Victoria. Et on ne parle pas uniquement des masques N-95; il faut aussi penser aux masques chirurgicaux, aux blouses, etc. Cette utilisation a aussi beaucoup changé la façon de consigner les données à ce sujet. »
Une utilisation évaluée avec soin
Victoria et Kyle ont dégagé des tendances sur l’utilisation de l’EPI faite par l’hôpital, et ils ont élaboré un modèle pour le calcul du nombre de masques, de blouses et de gants qui seront utilisés. Le calculateur servira à planifier les commandes et à assurer un approvisionnement adéquat. « Si l’Hôpital est en mesure de commander ses articles d’EPI de façon à avoir un approvisionnement suffisant et plus stable, les médecins, les infirmières et les autres employés pourront plus facilement faire leur travail. Nous les aiderons à aider les patients. »
Les étudiants ont toutefois dû faire face à une difficulté particulière. « Nous n’avons jamais rencontré nos clients en personne pour ce projet », reconnaît Victoria, qui a travaillé dans une firme de consultants canadienne pendant deux ans avant de se lancer dans le programme de maîtrise en analytique de gestion. « Toutes les communications se font par Zoom, par téléphone et par courriel ».
Pour les projets sur lesquels Kyle et Victoria ont travaillé plus tôt dans le programme, les processus de traitement des données existaient déjà et les étudiants s’attaquaient à des problèmes bien définis. « Cette fois, nous avons dû tout faire, de A à Z, pour fournir une solution viable à l’Hôpital de Montréal pour enfants », précise Kyle. De son propre aveu, Kyle a beaucoup appris dans le cadre d’un projet de consultation de huit mois réalisé avec la société de logiciels Autodesk, à Montréal. Il a ainsi pu mener le projet de l’Hôpital avec assurance. Originaire de l’Inde, Kyle est entré à McGill après un baccalauréat en administration des affaires à l’Université de Boston.
Une nouvelle cohorte prend la relève
Les quatre étudiants ont présenté le fruit de leur travail au personnel de l’Hôpital de Montréal pour enfants au début d’août, et ils ont impressionné les Drs Dancea et Di Genova.
« Dans un laps de temps plutôt court, les étudiants ont réussi à rassembler les données, à se familiariser avec un nouveau domaine et à nous proposer des solutions de pointe prêtes à être mises en place », se réjouit le Dr Dancea.
Pour la plupart des étudiants, le projet communautaire marque la fin du programme de maîtrise en analytique de gestion d’un an. Toutefois, des étudiants de la cohorte de 2021 ont participé aux dernières réunions virtuelles et ont ainsi pu entamer leur réflexion sur la façon de faire évoluer les projets l’année prochaine.
« Le partenariat entre l’Hôpital de Montréal pour enfants et le programme de maîtrise doit se poursuivre et grandir, affirme le Dr Dancea. Il faut continuer sur cette lancée. »