Durant ses études en physique et en littérature à l’Université McGill, Declan Rankin Jardin (B.A./B. Sc. 2014) a vu naître en lui la passion des abeilles.
« C’était dans le cadre d’un cours de littérature donné par Maggie Kilgour [titulaire de la Chaire Molson en langue et littérature anglaises]… À la lecture du quatrième livre des Géorgiques, de Virgile, qui portait essentiellement sur l’élevage des abeilles… J’étais fasciné par elles et leurs minuscules réseaux », se rappelle M. Jardin.
En 2010, ses amis Alexandre McLean et Étienne Lapierre – les trois formaient un trio de jazz – l’ont invité à passer l’été à la ferme apicole de l’oncle d’Alexandre, à Dawson, au Manitoba. À leur retour, ils ont aménagé leurs propres ruches urbaines.
« Au départ, nous croyions qu’il n’y aurait pas assez de fleurs, mais les ruches ont très bien fonctionné – on trouvait des fleurs en abondance, et d’espèces très variées », ajoute-t-il.
En 2013, les trois comparses ont lancé Alvéole, une entreprise apicole montréalaise qui aménage des ruches en milieu urbain, offrant aux citadins l’occasion de renouer avec la nature. « Notre entreprise associe l’apiculture, l’éducation et l’action communautaire, afin d’amener les gens à changer leur perspective du monde dans lequel ils vivent et leur inculquer un sentiment de responsabilité vis-à -vis de l’environnement », estime M. Jardin.
« L’idée de contribuer à changer les mentalités nous plaisait. En nous voyant travailler avec les abeilles – nous ne portons pas l’espèce de combinaison spatiale, vu que nos abeilles à miel issues d’une lignée italienne sont spécialement sélectionnées pour leur docilité – les gens voient qu’elles ne sont pas agressives. En fait, nos clients deviennent rapidement de véritables ambassadeurs des abeilles et réussissent à convaincre leur entourage d’en adopter. »
Selon M. Jardin, on peut s’intéresser à l’apiculture urbaine pour diverses raisons. Les parents aiment bien éduquer leurs enfants à la nature, les entreprises s’en servent pour consolider l’esprit de corps de leurs équipes et les écoles utilisent des ruches pour enseigner la biologie, la biodiversité, la production alimentaire, les systèmes d’alimentation et l’agriculture industrielle.
« Chaque ruche contient 10 cadres et abrite 10 000 abeilles. Au bout d’une année, la colonie peut atteindre 50 000 individus, la reine pondant jusqu’à 2 000 œufs par jour. Le miel – 15 kg! – que produit annuellement chaque ruche devient un outil de marketing et de sensibilisation hors du commun… et il est absolument délicieux! Et le type de miel varie selon l’endroit où sont aménagées les ruches », ajoute-t-il.
« Les abeilles récoltent le nectar des fleurs, et comme chacune possède son propre arôme, le miel qui en résulte reflète le terroir dans lequel les abeilles ont butiné. »
« Je ne recommande pas aux gens de se procurer une ruche et de s’improviser apiculteurs », précise M. Jardin. « Les abeilles sont très fragiles, et de nombreuses opérations doivent être effectuées en temps utile. La colonie survivant tout l’hiver, on doit structurer le travail estival en tenant compte de la saison froide qui suit. C’est pourquoi nous nous occupons de tout, de l’installation des ruches aux soins offerts aux abeilles, tout en assurant le lien entre le projet d’apiculture et les participants au moyen d’ateliers éducatifs. »
Les ruches sont installées en permanence. L’automne, les abeilles sont nourries d’eau sucrée, qu’elles continuent de consommer durant l’hiver, avant de ressurgir de leur ruche au printemps.
Le personnel d’Alvéole, composé de 30 employés à temps plein et de 30 autres travailleurs saisonniers, gère actuellement des centaines de ruches dans le Grand Montréal, à Laval et sur la Rive-Sud, en plus de centaines d’autres à Toronto, Québec, Ottawa, Calgary, Vancouver et Chicago.
Les ruches urbaines poussent comme des champignons, sur les toits de résidences privées, d’écoles ou même d’entreprises, comme Birks, RBC Banque Royale, Google, Oxford Properties, Glossier, Hyatt, L’Oréal, Colliers International, Manuvie et le Cirque du Soleil. En fait, près de 60 pour cent du chiffre d’affaires d’Alvéole provient de sa clientèle commerciale, qui se sert souvent des ruches pour resserrer les liens au sein des effectifs.
L’entreprise fait également appel à l’innovation technologique pour améliorer les interactions entre les ruches et les humains, au moyen de la plateforme sociale My Hive, qui permet aux abonnés d’échanger entre eux et de communiquer leurs données à la collectivité. Calendrier des visites, ateliers, photos, vidéos, rapports en temps réel, historique de la ruche : toute l’information est affichée sur une page publique qu’on peut partager dans les réseaux sociaux ou sur des sites Web internes ou externes.
« Il faut comprendre que, dans les villes comme Montréal, qui interdisent l’emploi de pesticides et où l’on trouve une grande variété de fleurs, les abeilles se portent mieux qu’ailleurs. Plusieurs grandes villes sont même devenues des refuges pour les abeilles », mentionne le jeune entrepreneur, ajoutant que les abeilles sauvages indigènes continuent de lutter pour leur survie. Depuis cette année, Alvéole offre également un forfait « pollinisateur », qui comprend l’installation et l’entretien de 10 « hôtels » pour abeilles au niveau du sol destinés à offrir refuge à plus de 100 espèces indigènes, ainsi qu’un atelier d’une heure portant sur les abeilles sauvages.
En raison de l’emploi continu de pesticides dans les zones rurales et de la propagation d’une maladie apicole, de nombreuses espèces d’abeilles sont désormais menacées de disparition. Toutefois, la sensibilisation de la population au fléau qui décime les colonies d’abeilles à miel donne lieu à une hausse de la demande de services d’apiculture urbaine, selon M. Jardin. À elle seule, l’apiculture urbaine ne suffira pas à régler la crise, mais elle met en évidence le rôle primordial des abeilles dans l’accessibilité des aliments.
« Les gens constatent à quel point l’apiculture peut être gratifiante, ils acquièrent une toute nouvelle compréhension de la nature. Nous espérons que nos efforts d’éducation sauront inciter nombre d’entre eux à passer à l’action – dès qu’on tombe sous le charme des abeilles, on ressent l’urgence de les protéger. Notre principale raison d’être est de sensibiliser la population à l’écologie urbaine, afin de contribuer à rendre nos villes et nos systèmes d’alimentation plus durables. »